Salaires : l’expérience belge d’une « échelle mobile »

Introduite en 1952 en France, l’échelle mobile des salaires s’est maintenue jusqu’en 1982. En 2022 il s’agit de la réhabiliter : la Cgt le réclame et c’est possible. Outre-Quiévrain, le modèle fonctionne depuis plus d’un siècle. Entretien avec Olivier Starquit, de la Fédération générale du travail de Belgique.

Édition 018 de fin octobre 2022 [Sommaire]

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Options - Le journal de l'Ugict-CGT
© Babouse
Introduit en 1952 en France, ce mécanisme d’indexation automatique sur les prix s’est maintenu jusqu’en 1982. Il s’agit de le réhabiliter : la Cgt le réclame et c’est possible. De quoi s’agit-il ? Entretien avec Olivier Starquit, directeur des services syndicaux à la Centrale générale des services publics de la Fgtb (Fédération générale du travail de Belgique).

Options  : Sur quel principe se fonde le système d’indexation automatique des salaires sur les prix en Belgique  ?

Olivier Starquit  : Sur un principe tout simple  : chaque fois que les prix des produits et des services à la consommation augmentent, les salaires, prestations et pensions versés doivent suivre la même progression.

Sur quels éléments se fondent l’évaluation de la hausse des prix  ?

La clef de ce dispositif, c’est un indice de l’évolution mensuelle moyenne des prix sur tout le territoire. Soixante-cinq localités servent pour cela de référence, sur un panier de 600 produits et services témoins. Sur cette base, les services de l’État produisent un indice des prix à la consommation qui définit le pourcentage de progression à partir duquel s’impose, ou non, une hausse semblable des salaires mais aussi de toutes les prestations sociales, qu’il s’agisse des allocations chômage ou des indemnités versées aux personnes handicapées. Et, bien sûr aussi, des pensions de retraite.

Les éléments choisis pour définir cet indice ne sont pas neutres. Sur quelle base sont-ils sélectionnés  ?

Concrètement, c’est une commission dédiée qui est chargée de retenir telle ou telle référence. Elle est composée de représentants du monde académique et des partenaires sociaux. Bien sûr, le choix des «  témoins  » constitue un enjeu majeur. Que le chapeau-melon ait disparu de la liste au cours des années 1950 ne pose de problème à personne. Que le patronat ait réussi à obtenir depuis 1994, que l’indice ne tienne plus compte du tabac, de l’alcool ni de l’essence, est une autre affaire.

Diriez-vous que le niveau d’ajustement des salaires et des prestations sociales en a été directement affecté  ?

Évidemment. Exclure le prix de l’essence de la définition de l’indice a fortement entamé la perception que l’on peut avoir de l’état du pouvoir d’achat des ménages. Et on va le comprendre plus encore dans les semaines et les mois qui viennent. Toute entorse dans l’appréciation de la hausse des prix pèse forcément sur le budget des ménages. Et pour longtemps. La décision du gouvernement, en 2014, de ne pas tenir compte de la hausse des prix – pourtant de 2  % – affecte encore le niveau de vie des salariés. Ces 2  % qui n’ont pas été accordés manquent et manqueront pendant des années.

Comment votre système d’indexation automatique des salaires sur les prix s’articule-t-il avec la négociation en entreprise  ?

Attention à ne pas confondre. Chez nous, l’indexation automatique des salaires sur les prix a vocation à protéger le pouvoir d’achat de tout un chacun, non à garantir des augmentations de rémunérations. En Belgique, celles-ci se définissent en dehors de l’inflation. Elles se déterminent, pour commencer, dans le cadre d’un accord interprofessionnel qui fixe une norme-plancher d’augmentation à laquelle aucune branche ni entreprise ne peut déroger. Puis, nous avons des négociations de branches qui déterminent le niveau minimal de progression des rémunérations dans un secteur donné. Enfin, existent des négociations d’entreprise. Mais, il faut le savoir, ces dernières sont peu fréquentes.

Le modèle salarial est donc fondé sur deux approches différentes  : d’un côté l’indexation, de l’autre la progression  ?

Exactement. Et pour nous, cette double approche est fondamentale  : l’une n’entame pas la validité de l’autre. Bien au contraire, toutes deux sont indispensables Pour les salariés comme pour le mouvement syndical belge, l’«  index  » est d’ailleurs un fétiche. Touchez à l’«  index  » et tout le monde descend dans la rue. Ce modèle est un puissant facteur de solidarité qui assure à tous, salariés des petites entreprises comme des plus grandes, chômeurs et retraités, une même protection du pouvoir d’achat. Nul ne peut accepter de le perdre.

Y a-t-il un débat aujourd’hui autour de l’universalité du modèle  ? Autrement dit, l’application uniforme des augmentations aux cadres supérieurs comme aux ouvriers et employés est-elle toujours acceptée  ?

Oui, elle l’est. Et la Fgtb en défend le principe. Ceux qui, du côté du patronat, aimeraient bien en finir avec l’indexation, usent de cet aspect des choses pour tenter de le discréditer. Ils le font en prétendant qu’une modulation de l’index en fonction du niveau de rémunération assurerait un système plus juste. C’est une véritable supercherie. Qui plus est, c’est oublier ce que les cotisations des salariés percevant des rémunérations élevées apportent au financement du système de protection sociale. Évidemment, l’indexation automatique des salaires a un coût. Mais, disons-le clairement  : elle diminue aussi le nombre des conflits salariaux et, en soutenant la consommation, assure un puissant amortisseur économique. Et, semble-t-il, elle n’entame nullement le niveau des dividendes versé aux actionnaires… Les récits catastrophistes que livrent le patronat à ce sujet ne servent qu’un seul objectif  : une diminution des salaires et moins de sécurité sociale, de façon à maintenir les bénéfices des entreprises à un niveau élevé. C’est tout.

Propos recueillis par Martine Hassoun

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