Entretien -
Rémunérations, assurance maladie, IA : aux États-Unis, les ressorts d’une grève historique des acteurs et scénaristes
Ce n’était pas arrivé depuis les années 1960. La grève qui paralyse aujourd’hui le cinéma américain s’inscrit dans le contexte de l’arrivée d’un nouvel acteur dans les négociations : les plateformes. Un entretien avec Jimmy Schuman, Franco-Américain, membre de la direction du Syndicat français des artistes interprètes (Sfa).
– Options : Lancée le 2 mai 2023 à l’appel du Writers Guild of America (1), la grève des scénaristes, rejoints par les acteurs, revêt une ampleur surprenante vue de France. Comment l’expliquer ?
– Cela s’explique avant tout par le taux de syndicalisation. Si le respect de la grève est si élevé, c’est parce que la protection sociale passe en grande partie par les syndicats : pour bénéficier de l’accord et donc de l’assurance maladie, il faut en être membre. Or cette grève concerne surtout les droits à l’assurance maladie des scénaristes.
En France, la Sécurité sociale couvre les retraites et l’assurance maladie. Aux États-Unis, elle couvre uniquement la retraite de base ; il n’y a pas d’assurance maladie sauf pour les très pauvres – sachant que le seuil de pauvreté varie selon les États – et pour les plus de 65 ans. L’assurance santé est donc régie par l’accord syndical. Les syndicats disposent d’un fonds destiné à l’assurance maladie financé par les cotisations des employeurs. Pour en bénéficier, il faut adhérer au syndicat et, surtout, que les revenus annuels des comédiens soient d’au moins 26 000 dollars. En-deçà, ils n’ont pas droit à cette assurance. L’une des revendications des comédiens est la hausse du plafond de cotisation des employeurs. À cette revendication, il faut ajouter les conditions d’écriture et de rémunération des auteurs, notamment ceux des séries des principales plateformes (Amazon, Netflix et Disney+).
– Le 13 juillet, ce sont les acteurs syndiqués au Sag-Aftra qui sont entrés en grève. Sans être inédite, cette convergence est rare. En quoi est-ce révélateur ?
– Une telle convergence est rare et, pour la provoquer, il faut un véritable séisme dans l’écosystème audiovisuel. La fois précédente, c’était en 1960. La grève était motivée par la montée de la télévision au détriment du cinéma. Il fallait discuter des contenus produits pour la télévision qui étaient utilisés, réutilisés, voir surutilisés. Les grévistes de l’époque considéraient avoir droit à une partie des fruits de leur travail et donc à une partie des profits des studios. Aujourd’hui, la nouveauté, ce sont les plateformes. Bien qu’elles existent depuis plusieurs années, elles n’étaient pas encore prises en compte dans les accords.
Certaines d’entre elles et certains studios appartiennent désormais à de grands groupes, et ne sont plus indépendants. Ils doivent rendre davantage de comptes aux actionnaires. Et pour séduire les abonnés, les plateformes doivent produire toujours plus de contenus.
– Auteurs et comédiens manifestent aussi une inquiétude sur l’utilisation de l’intelligence artificielle. Quelle place occupe-t-elle aujourd’hui ?
– Les auteurs craignent que l’intelligence artificielle ne soit utilisée par les studios pour casser la grève, en achevant des scénarios commencés avant le mouvement. Les producteurs cherchent à réduire considérablement, grâce à l’IA, le nombre d’auteurs travaillant après le début d’un tournage.
Pour les comédiens, ce sont les professionnels du doublage qui se trouvent en première ligne. Mais les comédiens s’alarment aussi de l’apparition des deep fakes. Depuis quelques années, des logiciels permettent de placer le visage de stars du cinéma sur le corps d’acteurs pornographiques par exemple. Cette technologie s’étend désormais aux fictions grand public, comme les séries. Enfin, les acteurs refusent que leurs performances passées puissent être utilisées pour alimenter l’apprentissage des logiciels d’intelligence artificielle.
En France aussi, les professionnels du doublage sont inquiets face à la capacité de ces logiciels à imiter leurs voix, voire leurs émotions. Désormais, une voix peut être clonée, et un logiciel peut lui faire dire ce qu’il veut. Il y a, ici comme ailleurs, une grande peur de perte et de destruction de l’emploi. En France comme aux États-Unis, des voix s’élèvent pour réclamer l’interdiction d’utiliser ces logiciels sans le consentement des intéressés, et surtout sans rémunération en cas d’autorisation.
– En France justement, comment cette grève est-elle perçue par les professionnels comme par les syndicats ?
– À la Cgt-Spectacle et au Sfa, nous avons envoyé des lettres de soutien et, comme représentant, je me rends aux États-Unis pour encourager les piquets de grève. Nous espérons que le mouvement sera perçu favorablement. Pour autant, dans le secteur du doublage, certains sont inquiets car il y aura moins de contenus à doubler à l’automne, du fait de l’arrêt des productions. En France, la dernière grève ayant paralysé le monde de la télévision remonte aux années 1980. Un mouvement similaire à celui d’Hollywood paraît improbable aujourd’hui, les salariés étant beaucoup moins syndiqués qu’aux États-Unis et davantage isolés professionnellement.
– Sur quoi cette grève peut-elle déboucher ?
– La précédente grande grève avait duré cent jours. Les grévistes avaient obtenu des hausses de rémunération pour les rediffusions importantes. Cette fois-ci, ils pourraient aussi gagner, au moins en partie (2), notamment en obtenant un pourcentage du chiffre d’affaire des plateformes pour l’utilisation de leurs œuvres. En attendant, un certain nombre de productions sont arrêtées ou n’ont pas commencé. En revanche, le syndicat autorise le tournage de films indépendants, sans l’implication dans le préfinancement des producteurs ou studios soumis à la grève. Ces derniers acceptent par écrit de respecter les conditions obtenues à l’issue de la grève. Une manière pour eux de se montrer solidaires.
Propos recueillis par Arthur Brondy
Le syndicat des scénaristes compte 11 500 adhérents et la grève a été approuvée à 98 %.
À la reprise des négociations le 23 août, aucun accord n’était en vue. Alors que les grévistes revendiquent un partage des revenus liés au streaming, les représentants des grands studios et des plateformes proposaient une augmentation de 13 % des rémunérations sur trois ans, un encadrement de l’IA et le seul accès aux audiences des programmes en streaming.
Quand Georges Clooney et Meryl Streep remplissent la caisse de grève
Le mouvement de grève a provoqué quelques images insolites. Le 13 juillet 2023, les comédiens du film de Christopher Nolan étaient à l’avant-première londonienne du film Oppenheimer. Au même moment, le syndicat des acteurs a voté la grève. Le casting s’est montré solidaire en quittant l’évènement, laissant le réalisateur présenter son film seul. D’autres ont témoigné leur soutien publiquement ou en versant des sommes conséquentes aux caisses de grève. George Clooney, Meryl Streep, Matt Damon, ou encore Leonardo DiCaprio ont ainsi fait des dons de 1 million de dollars.
Pour les spectateurs de contenus américains, la saison promet d’être maigre. Plusieurs tournages n’ont tout simplement pas débuté, à l’image de la série Netflix Emily in Paris. C’est aussi le cas de la 20e saison de Grey’s Anatomy, une série déjà impactée par une grève en 2007. Côté cinéma, le troisième opus d’Avatar, qui était attendu pour 2024, sera retardé d’un an.
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