La crise du Covid a été une aubaine : l’employeur a parfaitement tiré les enseignements de la crise économique et financière de 2008 et de ses aides massives octroyées sans contraintes ni contreparties.
Côté pile : en ce début de mois de septembre, c’est avec un bel optimisme que la presse économique annonce la relance, chez Renault Trucks, de la production de camions 100 % électriques, mise en sommeil au tout début de la crise du coronavirus. Une bouffée d’oxygène pour les 1 650 salariés et les près de 300 intérimaires de l’usine de Blainville-sur-Orne, dans le Calvados, dont l’établissement avait été à l’arrêt pendant le confinement. À l’horizon 2025, les véhicules électriques devraient représenter 10 % des volumes de vente.
Côté face : au début de l’été, le même groupe annonce la suppression de 463 emplois en France, essentiellement des cadres et techniciens des domaines des études, de la recherche et développement. C’est la conséquence directe d’un vaste plan de réorganisation et de suppressions d’emplois mis en œuvre par le groupe Ab Volvo, dont Renault Trucks Sas est une filiale, visant 4 100 emplois de « cols blancs » dans le monde. En France, deux sites sont particulièrement touchés, à Bourg-en-Bresse (35 salariés) et à Saint-Priest (285), tous deux dans la région Rhône-Alpes.
Suppressions d’emplois mais augmentation des cadences
Il n’aura pas fallu longtemps après l’accord sur l’activité partielle et l’effort salarial consenti par les cadres (voir Options n° 657) pour que les mauvaises nouvelles tombent. C’est que la crise du coronavirus est passée par là, obligeant la direction à prendre acte des difficultés économiques de l’entreprise et de la baisse programmée du marché des véhicules industriels. C’est du moins les arguments qu’elle cherche à imposer. Mais que la Cgt conteste : l’action est en hausse, les dividendes 2020 sont supérieurs à ceux versés en 2017, la trésorerie est suffisante pour passer la crise… la situation économique du groupe Volvo est loin d’être dans le rouge. Dès le mois de juillet, les commandes sont reparties à la hausse, pour atteindre 90 % du volume normal ce qui n’a d’ailleurs pas empêché l’entreprise de vouloir proroger l’accord sur l’activité partielle. La rentrée a confirmé cette tendance : « un Cse extraordinaire s’est vu signifier une augmentation des cadences jusqu’à la fin de l’année sur les sites de Bourg-en-Bresse et de Blainville, souligne ainsi Fabrice Fort, délégué syndical central Cgt de Renault Trucks. S’il ne s’agit pas de sous-estimer l’impact de la pandémie, il ne faut pas non plus en faire un prétexte pour supprimer des emplois. »
Produire des véhicules moins polluants
De la même manière, il ne s’agit pas de sous-estimer les défis industriels auxquels le groupe est confronté, avec en particulier l’obligation de produire des véhicules de plus en plus propres. Alors que les camions seraient responsables d’environ 8 % des émissions de dioxyde de carbone en France et représentent un quart des émissions du transport routier en Europe, de nouvelles normes européennes vont devoir être prises en compte, extrêmement contraignantes en termes d’émissions de Co2 : – 15 % dès 2025 par rapport à 2019, puis – 30 % en 2030. Mais justement : « Nous avons devant nous des échéances environnementales importantes pour lesquelles nous avons tous les savoirs et les compétences, explique la Cgt. Plutôt que de licencier, il faut mieux former, embaucher et investir pour améliorer écologiquement les solutions de transports et être présents avec de nouvelles technologies. » Ce n’est visiblement pas la stratégie décidée par le groupe Volvo qui, avec ce nouveau plan, cherche à réduire son budget de recherche et développement d’environ 35 %.
Comment comprendre cette stratégie ? Elle est la combinaison de deux phénomènes, analyse en substance Fabrice Fort. Le premier renvoie au Monopoly capitalistique qui a bousculé Ab Volvo avec l’arrivée d’un nouvel actionnaire ayant ses exigences de rentabilité et de « rationalisation », en l’occurrence le constructeur chinois Geely, également actionnaire de Daimler. Le second s’inscrit dans un mouvement général qui touche là aussi, depuis plusieurs années, l’industrie manufacturière, dont l’automobile : « Dans les années 1990, explique le délégué syndical, on a externalisé les productions des donneurs d’ordres vers les sous-traitants qui, en cascade, les ont délocalisées dans les pays à bas coût. C’est désormais la recherche et développement qui est touchée, au risque de fragiliser toute l’entreprise. »
Cela va même plus loin : les suppressions d’emplois dans l’ingénierie se font simultanément à une réorganisation d’ensemble et à un redécoupage de toutes les responsabilités du groupe. Schématiquement : les sites français ne feront plus de « gammes hautes » avec les nouvelles technologies comme l’hydrogène ou le véhicule autonome, mais des gammes dites « intermédiaires » qui constitueront une entité à part. « Aucune nouvelle technologie ne sera plus développée sur Lyon. Alors que nous étions un centre d’étude et de recherche, nous devenons ainsi un centre d’application, responsable de l’installation des composants sur les véhicules, explique Fabrice Fort. Le changement est brutal pour les salariés qui ne travaillent plus dans la même entreprise qu’avant le confinement. »
Construire un contre-projet industriel
En théorie d’ailleurs, tous devaient être de retour sur site début septembre. La réalité est plus complexe : avec la prorogation de l’accord sur l’activité partielle au moins jusqu’au 30 octobre, refusée par la Cgt, et l’incitation à poursuivre en partie le télétravail, la présence sur le lieu de travail se fait par rotations pour la plupart des salariés. « La direction le sait, cela complique en effet notre travail, reconnaît le délégué syndical central, mais ça ne l’empêche pas. Notre difficulté à nous inscrire dans un calendrier de mobilisation tient surtout à l’état d’esprit des salariés, déjà assommés par plusieurs mois de pandémie, et à la nécessité de mener plusieurs chantiers de front » : la négociation en cours de la rupture conventionnelle collective, le travail d’argumentaire et d’explication sur les choix stratégiques cachés du groupe Volvo, la construction d’un contre-projet industriel…
À défaut, le risque est réel de voir Renault Trucks devenir le parent pauvre du groupe suédois alors que, paradoxe, la France reste un marché majeur pour les ventes de véhicules industriels en Europe. Un affaiblissement qui s’opère dans l’indifférence des pouvoirs publics, alors que la Cgt et son Ugict ont fait la proposition d’une table ronde sur les solutions de transports réunissant acteurs publics et représentants des industriels (constructeurs, transporteurs, logisticiens…). Il entre, en outre, en résonance avec le plan de relance de 100 milliards d’euros annoncé par le gouvernement au début du mois : si ses objectifs affichés sont notamment de favoriser des relocalisations et d’accélérer la transition écologique, voilà une entreprise, Renault Trucks, 7 350 salariés au total, affaiblie par la délocalisation de ses capacités de recherche et développement dans des domaines susceptibles, justement, de répondre aux enjeux environnementaux et à la demande de nouveaux véhicules industriels, moins polluants. « C’est très dangereux pour la survie de notre groupe », alertent dans un communiqué l’ensemble des représentants du personnel du groupe suédois.
La crise du Covid n’y est pas pour grand-chose, seulement accélératrice de choix de réorganisation pensés antérieurement. Mais elle est une aubaine : « Le capital, avec les aides massives alors octroyées aux entreprises sans contraintes en termes de contreparties, a parfaitement tiré les enseignements de la crise économique et financière de 2008 », note Fabrice Fort qui resitue dans ce contexte l’importance des aides publiques reçue par Renault Trucks : 20 millions d’euros au titre du financement de l’activité partielle ; une moyenne de 13 millions d’euros par an sur la période 2012-2018 en crédit impôt recherche. Bis repetita : avec le plan de relance 2020, le gouvernement, lui, « n’a retenu aucune leçon », dénonce la Cgt dans un communiqué. En témoigne l’exonération des impôts de production à hauteur de 10 milliards d’euros par an, accordée sans conditions. « Je fais totalement confiance aux entreprises pour qu’elles jouent le jeu », s’est contenté de dire Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance : en voici une démonstration.
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