Deux études de l’Apec et de l’Anact montrent que le travail mixant présence et distance a imposé de nouvelles modalités de régulation et de contrôle.
« Stop and go », « présence et distance » : quel que soit le binôme choisi pour les qualifier avec plus ou moins de justesse, les organisations du travail « hybrides » se sont imposées à la faveur de la crise sanitaire en faisant éclater la règle des trois unités : temps, lieu, action. Parce qu’elles ont imposé une nouvelle manière de contrôler, de réguler et de soutenir le travail, ces organisations ont fortement impacté le management, en particulier le management de proximité. Dans quelle mesure ? Comment ? Pour quelles conséquences sur les pratiques de ressources humaines ? Deux études complémentaires, l’une menée par l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), l’autre par le réseau régional de l’Association nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) permettent à la fois de mieux quantifier le phénomène, d’en souligner les risques et les points de vigilance.
Responsable du pôle études de l’Apec, Emmanuel Khan s’appuie sur des enquêtes qualitatives de septembre 2021 pour, d’emblée, relativiser la pratique du télétravail. Elle est en effet le fait d’une minorité d’entreprises (un tiers), avec des écarts importants selon la taille et les secteurs. Sans surprise : davantage mis en place dans les entreprises de plus de 150 salariés, le télétravail est aussi plus soutenu dans les secteurs familiers de ce type d’organisation, comme le conseil, l’informatique ou l’ingénierie. Si le nombre d’accords progresse, le niveau reste bas s’il est mis en rapport avec le nombre d’entreprises. Le télétravail est d’ailleurs encadré par une minorité d’entreprises (45 %).
Une surcharge de travail accentuée par l’absence de consignes claires
C’est dès le printemps 2020 que les entreprises accompagnées par l’Anact ont fait du télétravail un objet de dialogue social pour une formalisation de la pratique à l’automne 2021 : accord chez Bréger (transports, 800 salariés) concernant une minorité de personnels (administratifs, fonction support, directeurs d’agence) ; accord de groupe chez Comdata (400 salariés) ; charte au sein de la start-up Dejamobile (40 salariés) construite à partir d’un sondage auprès des salariés et d’un groupe de parole. Confirmant ce que l’étude de l’Apec met en évidence, Béatrice Sarazin, chargée de mission à l’Anact, constate la volonté de conserver des jours en présentiel selon des organisations très diverses (jours de présence « projets », jours de présence « entreprise »…) pour des raisons notamment de maintien de la culture d’entreprise.
Les deux études observent également un début de transformation des pratiques. « Le management hybride est une source de vraies difficultés pour une majorité de managers, souligne ainsi Emmanuel Khan. Si ces difficultés sont liées en grande partie à la taille des effectifs à encadrer, elles concernent aussi bien la gestion Rh et administrative que la coordination de l’activité ou l’animation individuelle et collective des équipes. » Il y a bien surcharge de travail, confirme-t-il, accentuée par le manque de consignes claires : seuls 39 % des managers disent en avoir reçues.
Confiance, autonomie, contrôle : un équilibre difficile à trouver
C’est le cœur même de la fonction managériale qui a été affecté par la mise en place du télétravail autour du couple « autonomie et contrôle ». Les pratiques sont contrastées : si, le plus souvent, les managers ont accordé plus d’autonomie, ils sont aussi 25 % à avoir davantage contrôlé le travail. Pour essayer de combler la distance, ils ont également fait davantage de points individuels et de réunions d’équipes. Confirmation par l’Anact : confiance, autonomie et contrôle ont questionné le fonctionnement des trois entreprises. Pour Béatrice Sarazin, « le retour d’expérience montre un besoin de repositionner les managers, souvent accaparés par le soutien opérationnel, sur les dimensions stratégiques de leur poste. Chez Bréger par exemple, un directeur d’agence aidait à décharger les camions. Entre ces deux dimensions, stratégiques et opérationnelles, le rééquilibrage apparaît comme une nécessité », explique-t-elle.
Et maintenant ? Si le mode « hybride » touche à de nombreuses caractéristiques de l’organisation du travail, le bilan des pratiques, notamment avec les représentants syndicaux, reste à faire. « C’est le cas dans de nombreuses entreprises, souligne Emmanuel Khan, à peine 33 % l’ont fait, le plus souvent les grandes entreprises. » Celles accompagnées par l’Anact n’ont pas encore pris le temps nécessaire de discuter de ses effets, en particulier sur la fonction Rh : « Chacune expérimente, chemine à son rythme et le bilan devrait être fait en 2022 », précise Béatrice Sarazin pour qui « le travail à distance, à domicile ou pas, est désormais un sujet d’exploration fondamental ».
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