Radar environnemental  : changer le travail et sauver la planète, mêmes combats

Cet outil d’analyse et de prospective doit permettre aux salariés d’évaluer l’impact environnemental de leur entreprise pour y imposer une réelle transition écologique.

Édition 022 de fin décembre 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 6 minutes

Options - Le journal de l’Ugict-CGT
S’appuyer sur l’expertise des salariés pour améliorer les conditions sociales et environnementales de production, c’est possible ! © Voix Du Nord/Maxppp
Cet outil d’analyse et de prospective doit permettre aux salariés d’évaluer l’impact environnemental de leur entreprise pour y imposer une réelle transition écologique.

Un vent d’optimisme flotte sur la Maison des métallos, à Paris, ce 29 novembre, au moment de lancer le site radartravailenvironnement.fr devant une assemblée d’une centaine de personnes, parmi lesquelles beaucoup de moins de 30 ans. Piloté par l’Ugict-Cgt et le «  Collectif pour le réveil écologique  » (qui rassemble des étudiants et des jeunes diplômés), le radar environnemental, fruit de quatre années de réflexions et expérimentations – ralenties par la crise sanitaire, n’en demeure pas moins une réponse à l’urgence. Il ne s’agit pas d’un objet, ni d’un gadget, mais d’une méthodologie qui, à partir de leur expertise sur leur travail et de leur connaissance de leur entreprise, vise à aider les salariés à construire des solutions alternatives pour la rendre moins nuisible à l’avenir de la planète et plus pérenne.

Un outil syndical par excellence  : « Les attentes des salariés s’expriment fortement, pas seulement parmi les plus jeunes, pour agir au-delà de sa vie personnelle et de ne pas devoir mettre ses convictions en sourdine dès qu’on se trouve dans le cadre du travail  » confirme Sophie Binet, la secrétaire générale de l’Ugict. Les enquêtes le montrent, l’activité économique – qui plus est si on inclut les transports, l’énergie, les effets collatéraux d’une chaîne de valeur mondialisée –  constitue de loin la principale émettrice de gaz à effets de serre. Elles témoignent aussi que les salariés sont de plus en plus nombreux à souffrir de contribuer au problème plutôt qu’aux solutions. Les concepteurs du radar font le pari qu’un diagnostic précis sur le travail et sur l’ensemble de l’activité d’une entreprise permettra d’identifier les leviers sur lesquels peser pour y remédier : à la fois pour mieux travailler et, se débarrassant du greenwashing cher aux directions, transformer les entreprises pour qu’elles s’inscrivent réellement dans une logique durable.

Comme le rappelle par ailleurs un syndicaliste expérimenté impliqué dans le projet, «  les entreprises se concentrent sur leur rentabilité à court terme, sans se soucier des conditions de travail ou de l’environnement. Si leur activité s’avère condamnée, elles préfèrent s’en débarrasser, alors qu’elles auraient pu s’appuyer sur l’existant pour anticiper des évolutions ou des reconversions. Cela peut se traduire par des fermetures de sites et des licenciements massifs  ». C’est un risque  : une transition écologique brutale, sous la contrainte, peut détruire des millions d’emplois, mais menée intelligemment, elle peut se traduire par l’inverse. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) estime par exemple que 150000 emplois pourraient être créés dès 2023 si un ambitieux plan de rénovation de l’habitat était mis en œuvre.

Has been le syndicalisme Cgt  ? Pas pour les jeunes diplômés du Manifeste pour le réveil écologique

Pour concevoir le radar, l’Ugict a bénéficié de l’expertise du cabinet Secafi, du soutien de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et d’un gros coup de boost dès lors que des jeunes diplômés, en particulier issus du Collectif pour le réveil écologique, se sont engagés avec le syndicat. Ils estiment que c’est la porte d’entrée légitime pour disposer des moyens d’intervention au sein des entreprises et exprimer la volonté collective, comme l’explique Antoine Trouche, jeune ingénieur à l’aise avec cette double casquette  : « Donner du sens à notre travail, ça commence par refuser de contribuer à aggraver la situation de la planète. Etudiants, nous avons d’abord interpellé les directions des grandes écoles, afin qu’elles arrêtent de se voiler la face et intègrent à nos cursus les problématiques et les enjeux environnementaux. Depuis, nous rencontrons aussi de nombreuses directions d’entreprise pour leur assurer que même si elles leur font un pont d’or, les jeunes diplômés seront de plus en plus nombreux à se détourner des groupes qui n’opèrent pas de réels changements, à la fois en terme d’impact écologique et de qualité de vie au travail. La Responsabilité sociale et environnementale (Rse) ne se limite pas à faire de la com, et la Qvt, c’est aussi permettre aux salariés de ne pas trahir leur éthique, de disposer d’un droit d’expression et de proposition pour améliorer leur travail, et, pourquoi pas, les orientations stratégiques de l’entreprise ».

Décrypter l’impact environnemental de son entreprise, difficile mais pas impossible !

Fabienne Tatot, qui dirige le projet pour l’Ugict, détaille les étapes de la démarche, en annonçant que de nombreux webinaires (*) sont déjà en cours pour aider les candidats à s’emparer de l’outil. Elle rappelle que la loi impose aux entreprises de communiquer aux représentants syndicaux un ensemble d’informations concernant leur impact sociétal et environnemental, même s’il faut souvent posséder un certain niveau d’expertise pour décrypter des documents pas toujours transparents. Les «  Plans d’adaptation au changement climatique  », les documents sur la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, quand ils existent et sont précis, peuvent constituer des ressources. Les Comités sociaux et économiques (Cse) aussi disposent d’un droit d’expression sur ces questions, et des négociations au niveau européen sont en cours, visant à élargir le cadre et les domaines d’intervention des syndicats.

Un questionnaire précis aide à s’interroger sur le fonctionnement de son entreprise, sur les moyens et les ressources qu’elle met en œuvre, à partir de documents existants mais aussi de l’expertise professionnelle de chacun. Une place est aussi laissée à des questions ouvertes favorisant l’expression de besoins plus spécifiques. Des temps d’échange collectif sur cet état des lieux doivent ensuite permettre d’élaborer des propositions concrètes portées par tous, tant au niveau du quotidien (conditions et qualité de vie au travail, transports, énergie, impacts numériques, restauration collective, ressources, approvisionnements, déchets) que des stratégies commerciales voire financières (partenariats, externalisation ou pas de certaines tâches et prise en compte des impacts écologiques externalisés). La direction est ensuite saisie des propositions validées, et tenue d’y répondre.

Les syndiqués de plusieurs groupes (St Gobain, Nokia, Thalès, ST Electronics) expérimentent et améliorent déjà le dispositif. Des binômes en livrent un premier bilan, formés pour l’occasion par une jeune ingénieure et un syndicaliste plus expérimenté. Pour les aînés, justice sociale et environnementale vont désormais de pair. Pas question de défendre l’emploi quoi qu’il en coûte pour l’environnement ou pour la santé des travailleurs  : «  Il est urgent de se projeter, d’imposer des décisions sur les nouvelles activités et services, les nouveaux métiers, les formations indispensables pour que toutes générations comprises, les nouveaux emplois soient des emplois d’avenir  » insiste Richard, délégué syndical central chez Nokia. Élodie, jeune élue au CSE, s’est pour sa part penchée sur les solutions pour réduire la consommation d’énergie, l’impact de Nokia étant énorme compte tenu de ses serveurs, supercalculateurs, centres de stockages de données, ainsi que sur les effets éventuels des ondes électromagnétiques  : « On s’est rendu compte qu’on disposait de documents au niveau du groupe, mais pas pour notre filiale française. On a donc demandé à être mieux informés. Par ailleurs, les salariés qui ont répondu à notre questionnaire rejettent unanimement le petit jeu instauré par notre management, qui consiste à promettre de planter des arbres en proportion de notre croissance de productivité … »

Chez Thalès, Sandra, embauchée comme ingénieure environnement il y a quelques années, n’a pas eu de mal à se pencher sur son quotidien professionnel, tout en qualifiant la tâche de complexe mais indispensable et motivante.

Alain, son collègue plus âgé, reconnaît que jusqu’à récemment, l’environnement n’était pas une priorité. Ni pour les ingés, ni pour le syndicat : «  L’arrivée de jeunes dans les équipes nous a ouvert les yeux. Nous veillons désormais à utiliser l’ensemble des prérogatives des CSE, à être cohérents, y compris sur les activités socio culturelles proposées par le Comité d’entreprise. Pour nous, le radar est aussi une occasion de créer un nouvel espace de débat. Les retours du petit échantillon de syndiqués que nous avons sollicité sont d’une grande richesse et vont nous permettre de nourrir les échanges avec nos collègues et d’élargir notre champ d’action syndicale. C’est dans notre ADN de nous appuyer sur les syndiqués pour nous améliorer, et nous accueillons avec grand plaisir les jeunes qui nous font confiance et nous rejoignent  ».

Le radar n’est qu’un outil appelé à s’améliorer au fur et à mesure qu’il se diffusera -y compris dans les services publics. Si les entreprises peinent à revivifier les marges de création, de coopération, de prise d’initiative des salariés, elles seront soient confrontées à la grande démission et aux difficultés d’embauche, soit confrontées à des salariés qui devront compter sur leur force de mobilisation et leur combativité. C’est le choix de Sandra, qui souhaite mettre les qualifications acquises dans sa longue formation pour changer le monde y compris à l’entreprise, et s’appuiera sur l’action collective pour «  parler, rêver, persévérer  » plutôt que désespérer.

Valérie Géraud