Le barème Macron encore écarté par des juridictions

La justice peut s’affranchir du « barème Macron » plafonnant les indemnités en cas de licenciement injustifié… à condition que le salarié fournisse des données concernant sa situation concrète, permettant de mesurer le préjudice subi. C’est ce qui ressort d’un arrêt du 21 octobre 2022 de la cour d’appel de Douai.

Édition 020 de fin novembre 2022 [Sommaire]

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La justice peut s’affranchir du « barème Macron » plafonnant les indemnités en cas de licenciement injustifié… à condition que le salarié fournisse des données concernant sa situation concrète, permettant de mesurer le préjudice subi. C’est ce qui ressort d’un arrêt du 21 octobre 2022 de la cour d’appel de Douai.

Le barème issu des «  ordonnances Macron  » de l’automne 2017, qui plafonne le montant des dommages-intérêts pour un licenciement injustifié continue d’être contesté. La chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré, le 11 mai 2022, que ce barème n’était pas contraire aux engagements internationaux de la France. En revanche, le Comité européen des droits sociaux, dans sa Décision rendue publique le 26 septembre, a considéré que ce barème est contraire à la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe.

La cour d’appel de Douai (chambre sociale), dans un arrêt du 21 octobre 2022, a jugé qu’au vu de la situation concrète d’un salarié, l’application du barème Macron ne permettait pas une indemnisation adéquate. Il en est ainsi quand des données sont fournies concernant la situation concrète du salarié et les préjudices subis. Verbatim  : 

«  Le juge judiciaire exerce un contrôle de conventionnalité de nature à permettre de s’assurer que les lois françaises sont bien conformes aux conventions et traités internationaux signés par la France et au droit de l’Union européenne, qui ont une valeur supérieure à la loi.

Ces textes internationaux comprennent notamment la convention n°158 de l’Oit, dont le texte a été déclaré d’application directe.

L’analyse du texte objet du contrôle doit s’effectuer au regard de celui de la convention n°158, mais aussi en cohérence avec les textes internationaux applicables en la matière, dont il ressort qu’il n’est pas démontré que le barème, dans certains cas particuliers, et donc dans le cadre d’une analyse in concreto, puisse assurer, dans tous les cas, une protection suffisante des personnes injustement licenciées, et donc que le barème permet une réparation adéquate du préjudice subi ; dans ces hypothèses, il devrait revenir au juge de déterminer un montant en dehors des limites du barème au vu des éléments précis de la cause. Il s’agit alors de contrôler l’application de la norme а une situation précise.

Si la loi doit être la même pour tous, l’application du principe d’égalité des citoyens devant la loi, qui est garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ne doit pas être envisagée stricto sensu, ni même s’opposer au principe de légalité au regard d’une norme internationale telle que celle définie par l’article 10 de la convention n°158 de la convention de l’Oit, alors même que l’article 55 de la Constitution pose le principe de la supériorité des normes internationales.

Au surplus, les éléments pris en compte par le juge pour déterminer le préjudice résultant d’un licenciement injustifié jusqu’alors comprenaient :

  • les circonstances de la rupture, 
  • le montant de la rémunération versée, 
  • l’âge du salarié ou son handicap, 
  • son ancienneté dans l’entreprise, 
  • sa capacité а retrouver un emploi eu égard а sa formation et а son expérience professionnelle, 
  • les conséquences du licenciement а son égard, tels qu’ils résultaient des pièces communiquées et des explications fournies à la cour.

Le principe d’égalité ne s’oppose pas au principe d’individualisation des décisions de justice qui ressort de l’office du juge et de la fonction correctrice de la jurisprudence qui se détermine au cas par cas.

Ce principe est mis en œuvre quotidiennement par les juridictions civiles, en ce inclus les conseils des prud’hommes, sans que leur soit opposé le principe de sécurité juridique et sans qu’il soit besoin d’en limiter l’application si ce n’est par le contrôle juridictionnel déjà prévu en cas d’appel ou de pourvoi en cassation.

Or, le barème impératif ne respecte pas le principe juridique de la responsabilité civile, dit indemnitaire, prévoyant la réparation intégrale du préjudice sans qu’il en résulte ni appauvrissement ni enrichissement de la victime, à défaut de réintégration dans l’emploi, principe qui aurait dû permettre de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute de l’employeur qui l’a licencié de manière illicite n’avait pas été commise.

Par suite, si le plafond prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail n’a été fixé а une date donnée, au vu de 2 374 décisions rendues entre 2013 et 2017 dans le ressort du conseil des prud’hommes de Paris, et dont il a été estimé qu’elles constituaient la jurisprudence en la matière, qu’en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et en considération du salaire moyen, il ne répond manifestement pas au principe de réparation “adéquate” du préjudice défini par les textes internationaux en ne prenant pas en compte l’ensemble des circonstances de la cause.

En ce sens, le texte litigieux ne prévoit aucune clause de dépassement du “barème” qui répondrait aux cas d’espèces et prendrait en compte des circonstances particulières liées notamment aux charges de famille impérieuses ou aux difficultés de retrouver un emploi ; ce mécanisme aurait l’avantage de garantir la sécurité juridique recherchée par le législateur tout en permettant une individualisation de la décision dans des dossiers ne permettant pas l’application de la fourchette imposée par le barème.

Or il est des cas restant exceptionnels dans lesquels l’indemnisation légalement prévue apparaît insuffisante.

Cependant, encore faut-il que le salarié apporte des éléments de nature à permettre au juge, d’une part d’apprécier l’écart entre le préjudice subi et le préjudice indemnisable, et d’autre part de déterminer si des circonstances particulières expliquent cet écart et justifient de prendre en compte la situation personnelle du salarié pour éviter une atteinte disproportionnée à la protection contre le licenciement injustifié. […]

Cependant, encore faut-il que le salarié apporte des éléments de nature à permettre au juge, d’une part d’apprécier l’écart entre le préjudice subi et le préjudice indemnisable, et d’autre part de déterminer si des circonstances particulières expliquent cet écart et justifient de prendre en compte la situation personnelle du salarié pour éviter une atteinte disproportionnée à la protection contre le licenciement injustifié. »

Le jugement des prud’hommes confirmé

Dans cette affaire, la cour confirme le jugement rendu le 27 janvier 2020 par le conseil de prud’hommes de Lens (section commerce) en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. X par la Sasu Suez Rv Nord-Est était sans cause réelle et sérieuse, a condamné la société à lui verser la somme de xxx euros en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile, et à lui remettre les documents sociaux conformes.

La Cour, «  statuant а nouveau,

Condamne en conséquence la Sasu Suez Rv Nord-Est à payer à M. X. les sommes de :

  • xxx euros au titre de l’indemnité de licenciement ;
  • xxx euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre xxx euros au titre des congés payés afférents ;
  • xxx euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif  ».

Dans une autre affaire, dans un autre arrêt du 21 octobre 2022, la cour d’appel de Douai (chambre sociale), juge que «  l’écart entre le préjudice subi et le préjudice indemnisable en application du barème est démontré, ce qui s’explique par des circonstances particulières qui justifient de prendre en compte la situation personnelle du salarié pour éviter une atteinte disproportionnée à la protection contre le licenciement injustifié… […]

Il convient […] au vu de la situation concrète et particulière du salarié, de dire que le montant prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée au regard du préjudice subi…  » Le jugement du conseil de prud’hommes de Lille, (section commerce), du 29 janvier 2020, est «  infirmé en ce qu’il applique le barème  ». 

La cour condamne l’employeur (Sas Trn Propreté) à verser au salarié :

  • la somme de 1 000 euros en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile ;
  • la somme de 30 000 euros au titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Michel Chapuis

  • Bibliographie  : Michel Miné, Droit du travail en pratique, Eyrolles, collection Le grand livre, 31e édition, 2022-2023, 852 pages, 39,90 euros.