Le 28 mai, la Cgt a lancé son plan d’action pour une réindustrialisation écocompatible. C’est aussi une urgence démocratique, comme en témoigne le vote Rn dans les bassins d’emploi frappés par la désindustrialisation.
Sans surprise, aux élections européennes du 9 juin, l’extrême droite a fait un carton dans des bassins d’emploi qui ont souffert depuis des décennies de la désindustrialisation et des délocalisations : Fos-sur-Mer (53,81 % pour le Rn,+ 5,44 % pour Reconquête !), La Ciotat (39,98 % + 7,15 %), Le Creusot (36,6 % + 4,46 %) pour ne donner que quelques exemples. D’autres territoires, pourtant revivifiés par d’importants projets industriels, ont également plébiscité ces deux partis : Dunkerque (38,35 % + 4,51 %) où plusieurs gigafactories de batteries pour voitures électriques sont en chantier ; Gravelines (48,76 % + 4,06 %) qui en plus de sa centrale nucléaire, devrait accueillir deux nouveaux Epr ; Loon-Plage (56,77 % + 5,08 %) où sont installés ArcelorMittal et Aluminium Dunkerque.
Repli identitaire ou lutte collective ?
Certes, les ressorts du vote Rn s’avèrent multiples et complexes. Et quelques projets ne dissiperont pas du jour au lendemain le sentiment de déclin et d’abandon, les plans sociaux, le chômage et la paupérisation. Peu importent les causes – mondialisation et financiarisation de l’économie, cynisme des dirigeants d’entreprises et des responsables politiques –, une part croissante de la population cède à un repli nationaliste et radical, quitte à cautionner des thèses racistes.
Nombre de ces bassins d’emplois ont pourtant été des bastions ouvriers historiques, où les luttes collectives et la solidarité avaient du sens. Mais aujourd’hui, dans toute la France, il est probable que des sympathisants de la Cgt pensent que ces valeurs n’empêchent pas de voter à l’extrême droite, y compris parmi les catégories intermédiaires et les cadres. Même si, les sondages le montrent, le vote d’extrême droite reste moins important parmi les syndiqué·es et parmi les salarié·es les plus qualifié·es.
Empêcher le dumping social, fiscal, environnemental
Le fatalisme n’étant pas dans son Adn, la Cgt a lancé le 28 mai son « Plan d’action syndicale pour l’industrie et l’environnement », lors d’États généraux de l’industrie et de l’environnement qui ont rassemblé quelque 700 responsables syndicaux. Car la question environnementale reste « l’éléphant dans la pièce », singulièrement négligée pendant la campagne des élections européennes, et presque autant à la veille des législatives.
Concernant les relocalisations industrielles, l’innovation, les nouvelles technologies, et plus globalement les emplois de demain, doit-on vraiment faire comme si les enjeux environnementaux n’avaient aucune importance ? La Cgt ne veut pas manquer ce rendez-vous avec l’Histoire. Pas question, par exemple, de laisser certains grands groupes prendre prétexte de normes environnementales trop contraignantes pour fermer des usines et délocaliser : en plus de nuire à l’emploi en France, cela contribue à exporter notre empreinte carbone et à aggraver le réchauffement climatique tout en exploitant de la main d’œuvre à moindre coût ailleurs.
ArcelorMittal réclame de l’argent public
Pas question non plus de céder au chantage à l’emploi et au dumping social et fiscal de groupes comme ArcelorMittal. Comme l’a rappelé un participant aux États généraux, malgré un bénéfice de 25 milliards d’euros sur trois ans, et 10 milliards reversés en dividendes à ses actionnaires, le géant sidérurgique exige un financement public à 50 % de ses investissements pour décarboner son activité !
Quant au Rassemblement national, son programme économique oscille entre le flou et le vide… sauf pour assumer son hostilité à toute prise en compte des enjeux du réchauffement climatique.
Défendre la sécurité de l’emploi ne signifie pas prôner l’immobilisme, comme en témoignent les intervenants lors de cette journée d’échanges, mais anticiper, construire des projets compatibles avec les enjeux d’avenir, préparer les adaptations, la reconversion des outils de production, investir dans l’innovation et dans de nouvelles activités répondant aux besoins sociaux et recourant à des technologies propres.
En France, la réindustrialisation reste à l’état d’ébauche
On en est encore loin, même dans les bassins d’emplois où des milliers de créations d’emplois sont annoncées. Malgré la promesse très médiatisée de 20 000 emplois autour de la « vallée de la batterie » des Hauts-de-France, seuls 600 ont été créés pour l’heure, et cela n’empêche pas la poursuite des fermetures dans certaines chaînes de fabrication ou parmi les Pme sous-traitantes ou les équipementiers automobiles.
À Gabriel Attal qui se félicitait du retour de l’industrie en France, avec plus de créations que de disparitions d’usines et d’emplois, le pôle économique de la Cgt a répondu, dans une note d’avril 2024, que depuis 1980, 2,2 millions d’emplois ont été perdus dans le secteur industriel, et que la réindustrialisation de la France reste pour l’instant un « mirage ».
S’appuyant sur les statistiques de l’Insee, l’analyse confirme que la France a créé des emplois industriels depuis 2017, mais sans produire davantage. Cela n’a pas empêché le taux de marge des sociétés de l’industrie manufacturière d’être, au premier trimestre 2023, de 11 % supérieur à celui du troisième trimestre 2017, et les salaires de 2 % inférieurs. Pas de grand élan donc : en France, la part de l’industrie est passée de 27,5 % du Pib en 1974 à 9,8 % en 2022. La même année, elle représentait 15 % du Pib en Italie et 20 % en Allemagne…
Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral en charge du dossier environnement, a ainsi déploré que 62 % des emplois industriels liés à la chaîne de valeur des entreprises françaises se trouvent actuellement délocalisés, faisant de la France un champion de la tromperie sur l’empreinte carbone, alors que la transition écologique aurait déjà servi de prétexte à la suppression de quelque 66 000 emplois. Le phénomène contribue par ailleurs au déclin de l’économie française, les investissements et la recherche – publics comme privés – s’avérant notoirement insuffisants pour contrer la concurrence américaine et chinoise.
Besoins sociaux et reconnaissance des qualifications
Reprendre la main sur son destin, quel que soit le gouvernement à l’issue des législatives : lors des États généraux, des responsables syndicaux ont témoigné de leur action en ce sens. Avec des projets alternatifs quand l’emploi était menacé, voire supprimé ; en repensant collectivement la meilleure façon de travailler dans leur entreprise pour développer des emplois qualifiés et pérennes. Citons le projet Écocombust de biomasse à la centrale de Cordemais (Loire-Atlantique) ; le projet de biogaz à la centrale de Gardanne ; la papeterie Chapelle-d’Arblay ; la lutte sur la reconversion de l’usine Total de Grandpuits ; le retour de la turbine Arabelle dans le giron d’Edf ; le projet de « petite voiture électrique populaire » chez Renault ; le développement d’une filière d’imagerie médicale à partir des technologies utilisées dans la filière militaire chez Thalès… Nombreuses sont les initiatives pour conserver et développer les activités, les compétences et les emplois.
Les états généraux ont également encouragé les militants à s’emparer des outils Cgt, tels que le Radar travail environnement mis au point par l’Ugict, déjà lancé dans plusieurs dizaines d’entreprises et appelé à se diffuser partout. Son objet est d’aider à penser de meilleurs process pour réduire l’empreinte carbone de son entreprise, mais aussi de penser les besoins en termes de prospective et de formation pour les salariés.
Dans le même esprit, la Cgt souhaite développer des initiatives au niveau des territoires et des bassins d’emploi, et diffuse un livret explicitant une méthodologie de « démarche projet » qui mettrait en synergie les revendications des structures Cgt territoriales et professionnelles, pour répondre aux besoins d’ensemble de l’activité, des services publics aux zones industrielles ou commerciales.
« Cette initiative nationale doit être maintenant délocalisée dans les territoires, sous l’égide des comités régionaux, avec la participation des unions départementales, des fédérations et des syndicats », a insisté la secrétaire générale de la Cgt, Sophie Binet, en conclusion de la journée du 28 mai. « Nous devons bâtir sans tarder notre futur et celui des nouvelles générations, en étant force de proposition pour ne plus subir les soubresauts des politiques néolibérales et des stratégies patronales qui conduisent aux plans de licenciements massifs dans les entreprises et les sociétés. […] Cela sera possible à la condition de franchir cette étape incontournable qui consiste à élever le débat d’idée dans les organisations de la Cgt avec nos syndiqués, et à dépasser nos contradictions lorsqu’elles existent pour faire émerger, par l’analyse et par la réflexion, des projets de reconversion, de transformation de l’appareil productif. »
Cela passera aussi par une puissance publique impliquée, qui redonne du pouvoir aux salariés, qui conditionne les aides publiques aux entreprises à la création d’emplois pérennes, et qui ne recule pas devant les contempteurs de l’« écologie punitive ». Toutes les études montrent que, sur le long terme, la transition écologique sera créatrice d’emplois et de croissance, alors que le réchauffement climatique nuit à la santé publique et à l’économie.
Le site web Futurs alternatifs-Industrie environnement développe les propositions de la Cgt. Il donne à voir à la fois une carte de France des menaces de licenciements, mais détaille aussi les projets Cgt de reconversion et de transformation de l’appareil productif. Ainsi, la Cgt sera en mesure de proposer « dans tous les territoires, sa propre planification industrielle et environnementale, véritable feuille de route pour des futurs alternatifs ».
Les initiatives sont appelées à se multiplier. La commission Environnement et transformation de l’appareil productif organise une série de journées d’échanges : le 7 novembre, sur le thème « mobilité et transport » ; viendront ensuite, en 2025, l’eau, l’alimentation, l’énergie et la santé. Penser et panser la facture sociale sera un combat de longue haleine.
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