Chronique invitée -  Le monde brûle, le capital remet du bois

Édition 015 de mi-septembre 2022 [Sommaire]

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par Sophie Binet, Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

Incendies, canicules, inondations, tempêtes, sécheresses… Cet été nous a offert un avant-goût de ce que pourrait être notre avenir. Pourtant, le capital continue la politique de l’autruche. Pourquoi ? Parce que répondre au défi environnemental exige une remise en cause profonde du logiciel néolibéral. Impossible de faire face au dérèglement climatique sans un renforcement conséquent des services publics : nos pompiers, nos services météo, notre réseau ferroviaire ou encore notre système de santé, après vingt ans d’austérité, sont clairement sous-dimensionnés. Le symbole : les effectifs du ministère de l’Environnement, qui ont baissé de 15 % en cinq ans. Impossible de préparer nos sociétés aux transformations climatiques rapides et violentes sans investir massivement pour isoler les bâtiments, transformer les villes, les modes de transport, etc.

Dans ce contexte, les politiques d’austérité sont criminelles… et c’est pourtant ce que continue à faire le FMI en toute discrétion. Sollicité par des dizaines de pays en développement asphyxiés par l’explosion du prix des matières premières, il impose les mêmes politiques structurelles que celles qui ont mis à genoux l’Amérique latine dans les années 1990 ! Face à l’augmentation durable des prix de l’énergie, l’appareil productif doit évoluer en profondeur : relocaliser et produire en circuits courts, revoir les process pour limiter drastiquement la consommation énergétique et de matières premières, mais aussi transformer des filières entières, à l’image de l’automobile par exemple. La sécurisation de l’emploi est un préalable et les investissements à réaliser sont considérables… mais les profits sont cannibalisés par les actionnaires qui se versent des dividendes record. Lutter contre le réchauffement climatique exige un recul des inégalités entre le capital et le travail. La sobriété à mettre à l’ordre du jour est d’abord celle des plus favorisés : d’après France Stratégie, en France, les 50  % les plus modestes devraient réduire leur empreinte carbone de 4  %, contre 81  % pour les 10  % les plus riches.

La loi du marché est incapable de répondre à des crises. En période de guerre, de crise sanitaire, de crise financière, à chaque fois, pour éviter le pire, les États ont toujours repris la main et mis sous tutelle l’économie. Répondre à la crise environnementale exige une économie administrée, une « planification écologique ». Plus que jamais, la question environnementale et la question sociale sont intimement liées. L’urgence environnementale est un argument de plus pour invalider les politiques austéritaires et montrer les impasses du système capitaliste. À l’image des remises en cause imposées par le Covid – suspension du pacte de stabilité, relance monétaire, intervention de l’État… –, elle peut permettre de faire voler en éclats les dogmes mortifères.

La lucidité n’a jamais été aussi forte, l’absence de perspectives collectives la transforme en éco-anxiété paralysante. Ce n’est pas seulement de l’interdiction des jets privés qu’il faut débattre mais d’un changement de logiciel ! Nous n’offrirons pas de perspectives crédibles à la jeunesse si nous ne traitons pas de l’urgence environnementale dans et hors de l’entreprise. Pas question que la seule façon d’exercer un travail qui ait du sens pour les jeunes ingénieurs sortant des écoles les plus prestigieuses soit de se reconvertir en maraîchers bio ! Bifurcation oui, désertion non !

Chronique initialement publiée dans l’Humanité Magazine du 29 aout 2022