Dans un important arrêt, la Cour de cassation décide d’écarter la généralisation d’une présomption de justification de toutes les différences de traitement prévues par accords collectifs (Soc. 3 avril 2019, Crédit agricole mutuel de Normandie).
Quand une différence de traitement entre salariés relevant de catégories professionnelles différentes découle d’un accord collectif, cette différence est présumée justifiée.
Ainsi, il a été jugé que « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Soc. 27 janvier 2015).
Cette présomption s’étend à de nombreuses situations de différences de traitement entre salariés opérées par voie d’accord collectif (accords de branche, d’entreprise ou d’établissement) :
exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle des fonctions distinctes (Soc. 8 juin 2016),
appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts (Soc. 3 novembre 2016),
appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts (Soc. 4 octobre 2017),
appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou des établissements distincts (Soc. 30 mai 2018).
Cette solution est paradoxale : il appartient non pas à l’auteur de la différence de traitement (l’employeur notamment) de la justifier, mais à celui qui en est l’objet (le salarié) de prouver son caractère injustifié.
La Cour de cassation vient de donner un coup d’arrêt à cette extension, en se fondant sur le droit de l’Union européenne (notamment « Toutes les personnes sont égales en droit », art. 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) :
Mme X., engagée le 3 mars 1997 par la caisse régionale du Crédit agricole mutuel de Normandie, a été affectée, à compter du 27 août 2012, au poste de coordinatrice gestion achats au sein du service expert du site de Saint-Lô. Ce service, ainsi que celui du site d’Alençon, ont été regroupés sur le site de Caen au cours des mois d’août et de septembre 2014.
Se plaignant de subir une différence de traitement injustifiée par rapport à ses collègues bénéficiaires, pour avoir été affectés sur le site de Saint-Lô à la date du 1er juin 2011, des mesures d’accompagnement des mobilités géographiques et fonctionnelles prévues par l’accord d’entreprise n° 79 du 5 juillet 2013 (dont l’objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliqués par le transfert des services et d’accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d’emploi et de vie familiale), la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Coutances afin d’obtenir le bénéfice de ces mesures.
Par jugement du 12 novembre 2015, cette juridiction a rejeté les demandes de la salariée car :
n’étant pas présente sur le site de Saint-Lô le 1er juin 2011, celle-ci ne relevait pas dudit accord ;
les différences de traitement considérées résultaient d’un accord d’entreprise majoritaire.
Par arrêt du 27 janvier 2017, ce jugement a été infirmé par la cour d’appel de Caen, qui a jugé que le même accord est applicable à la salariée à compter du 15 septembre 2014, celle-ci étant bénéficiaire des stipulations de l’article I-B de cet accord sur le temps de travail partiel compensé, soit de quarante-huit jours de congé pour la période arrêtée au 24 novembre 2016, et d’une journée de congés toutes les deux semaines de travail à compter de cette date.
La cour d’appel a :
apprécié l’existence d’une différence de situation au regard du critère de l’objet de l’avantage en cause en retenant que les salariés du site de Saint-Lô sont placés dans une situation identique au regard des avantages institués par l’accord dont l’objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliquée par le transfert des services à Caen et d’accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d’emploi et de vie familiale ;
écarté l’existence d’une présomption de justification de la différence de traitement considérée ;
relevé qu’aucune raison objective n’était alléguée par l’employeur ;
retenu que, en toute hypothèse, la différence de traitement fondée sur la date de présence sur le site est étrangère à toute considération professionnelle.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur (la salariée obtient gain de cause malgré ce que prévoyait l’accord collectif) :
« la reconnaissance d’une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer que celles-ci sont étrangères à toute considération de nature professionnelle, serait, dans les domaines où est mis en œuvre le droit de l’Union, contraire à celui-ci en ce qu’elle ferait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l’atteinte au principe d’égalité et en ce qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement.
dans ces domaines, une telle présomption se trouverait privée d’effet dans la mesure où les règles de preuve propres au droit de l’Union viendraient à s’appliquer.
Partant, la généralisation d’une présomption de justification de toutes différences de traitement ne peut qu’être écartée.
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