Contre la réforme des retraites, un front syndical uni et déterminé
Pour l’intersyndicale Cfdt, Cgt, Fo, Cfe-Cgc, Cftc, Unsa, Solidaires et Fsu, rien ne justifie une réforme aussi brutale. Les huit organisations appellent à une première journée interprofessionnelle de grèves et de manifestations, dès le 19 janvier.
Sans surprise, c’est en dramatisant les déséquilibres à venir des régimes de retraite qu’Élisabeth Borne a officiellement présenté sa réforme. En utilisant jusqu’à saturation le verbe « préserver » ou ses dérivés pour argumenter le sauvetage d’un système qui, selon le gouvernement, serait en péril, la Première ministre a pour une fois omis de citer le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (Cor) qui s’inscrit en faux contre cette affirmation. C’est ce qu’a confirmé son président, Pierre-Louis Bras, lors de la présentation du rapport en septembre 2022 : « Dans la plupart des hypothèses, la charge que représentent les retraites pour les actifs diminuera. »
Le déficit sans cesse évoqué par le gouvernement à l’horizon 2030 représenterait, en effe,t à peine 3 % des masses financières consacrées aux retraites (plus de 300 milliards d’euros par an). En appelant à une journée de mobilisation interprofessionnelle de grèves et de manifestations dès le 19 janvier, l’intersyndicale (Cfdt, Cgt, Fo, Cfe-Cgc, Cftc, Unsa, Solidaires et Fsu) dans un front uni et déterminé, l’affirme : « Le système de retraite par répartition n’est pas en danger. Rien ne justifie une réforme aussi brutale. » Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, n’en démord pourtant pas. « C’est un fait, un fait incontestable […], c’est grave », a-t-il martelé lors de son intervention.
Ce qui est grave, c’est en réalité la baisse continue du niveau relatif des pensions par rapport à la rémunération des actifs. Un décrochage documenté par le Cor et que va accentuer la réforme annoncée, le « travailler plus longtemps » et dans des conditions de plus en plus mauvaises se traduisant par une difficulté toujours accrue à atteindre le taux plein. Comme cela était annoncé au cours des dernières semaines, l’âge légal à partir duquel il sera possible de partir à la retraite, si le projet devait être mis en œuvre, sera progressivement relevé à compter du 1er septembre 2023, à raison de trois mois par année de naissance. Il faudra avoir 63 ans et 3 mois en 2027, 64 ans en 2030 pour les personnes nées après 1968.
Le taux plein est en outre conditionné à une durée de cotisation allongée : 43 ans, soit 172 trimestres, dès 2027 pour les personnes nées à partir de 1965, contre 169 avant la réforme. C’est une accélération du calendrier envisagé par la réforme Touraine de 2014. Elle ouvre la voie à un nouvel espace pour le développement de l’épargne retraite, notamment par les cadres, les professions intermédiaires et techniciennes dans l’espoir d’un maintien du niveau de vie. Tous les agents publics, fonctionnaires comme contractuels, sont concernés, sur les trois versants de la fonction publique.
« Fermeture » des régimes spéciaux et « clause du grand-père »
Les régimes spéciaux, pour reprendre la formule d’Élisabeth Borne lors de la présentation du projet, seront « fermés » uniquement pour les nouveaux embauchés qui basculeront alors dans le régime général : c’est la « clause du grand-père ». Cela concerne la Ratp, la branche des industries électriques et gazières (Ieg), les clercs et employés de notaires, les personnels de la Banque de France et les membres du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Fortement mobilisés contre le projet avorté de réforme universelle des retraites, certains régimes et professions ne sont pas intégrés : les professions libérales, les avocats, les marins, les personnels de l’Opéra de Paris ou de la Comédie française.
Pour les autres, le décalage de l’âge légal s’applique, ainsi que l’allongement de la durée de cotisation, mais, explique le gouvernement, « en tenant compte de leurs spécificités ». Les dispositions seront contenues dans un décret, après « consultation » des régimes concernés : il est annoncé pour le premier semestre 2023. « Nous ne sommes pas dupes », explique en substance la fédération Cgt Mines-Énergie : « Le calcul est simple : rassurer les salariés plus anciens pour diviser et amoindrir notre capacité d’opposition. Et il cache un redoutable piège : la mise en place d’un double statut social entraînerait une mise en concurrence immédiate organisée par les employeurs ».
L’emploi des seniors ? À l’Index !
Toute aussi dénoncée est la place que le projet accorde aux seniors, dont le taux d’emploi, l’un des plus faible d’Europe, est pourtant qualifié de « révoltant » par le ministre de l’Économie. Le gouvernement se contente de la mise en place d’un index, encore obscur, destiné à terme à exiger « la transparence de la part des employeurs », « valoriser les bonnes pratiques et identifier les mauvaises » dans les entreprises de plus de 300 salariés. Il n’est assorti d’aucune sanction.
Le projet évoque également la nécessité de « lever les freins à l’embauche et au retour en emploi des seniors », ce qui implique, pour le gouvernement, de « réinterroger » les règles d’indemnisation du chômage, déjà revues à la baisse dans la dernière réforme, appliquée dès le 1er février prochain. De prochaines négociations avec les partenaires sociaux sont ainsi annoncées.
Seniores ou pas, les femmes, à tous les âges, font partie des grands oubliés du projet de réforme, Élisabeth Borne les évoquant une seule fois lors de son intervention pour se féliciter du maintien de l’âge d’annulation de la décote à 67 ans. Si les femmes partent déjà en moyenne sept mois plus tard que les hommes, elles sont aussi une sur cinq à attendre cet âge pour y échapper, contre un homme sur douze.
Ce que ne dit pas la Première ministre, qui annonce au passage un chantier sur la « modernisation des droits familiaux et l’unification du système de réversion » : parce qu’elles ont des carrières plus courtes, les femmes sont pénalisées par toute mesure d’âge de départ à la retraite, report de l’âge légal et/ou allongement de la durée de cotisation. Si, au final, elles payent les discriminations qui ont ponctué leur vie de travail, les seniores, en cumulant les critères d’âge et de sexe, sont doublement pénalisées.
Il y a pourtant une affirmation avec laquelle il est possible d’être d’accord avec le gouvernement et ses soutiens : « Sans réforme, le niveau de vie des retraités va baisser. » Mais de quelle réforme s’agit-il ? Bruno Le Maire en définit ainsi les termes : baisser les pensions ? « inconcevable » ; augmenter les cotisations ? « inconcevable »… Resteraient donc les mesures d’âge, dans le cadre d’un projet classiquement paramétrique et comptable. En balayant ainsi d’un revers de main les propositions alternatives pour augmenter le niveau des ressources, comme le réclame l’intersyndicale : « Attachées à un meilleur partage des richesses, les organisations syndicales n’ont eu de cesse pendant la concertation avec le gouvernement de proposer d’autres sources de financement, à commencer par l’emploi des seniors. Jamais le gouvernement, arc-bouté sur son projet, ne les a étudiées sérieusement. »
Cela fait plusieurs années que la Cgt, par exemple, travaille à un projet alternatif permettant de financer le retour de la retraite à 60 ans. Celui-ci s’appuierait sur le rattrapage des inégalités salariales entre les femmes et les hommes (6,5 milliards d’euros) et sur la mise à contribution des revenus financiers. Mais ce projet, fondé sur un taux de remplacement de 75 % au moment de la liquidation, et sur une indexation sur les salaires, suppose de questionner la répartition des richesses entre le capital et le travail. Ce que le gouvernement se refuse à envisager.
Présenté en conseil des ministres le 23 janvier, le projet de réforme sera intégré à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, pour être adopté par le Parlement en mars 2023. Pourtant le texte, dénoncé également par les organisations de jeunesse qui appellent à être aux côtés de l’intersyndicale le 19 janvier, mais aussi par les Français selon toutes les enquêtes d’opinion, fait l’objet d’un rejet massif. S’il devait être mis en œuvre, il serait alors, alerte l’Ugict-Cgt, « le 8e qui, en trente ans, organise la baisse des droits à retraite ».
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