La loi climat ne prévoit rien pour contraindre les entreprises à réduire leur fort impact sur le réchauffement climatique. Les salariés n’en disposent pas moins de leviers pour leur imposer des pratiques plus vertueuses.
La loi « climat et résilience » examinée depuis le 8 mars à l’Assemblée nationale s’annonce peu ambitieuse. Par exemple, elle n’engage pas les pouvoirs publics dans des financements d’envergure pour la rénovation thermique de l’habitat, le développement des transports collectifs, du chemin de fer ou des circuits économiques courts, pour des relocalisations. Autant d’activités pourvoyeuses de dizaines de milliers d’emplois et qui contribueraient à l’accélération de la transition écologique.
Par ailleurs, la loi s’en remet à la bonne volonté des entreprises pour « favoriser la décarbonation des modes de production ». Rien qui ne les contraigne réellement à réévaluer l’ensemble de leurs pratiques pour réduire leur impact environnemental. La moitié des émissions mondiales de CO2 sont pourtant le fait de seulement 100 entreprises. Mais, en invoquant la « résilience », outre l’effet de mode, cette loi ne s’accommode-t-elle pas d’emblée d’un certain fatalisme ?
Le capitalisme vert, comme la couleur du dollar ?
À l’instar des 150 participants de la Convention citoyenne pour le climat, qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour proposer des mesures engageant concrètement la société vers un modèle de développement plus vertueux, les salariés ne se résolvent pas à l’inaction. Nombre d’entre eux savent que si les gestes individuels de la vie quotidienne peuvent faire bouger les lignes, aucun changement d’ampleur ne s’accomplira si rien n’est fait au sein des entreprises. Par ailleurs, les salariés, et pas seulement les plus jeunes, ne conçoivent plus d’agir à l’inverse de leurs convictions quand ils sont au travail.
La bataille environnementale au sein de l’entreprise s’affirme d’autant plus incontournable qu’elle n’est plus perçue comme contradictoire avec les intérêts sociaux et l’emploi. En témoigne par exemple l’actuelle mobilisation pour la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne. Improbable encore il y a peu, elle rassemble les salariés et leurs syndicats, à commencer par la Cgt, mais aussi Greenpeace, Oxfam, Les Amis de la Terre et un ensemble d’organisations de défense de l’environnement. Il faut dire que Total essaie de mettre sur le dos de l’écologie la reconversion du site en « plateforme zéro pétrole » et la suppression de 200 des 460 emplois (plus 500 emplois indirects minimum) !
Les agrocarburants contribuent à la déforestation
Le site ne raffinerait plus de pétrole brut et serait dédié aux agrocarburants et au recyclage du plastique, des activités pourtant pas sans impact environnemental, puisque les agrocarburants contribuent à la déforestation, et que le recyclage du plastique n’est pas possible sans ajout de dérivés de produits pétroliers. Par ailleurs, Total devrait alors importer davantage de pétrole raffiné du Moyen-Orient ou d’Asie, alourdissant ainsi le coût écologique pour ces pays, qui ne respectent pas mieux les normes sociales, et le coût économique pour les Français qui, pour l’heure, ont encore besoin de produits pétroliers. Cette opération de greenwashing évite aussi à Total d’investir 500 millions d’euros pour entretenir son oléoduc Le Havre-Grandpuits. Les salariés et associations travaillent désormais ensemble à un projet alternatif et pérenne.
Tout est lié, et la défense de l’environnement, comme celle de la santé, devient un motif légitime de mobilisation collective dans les entreprises. Quant à ces dernières, certaines commencent à comprendre, parfois sous la pression de leurs actionnaires, que réduire leur impact écologique n’est pas qu’une question d’image, mais aussi de maîtrise du ratio qualité-coût. Elles disposent de marges pour examiner leur mode de production, la gestion de leurs approvisionnements, de leurs déchets, de leurs bâtiments, leur logistique sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Bien au-delà du changement des touillettes plastiques pour le café, elles pourraient même gagner de l’argent tout en améliorant la qualité de vie et le pouvoir d’achat des salariés.
Réduire l’impact environnemental d’une activité : à bénéfice partagé
C’est ce dont témoigne le juriste Arnaud Casado, maître de conférences à l’université Paris-I, qui œuvre à construire et à consolider des passerelles entre droit du travail et droit environnemental, au travers de ce qu’il a défini sous le concept de « droit social à vocation environnementale » (1). Il a récemment été sollicité pour intervenir auprès d’élus et de syndicalistes Cgt à l’union départementale de Paris : « Il ne s’agit pas de minimiser l’importance des actions syndicales classiques, y compris pour gagner de nouveaux droits, explique Christian Galani, responsable de la formation syndicale à l’Ud et juriste lui-même, mais d’éclairer comment la collectivité de travail peut d’ores et déjà peser sur certains choix des entreprises, avec un triple bénéfice, pour l’environnement, pour l’entreprise et pour les salariés. »
Arnaud Casado y a évoqué quelques exemples d’actions concrètes, notamment pour décarboner les mobilités. Celui d’une entreprise qui a formé ses salariés à l’écoconduite lors des déplacements. L’environnement y a gagné une réduction de ses émissions de CO2 (moins 2 000 tonnes en un an), l’entreprise dépense moins en carburant (plus 400 euros de crédits d’impôt par salarié concerné) et les salariés ont touché une prime carburant de 1 000 euros.
« Les entreprises ne résistent pas au changement si elles ont à y gagner »
Dans le Rhône, une autre entreprise a réorganisé les horaires de travail de ses salariés pour qu’ils puissent prendre certains trains et gagner du temps, se rendre au travail en covoiturage avec d’autres collègues, ou utiliser leur vélo : là aussi gains en qualité de vie et gains financiers pour tous. « De nombreuses ressources sont mobilisables, ajoute Arnaud Casado. Des accords de télétravail bien négociés, de l’intéressement qui peut aussi intégrer la dimension responsabilité sociale et environnementale, une gestion avisée des activités sociales et culturelles du comité d’entreprise. C’est comme quand on joue aux cartes, même si on n’a pas en main toutes les cartes espérées, on peut quand même essayer de jouer la partie. Les entreprises ne résistent pas au changement si elles ont à y gagner. Et le syndicalisme traditionnel ne peut pas ignorer ces préoccupations, sinon d’autres organisations s’en saisiront. »
L’Ugict pilote d’ailleurs un projet baptisé Radar environnemental, avec à l’esprit que les salariés ont une expertise à faire valoir sur ces questions, et doivent pouvoir peser sur les orientations et les pratiques de leur entreprise. D’autant plus quand ils sont en responsabilité et susceptibles d’être impliqués au civil ou au pénal en cas d’impact grave sur la santé ou sur l’environnement…
Les salariés revendiquent leur responsabilité environnementale, l’Ugict les accompagne.
Face à la lenteur des décisions politiques et à l’inaction de la plupart des entreprises, les salariés refusent l’impuissance. En tant que citoyens, mais aussi parce qu’ils savent qu’une activité ne prenant pas en compte les enjeux climatiques ne sera pas pérenne. Dans cet esprit, l’Ugict développe ses outils pour aider les salariés à intégrer la notion d’impact environnemental à leur activité professionnelle.
Le syndicat diffuse son « Manifeste pour la responsabilité environnementale », réaffirmant ses principes et ses priorités. Notamment intégrer ces enjeux dès les formations, en particulier celles des ingénieurs, et gagner de nouveaux droits dans l’entreprise : « Limitée à un devoir de loyauté envers les directives financières, la responsabilité professionnelle doit être réhabilitée et adossée à l’intérêt général, avec un droit de refus et de proposition alternative, pour faire primer l’éthique et la déontologie professionnelles. »
Le collectif ingénieurs de l’Ugict, récemment constitué, travaille à la définition d’un « droit d’alerte technologique », pour « défendre la technicité des ingénieurs mais également un regard sur leur travail, avec la volonté de mettre les qualifications au service de la réduction de l’impact environnemental et de l’élaboration de produits répondant aux besoins sociaux ».
Autre chantier en cours, qui fera l’objet d’une présentation détaillée d’ici à l’été, l’Ugict va mettre à disposition des salariés un « outil d’évaluation de l’impact environnemental » des entreprises, avec l’aide de militants, de fédérations et de collectifs confédéraux (notamment chargés de l’industrie et de l’environnement) investis sur la question, et du cabinet d’expertise Secafi. Les salariés qualifiés en responsabilité veulent utiliser leur pouvoir décisionnel et leur place dans les entreprises pour redonner de la finalité et du sens à leur travail, en particulier sur cet enjeu mobilisateur, et pas seulement chez les plus jeunes : « L’outil permettra aux Ictam, à partir des informations dont ils bénéficient dans le cadre de leur travail, d’évaluer l’impact environnemental de leur entreprise et de faire des propositions pour le réduire en construisant un rapport de force », souligne l’Ugict.
Baptisé Radar environnemental, l’outil sera participatif – fondé sur la micro-expertise de chacun, évolutif et adaptable à chaque situation de travail. Des kits complets et une formation seront mis à disposition. Il va être expérimenté ce printemps par les syndicats de Thales, Saint-Gobain et Orange, avant un lancement en septembre. V. G.
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