La jurisprudence apporte des précisions concernant la désignation du délégué syndical, en précisant les marges de liberté de l’organisation.
Un Ds peut être désigné parmi les adhérents du syndicat à certaines conditions (Cour de cassation, chambre sociale, 8 juillet 2020, Sté Vandemoortele Bakery Products France c/ M. G. et autres).
Ce que dit le Code du travail
Article L. 2143-3 du Code du travail (modifié par la loi du 29 mars 2018 de ratification des ordonnances de l’automne 2017)
Chaque organisation syndicale représentative (Osr) dans l’entreprise ou l’établissement d’au moins 50 salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections au Cse, quel que soit le nombre de votants, un ou plusieurs Ds.
Si aucun des candidats présentés par l’organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions ci-dessus, ou s’il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, – ou si l’ensemble des élus qui remplissent ces conditions renoncent par écrit à leur droit d’être désigné Ds, une Osr peut désigner un Ds parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement, ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d’exercice du mandat au Cse.
Faits et procédure
Le 11 février 2019, l’Ud-Cgt de l’Ariège a notifié à la société Vandemoortele Bakery Products France la désignation de M. G., simple adhérent, en qualité de Ds au sein de l’établissement du Fossat, en remplacement de M. Y.
L’employeur a saisi le tribunal d’instance afin d’obtenir l’annulation de cette désignation. Le tribunal d’instance de Foix, le 22 mars 2019, a rejeté la demande de l’employeur. L’employeur s’est pourvu en cassation.
Arguments de l’entreprise
La société fait grief au jugement de la débouter de sa demande d’annulation de la désignation de M. G. en qualité de Ds, alors :
1°/ qu’il résulte de l’article L. 2141-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-2017 du 29 mars 2018, applicable au litige, que l’organisation syndicale représentative, qui ne peut désigner comme délégué syndical un candidat ayant recueilli à titre personnel au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, soit parce qu’aucun des candidats qu’elle a présentés ne remplit cette condition, soit parce que l’« ensemble des élus » remplissant cette condition ont renoncé par écrit à leur droit d’être désigné délégué syndical, doit désigner par priorité un délégué syndical « parmi les autres candidats » et que ce n’est qu’à défaut de pouvoir procéder à une telle désignation, que l’organisation peut procéder à la désignation d’un adhérent ou d’un ancien élu ; qu’il en résulte que ce n’est qu’à défaut d’autres candidats susceptibles d’être désignés que le syndicat peut désigner comme délégué syndical un de ses adhérents dans l’entreprise ; qu’au cas présent, la société Vandemoortele Bakery Products France faisait valoir qu’il existait plusieurs candidats, dont MM. D., S. et P., qui avaient été élus et n’avaient manifestement pas renoncé à être désignés délégué syndical, de sorte que le syndicat Cgt ne pouvait prétendre nommer un adhérent qui ne s’était pas porté candidat aux élections ; qu’en jugeant le contraire, au motif inopérant que les candidats n’ayant pas renoncé à être désignés délégué syndical n’appartenaient pas au syndicat Cgt, le tribunal d’instance a violé le texte susvisé ;
2°/ que les prérogatives légales sont conférées au délégué syndical non pas dans l’intérêt du syndicat représentatif qui l’a désigné, mais dans celui de l’ensemble des salariés de l’entreprise ou de l’établissement ; qu’en énonçant, pour débouter l’employeur de sa demande d’annulation comme délégué syndical d’un adhérent du syndicat qui ne s’était pas présenté aux dernières élections professionnelles, que « le délégué syndical n’est pas une institution représentative du personnel à proprement parler, mais un représentant du syndicat qu’il a désigné », le tribunal d’instance a violé par fausse application les articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L. 2143-1 du Code du travail ;
3°/ qu’en toute hypothèse, en cas de renonciation de l’ensemble des élus présentés par l’organisation syndicale, cette dernière ne peut procéder à la désignation d’un adhérent au sein de l’établissement ou de l’entreprise qu’à défaut d’autres candidats aux élections susceptibles d’être désignés ; que le texte ne prévoit aucune faculté de désigner un simple adhérent en cas de renonciation de l’ensemble des candidats ; qu’au cas présent, la société exposante faisait valoir, sans être contredite, que le syndicat Cgt disposait de candidats non élus, de sorte qu’il ne pouvait prétendre désigner un adhérent qui ne s’était pas présenté aux dernières élections ; qu’en refusant d’annuler la désignation au motif que l’ensemble des candidats, même ceux qui n’avaient pas été élus, avaient renoncé à être désignés, le tribunal d’instance a violé l’article L. 2143-3 du Code du travail.
Réponse de la Cour de cassation, chambre sociale
L’article L. 2143-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique.
Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l’organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s’il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l’ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d’être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d’exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l’article L. 2314-33.
S’agissant de l’article L. 2143-3, alinéa 2, du Code du travail, tel qu’issu de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, qui disposait « s’il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement », la Cour, après consultation de l’ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés et d’employeurs, a décidé que cette obligation n’a pas pour objet ou pour effet de priver l’organisation syndicale du droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le Code du travail ou les accords collectifs dès lors qu’elle a présenté des candidats à ces élections dans le périmètre de désignation. Elle en avait déduit que s’il n’est pas exclu qu’un syndicat représentatif puisse désigner un salarié candidat sur la liste d’un autre syndicat qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l’accepte librement, l’article L. 2143-3 du Code du travail n’exige pas de l’organisation syndicale qu’elle propose, préalablement à la désignation d’un délégué syndical en application de l’alinéa 2 de cet article, à l’ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10 %, toutes listes syndicales confondues, d’être désigné délégué syndical.
Par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le législateur a entendu éviter l’absence de délégué syndical dans les entreprises.
Il en résulte qu’il y a lieu à nouveau de juger que, s’il n’est pas exclu qu’un syndicat puisse désigner un salarié candidat sur la liste d’un autre syndicat, qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l’accepte librement, l’article L. 2143-3 du Code du travail n’exige pas de l’organisation syndicale qu’elle propose, préalablement à la désignation d’un délégué syndical en application de l’alinéa 2 de l’article précité, à l’ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10 %, toutes listes syndicales confondues, d’être désigné délégué syndical.
Par ailleurs, eu égard aux travaux préparatoires à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la mention du même texte selon laquelle « si l’ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d’être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d’exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l’article L. 2314-33 », doit être interprétée en ce sens que lorsque tous les élus ou tous les candidats qu’elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l’organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l’un de ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement ou l’un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.
Dès lors, ayant constaté que M. Y., précédent délégué syndical désigné par le syndicat, avait démissionné de ses fonctions et que les autres candidats de la liste du syndicat avaient renoncé à exercer les fonctions de délégué syndical sur le site, le tribunal en a déduit à bon droit que le syndicat avait valablement désigné l’un de ses adhérents, M. G., en qualité de délégué syndical de l’établissement.
Par ces motifs, la Cour rejette le pourvoi de l’employeur.
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