Reportage -  Contre la réforme des retraites  : dix jours pour élargir la mobilisation

Pour l’intersyndicale, la puissante mobilisation du 19 janvier « oblige au retrait » d’une réforme où tout le monde est perdant. Elle appelle à une nouvelle journée de manifestations et de grèves le 31 janvier.

Édition 024 de fin janvier 2023 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
A l’appel de l’intersyndicale, la journée du 19 a réuni deux millions de personnes dans plus de 200 manifestations. ©Photopqr/Voix Du Nord/Maxppp

Le gouvernement avait fait le pari de la résignation  : c’est raté. La première journée interprofessionnelle de manifestations et de grèves, le 19 janvier dernier, à l’appel de l’intersyndicale a réuni deux millions de personnes, partout en France. C’est l’un des premiers enseignements de cette journée  : le rejet massif de la réforme des retraites s’est exprimé au-delà des grandes villes pour se déployer géographiquement, en particulier dans les villes moyennes.

Près de 140 000 manifestants à Marseille, 50 000 à Lille, à Nantes ou à Saint-Étienne, ou 60 000 à Bordeaux… Cette puissante mobilisation a ainsi également réuni 14 000 personnes à Pau, 1 000 à Verdun, 5 000 à Guéret, 10 000 à Châteauroux. Pour la préfecture de l’Indre, il s’agit de l’équivalent d’un habitant sur quatre dans la rue. Citons aussi la ville de Tulle où 10 000 participants étaient dans le cortège composé de nombreux techniciens, de femmes et de jeunes, a témoigné Fred Tronche (Commission départementale Ugict 87), lors de la Ce de l’Ugict-CGT. À Paris, 400 000 manifestants ont défilé entre les places de la République et de Nation.

Dans les cortèges  : une grande diversité des profils, des professions et des secteurs. C’est l’autre enseignement de cette première journée  : pour être aussi puissante, la mobilisation est parvenue à rassembler actifs de tous les âges, secteurs public et privé confondus, et retraités, hostiles au discours gouvernemental visant à dramatiser la situation financière des régimes de retraite dans une tentative d’opposer les générations entre elles.… Mais aussi les secteurs et catégories professionnelles, voire les statuts avec la mise en place de la clause dite «  du grand-père  » dans les régimes spéciaux. Échec là aussi  : dans le cortège parisien, les professeurs, les pompiers, les cheminots, électriciens et gaziers côtoyaient ainsi cadres, professions intermédiaires et techniciennes ou ingénieurs du privé. Comme Boris Amoroz, ingénieur chez Alstom, à Saint-Ouen qui argumente son refus d’un report de l’âge légal à 64 ans.

Citons quelques chiffres  : environ 20 % des agents du ministère de l’Écologie et de l’Équipement étaient en grève, tout comme 23 % des personnels de Météo France, 28 % des effectifs de la Poste, 18 % des salariés d’Orange – le même niveau qu’en 1995- 60 % de ceux d’EDF avec notamment 30 à 50 % de grévistes dans les services centraux et administratifs.

Au sein des manifestations également, de nombreux primo-manifestants, issus notamment du secteur des banques et des assurances Dans l’éducation, la journée a mobilisé 65 % des professeurs de collèges et lycées. Parmi eux, Thomas Mazuret, professeur d’histoire et de lettres dans un lycée professionnel des Hauts-de-Seine qui dénonce une réforme où «  tout le monde est perdant  ».

Au soir de la mobilisation du 19 janvier, les huit organisations syndicales, pour qui cette « puissante mobilisation (…) oblige au retrait » a appelé à une nouvelle journée de grèves et de manifestations le 31 janvier et souligné le succès de la pétition intersyndicale  : plus de 740 000 signatures comptabilisées en huit jours. Pétition · Retraites  : non à cette réforme injuste et brutale !

Entre les deux dates, dix jours, notamment pour débattre de la poursuite des actions et des grèves, y compris reconductibles, dans les Ieg (Industries électriques et gazières), à la Sncf ou dans le secteur des raffineries. « Dix jours qu’il faut également mettre à profit pour faire le travail de déploiement et élargir la mobilisation », a expliqué Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt lors de la dernière Commission exécutive, reprenant le sens de l’adresse aux organisations. https://ugictcgt.fr/adresse-retraites/

Auprès des femmes, pénalisées par toutes les mesures d’âge, y compris les femmes cadres qui perdraient tout ou partie du bénéfice lié à la validation de trimestres pour enfants élevées. Auprès des jeunes, fortement impactés par la réforme du fait de leur entrée tardive dans la vie active, de leur parcours professionnel chaotique et de la non-prise en compte des années d’études pour les diplômés, comme en témoigne Vi, salariée dans l’industrie des jeux vidéo.

Tous seraient perdants, y compris les Ictam (Ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise) qui, contrairement à ce qui est dit, ne sont pas épargnés et dont la situation est instrumentalisée pour diviser le salariat. Cotisants de l’Agirc-Arrco, tous les salariés du privé seraient en effet obligés de travailler une année de plus pour atteindre le taux plein dans les régimes complémentaires et éviter un abattement sur le montant de leur pension (-10 % pendant trois ans).

Au sein de ce groupe, les cadres et assimilés seraient d’autant plus pénalisés que la pension complémentaire représente 50 % de leur pension totale, contre 26 % pour les ouvriers et les employés. Or, ils paient déjà les réformes précédentes au prix fort  : selon les données des services techniques de l’Agirc-Arrco (2021), la pension nette d’un cadre liquidant sa retraite en 2062 ne représenterait déjà plus que 51 % de son dernier salaire, contre 67,2 % en 2020 et 72 % dans les années 1990. Si elle devait être mise en œuvre, la réforme ne ferait qu’accélérer cette chute programmée.

Arthur Brondy, Lennie Nicollet et Christine Labbe