Jean-François Lacouture Responsable du pôle juridique du cabinet de conseil, expertises et formation Émergences
Les nouvelles instances de dialogue social risquent de prioriser les enjeux économiques et financiers au détriment des problématiques du travail. Les représentants des salariés doivent y remédier partout où cela reste possible.
Jusqu’à présent, le cœur de notre métier était l’expertise pour les Chsct : le diagnostic des situations de travail au regard des organisations et réorganisations, des relations interpersonnelles, des responsabilités et du travail réel de chacun. Désormais, nous développons également un pôle économique, pour nous adapter au fonctionnement des comités sociaux et économiques (Cse) et offrir aux élus un soutien plus complet… Reste ce constat préoccupant : les Chsct sont remplacés par des « commissions santé, sécurité et conditions de travail » qui n’ont plus le pouvoir de mandater un expert. Le recours à l’expertise est dans la seule main du Cse, qui doit en priorité examiner les orientations stratégiques, la situation économique et financière et la politique sociale de l’entreprise. On peut redouter que les questions de santé au travail passent au second plan. De plus, la remise à plat des instances représentatives du personnel (Irp) va entraîner une diminution drastique du nombre de représentants du personnel… mais pas des besoins. Or, rien n’oblige les entreprises à compenser la perte des délégués du personnel par la nomination de représentants de proximité (Rp). Comme leur nombre, leur périmètre d’activité dépendra des négociations et accords préalables aux élections professionnelles. Il est donc à craindre qu’en l’absence de Rp des organisations du travail pathogènes s’installent durablement avant de faire l’objet d’alertes et de diagnostics. Il sera également plus difficile de se faire l’écho des problèmes de terrain et de les imposer à l’ordre du jour des Cse. Les élus doivent donc rester vigilants et informés pour peser sur tous les leviers qui permettront de ne pas éluder ces réalités. Les entreprises ont tout intérêt à disposer de relais au plus près du terrain en acceptant la présence de représentants de proximité.
Nous sommes dans une phase transitoire, où les organisations syndicales négocient les accords préalables à la mise en place des nouvelles Irp et leurs modalités de fonctionnement. Le rapport de force va peser dans chaque entreprise, car tout se négocie, un peu comme si on instaurait un Code de la route différent pour chaque ville. Un bon accord dépendra de la capacité des délégués syndicaux à négocier des mesures plus favorables que celles relevant de l’ordre public (règles légales auxquelles on ne peut déroger) et des dispositions supplétives (règles minimales qui ne s’imposent qu’en l’absence d’accord).
Nous essayons ainsi d’apporter notre savoir-faire pour aider les militants à négocier, en gardant à l’esprit l’ensemble des droits menacés par les nouvelles règles. En plus de nos sessions de formation, nous organisons des matinales d’information gratuites dans nos locaux, où les militants échangent sur leurs expériences en présence de nos juristes.
Sous pression, les élus devront gérer des moyens limités et choisir de faire vivre ou non le droit à l’expertise. Nous ne pourrons pas faire de miracle, car nous sommes également sous la contrainte de délais resserrés, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la qualité de certaines expertises. En effet, les délais préfix qui encadrent les procédures d’information-consultation et se négocient eux aussi en amont, en fonction des circonstances dans lesquelles une expertise est demandée, risquent d’être fortement restreints. Nous pouvions souvent disposer de deux mois pour mener des entretiens et des enquêtes de qualité sur l’activité, et être en prise avec le travail réel et les difficultés des salariés. Désormais, avec un mauvais accord, certaines expertises pourraient être bouclées en un mois, voire moins ! Les expertises constituent pourtant un point d’appui important pour les syndicats, dès lors qu’ils veulent défendre une autre conception de l’entreprise, de son développement, de l’organisation du travail. Les Cse devront, de plus, arbitrer en fonction de leur budget de fonctionnement. Par exemple en cas de projet important, ils seront amenés à financer 20 % du coût des expertises en santé au travail, au détriment de la formation et des études. La vigilance est de mise là aussi.
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