La question, posée par la deuxième table ronde des Rencontres d’Options, a mis en lumière un déficit démocratique dans la lutte contre le dérèglement climatique.
La démocratie en entreprise : le concept a dominé la deuxième table ronde des Rencontres d’Options en partant d’un présupposé : l’entreprise est un lieu pertinent pour agir sur le défi climatiques.
Pour Dominique Carlac’h, cheffe d’entreprise et conseillère du groupe Entreprises au Conseil économique, social et environnemental (Cese), mandatée par le Medef, c’est une évidence : « L’entreprise n’est pas inadaptée aux enjeux climatiques ; c’est elle qui investit massivement pour trouver des solutions au service de sa pérennité. » Ce rôle est, pour elle, majeur, les entreprises pouvant être porteuses de solutions, avec leur « capacité d’innovation ».
Cette affirmation est d’emblée modérée par Agathe Le Berder : « Tout ne peut pas reposer sur des entreprises privées. » L’entreprise est, explique-t-elle, un espace « structurellement carencé en démocratie, notamment sur les enjeux environnementaux et pour repenser le travail ». La secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt insiste notamment sur le « manque de pouvoir » des instances représentatives du personnel, encore dégradées par les dernières lois.
Pour un droit de veto et de proposition
La fameuse loi Climat et résilience de 2021 demeure beaucoup trop timide. Elle n’élargit « qu’à la marge » les prérogatives des comités sociaux et économiques (Cse), et manque d’ambition. « L’enjeu c’est d’avoir une vision globale dans l’entreprise », martèle Agathe Le Berder, en rappelant les revendications de l’Ugict. Parmi lesquelles : un droit de veto et de proposition, mais aussi un quota de 50 % des sièges pour les représentants du personnel dans les conseils d’administration.
Le 25 avril 2023, le Cese a adopté un avis plaidant pour davantage de dialogue en entreprise, afin de mieux engager les acteurs sociaux dans la lutte contre le dérèglement climatique. Jean-François Naton, conseiller Cgt au Cese, en présente les grandes lignes. « Bifurquer », « adapter », « ralentir »… des nécessités pour agir face au changement climatique, et autant de défis qui interrogent le syndicalisme. En partant de l’expertise des travailleuses et travailleurs, et sous l’angle du « travailler autrement », il s’agit in fine, pour Jean-François Naton, de revenir à ce qu’il définit comme « la raison d’être du syndicalisme » : « penser et changer le travail » en tenant compte des questions de santé, désormais percutées par celles du dérèglement climatique.
« Penser globalement les enjeux de santé »
Évoquer ces questions sous l’angle de la santé permet, pour Jean-François Naton, de « mettre en débat la reconstruction de ce que les ordonnances Macron ont défait : penser globalement les enjeux de santé, entre vie personnelle, santé au travail et santé environnementale ». Il poursuit : « Il faut donner aux syndicats les moyens et le temps de jouer leur rôle » sur la question de la santé et au-delà. Le défi climatique impose d’avoir « la connaissance des situations de travail et les moyens de faire remonter les informations, pour un nouvel âge de la démocratie du travail ». C’est avec ces outils qu’il estime possible d’impliquer les salariés pour travailler à la transition écologique.
Pour l’Ugict-Cgt, ces changements devraient permettre aux salariés d’évaluer les stratégies mises en œuvre par leurs entreprises, pour être en capacité de travailler à des alternatives. Et ce malgré un contexte difficile, du fait de la financiarisation orchestrée depuis les années 1980 et de l’obsession court-termiste qui entrave la transition écologique.
Responsabilité sociale et environnementale des entreprises
De son côté, Dominique Carlac’h préfère évoquer « les stratégies d’innovation des entreprises du XXIe siècle qui ont évolué vers l’efficience ». Selon elle, les entreprises ont une forte conscience de cette nécessité d’innover, aussi bien pour leur propre pérennité que pour assumer leur « responsabilité sociale et environnementale ». Elle demande de la « visibilité » pour les investissements verts : c’est un « prérequis » pour la cheffe d’entreprise, pour qui la discussion devrait porter moins sur le partage de la valeur que sur celui des investissements.
Agathe Le Berder réagit en rappelant que ce ne sont pas les dépenses d’investissements qui sont en hausse, mais « les richesses versées aux actionnaires ».
Quand Météo France coupe dans les effectifs
Si questionner les stratégies des entreprises demande de l’information et des données, c’est aussi le cas pour le changement climatique en lui-même… Thomas Floderer, ingénieur à Météo France, recontextualise le débat en déplorant les coupes claires dans les effectifs, qui affaiblissent la connaissance du sujet autant qu’elles amenuisent la capacité d’action des pouvoirs publics. « Nous avons perdu 1 200 postes, soit un tiers des effectifs et la moitié de notre implantation territoriale », commente l’ingénieur. Avec le remplacement des moyens humains par l’automatisation et les nouveaux outils informatiques, les risques s’accumulent : le travail perd en qualité, perd aussi de son sens. Or, « le changement climatique impose d’avoir des équipes au plus près des populations, afin de savoir ce qui se passe dans les territoires », relève Thomas Floderer.
Le rôle des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise est central, affirme Agathe Le Berder : « Leur place dans le processus de production leur donne accès à des informations, et ils ont une marge de manœuvre pour impulser des choix stratégiques ». Afin de ne plus être dans l’alternative mortifère de « se soumettre ou, en cas de volonté de changer, de se démettre », l’Ugict-Cgt propose aux cadres de reprendre le pouvoir sur ces orientations stratégiques : une réponse au besoin de sens dans le travail et aux risques psychosociaux que peuvent induire les conflits de valeur auxquels les Ictam sont confrontés.
Questionner les aides versées par l’État
Toutefois, les stratégies des entreprises ne sont pas les seuls vecteurs de changement. Il faut questionner les aides versées par l’État sans conditionnalité : « C’est de l’argent public sur lequel il faut avoir un contrôle citoyen, affirme Agathe Le Berder, pour éviter de financer des projets qui portent atteinte à l’environnement. » Une demande d’emblée rejetée par Dominique Carlac’h, pour qui « toucher » aux aides serait dissuasif, en ce sens qu’elles permettent aux entreprises de « dérisquer » l’investissement. Elle insiste : une remise en cause des aides reviendrait à entraver des investissements plus conformes aux exigences environnementales.
Dans sa conclusion, la secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt réaffirme les exigences sociales et environnementales portées par la Cgt, qui entrent en résonance avec les aspirations des jeunes diplômés : près des trois quarts affirment être prêts à changer d’entreprise pour être plus en phase avec leur éthique environnementale.
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