Entretien -  À Cannes, la Cgt maintient son lien historique avec le festival

Membre du conseil d’administration du festival de Cannes comme membre fondateur, elle y conserve sa voix et sa place. Le festival ? Un lieu également de rencontres professionnelles et de luttes.

Édition 012 de mi-juin 2022 [Sommaire]

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Salon réservés aux professionnels, le marché du film est aussi un lieu où sont organisés conférences et débats. La Cgt y est présente.
Membre du conseil d’administration du festival de Cannes comme membre fondateur, elle y conserve sa voix et sa place. Le festival ? Un lieu également de rencontres professionnelles et de luttes.

Une marée de festivaliers en costumes et noeuds papillons, un tapis rouge, des photographes, des journalistes, de grands acteurs et actrices et… la Cgt. C’est qu’elle a une place toute particulière au festival de Cannes. « C’est un combat permanent d’expliquer pourquoi nous y sommes. Au sein de la Cgt il y a encore probablement une majorité de personnes qui ignorent que le festival n’existerait pas sans elle et les raisons pour lesquelles elle a, en 1946, participé à sa création  » (voir encadré), explique Denis Gravouil, secrétaire général de la Cgt Spectacle. Beaucoup retiendront la projection du film Top Gun pour montrer que les studios américains sont aussi à Cannes, mais le plus grand festival de films au monde en terme de films projetés met aussi en lumière des films audacieux et originaux qui témoignent d’une grande diversité culturelle et bénéficient d’une large médiatisation.

Le festival de Cannes est un événement créé par la puissance publique et doit le rester. Son Conseil d’administration est composé de 28 membres, dont un représentant de la Cgt Spectacle. Si certains rêveraient d’invisibiliser le syndicat, il y conserve sa voix et sa place  : difficile, comme membre fondateur, de l’écarter de l’organisme…

C’est aussi un lieu qui permet d’évaluer l’influence des différents acteurs du secteur entre la municipalité de Cannes, le Cnc (Centre national du cinéma), les syndicats de techniciens, de réalisateurs, de producteurs… Pour Denis Gravouil, membre du conseil d’administration, l’un des enjeux est de faire obstacle à la stratégie des grandes marques voulant utiliser le festival comme vitrine publicitaire. « Il y a une pression pour qu’il soit accaparé par des publicitaires »  : pour l’instant, ces derniers n’ont pas réussi à obtenir d’annonce publicitaire dans la salle ou sur le tapis rouge.

Le syndicat conserve aussi un stand au marché du film où ses syndiqués se retrouvent et sont reçus par Laurent Blois-Lascaud, délégué général du Spiac-Cgt (Syndicat des professionnels des industriels de l’audiovisuel et du cinéma), chaque jour entre 10 heures et 13 heures. Ces stands sont des lieux de rencontres professionnelles. Ils permettent aussi de s’inscrire aux séances du théâtre Grand Lumière pour découvrir les films de la compétition, la Cgt conservant en effet des places à attribuer en dehors de la billetterie classique pour les techniciens et les artistes qu’elle représente.

La système de soutien au cinéma est fragilisé par l’essor des plateformes.

Un système de soutien au cinéma de plus en plus précaire

Durant deux semaines, c’est tout un monde qui se réunit pour célébrer le septième art. « Tous les décideurs y sont. Le Cnc organise des tables rondes. Les organisations comme Audiens rendent compte de chiffres de l’emploi dans la production audiovisuelle et du cinéma. De nombreux journalistes sont aussi présents. C’est donc un moyen d’attirer l’attention sur les questions qui se posent », explique Denis Gravouil. Les distributeurs, les producteurs, les réalisateurs, les acteurs, les techniciens se retrouvent pour présenter des films, sélectionnés ou non. Si la montée des marches concentre l’essentiel de l’attention, au sous-sol du Palais, c’est une toute autre histoire qui se joue.

Le marché du film est ainsi un immense salon, réservé aux professionnels, où les entreprises de production de films vendent leurs prochains films aux distributeurs, où les réalisateurs financent leurs projets. C’est aussi un lieu où sont organisés des conférences et des débats. Par exemple, cette année, la place des plateformes (Netflix, Amazon…) dans l’industrie du cinéma : «  De ce fait, tout l’équilibre du système de soutien au cinéma est précaire. Comment allons-nous réussir à les mettre à contribution dans le système d’aide, alors qu’elle s’y refusent, est un défi permanent  », souligne le secrétaire général de la Cgt Spectacle. Parce qu’être à la Cgt ou la représenter suppose de se battre pour être invité, c’est souvent, depuis l’assistance, qu’elle peut s’exprimer. 

Les rencontres professionnelles permettent également de nouer des échanges moins formels. Parmi les sujets évoqués cette année, la contribution à l’audiovisuel public, la suppression annoncée inquiétant aussi le secteur du cinéma, dont le financement dépend en partie des chaînes de service public… «  France Télévisions est en plus devenu cette année le prestataire de diffusion du festival à la place de Canal+.  » rappelle Denis Gravouil.

Cannes est aussi un lieu de luttes. En 2004, les coordinations d’intermittents s’y étaient données rendez-vous à Cannes, réunissant entre 300 à 400 personnes en assemblée générale et organisant une manifestation historique sur la croisette. «  Nous avions alors négocié de pouvoir monter les marches avec le mot «  Négociation  » dans le dos. En Ag, cela avait été tendu de le faire accepter. Ils voulaient empêcher le festival  », se souvient le représentant de la Cgt.

Lieu de lutte enfin à la tribune, même si le festival a une image «  glamour  » et «  paillettes  ». Lors de la cérémonie de clôture de la 75e édition, les frères Dardenne ont ainsi dédié leur prix au boulanger de Besançon qui avait fait une grève de la faim pour sauver son apprenti sans papier menacé d’expulsion  ; la palme d’or de cette édition est revenue au film Triangle of Sadness qui propose une satire du capitalisme contemporain. 

Arthur Brondy

Avec la volonté des ouvriers Cgt

C’est en 1946 que le Festival de Cannes voit enfin le jour. Après un faux départ en 1939 pour cause de guerre, cette seconde tentative aurait pu connaitre le même sort. Tout, en effet, était détruit et sans la volonté des ouvriers de la Cgt, le festival n’aurait pas eu de lieu pour pouvoir se tenir. « Les ouvriers allaient dérober le matériel nécessaire sur les chantiers voisins et la première édition a lieu alors que le toit n’était pas fini. Voilà comment la Cgt a participé ! », résume Jean Voirin ancien secrétaire général de la Cgt Spectacle croisé à Cannes. Une histoire notamment racontée dans le livre « L’écran rouge, syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo », par Tangui Perron (Editions de l’Atelier, 2018) .

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