53e congrès (4/4). Environnemental-social : mettre en convergence toute la Cgt, à partir des réalités du travail
Comment dépasser l’opposition social-environnemental pour répondre à l’urgence climatique ? Par le débat et la recherche de solutions portées par tous et toutes, à partir de ce que la Cgt connaît le mieux : le travail.
« Notre devons porter au même niveau le social et l’environnemental, sortir de cette opposition stérile pour être à la hauteur des enjeux. Relocaliser l’industrie, transformer l’outil productif à partir de ce que nous savons faire, de notre travail et des questions syndicales que nous nous posons chaque jour. L’environnement et le social ne sont pas seulement des questions sociétales, mais occupent bien le cœur de notre quotidien » : tout juste élue secrétaire générale de la Cgt, Sophie Binet a réaffirmé devant le congrès que la prise en compte des défis environnementaux était une priorité pour la Cgt.
« Plus jamais ça » ? Plus jamais comme ça…
Le sujet a fait l’objet de nombreuses interventions des délégués, sur la forme comme sur le fond, générant parfois des crispations. Sur la forme, c’est surtout la participation au collectif Plus jamais ça (1), décidée pendant le confinement du printemps 2020, sans débat avec l’ensemble des structures Cgt, ni réponses a posteriori aux interrogations, qui a provoqué des réactions hostiles. Sur le fond, parce que la plateforme revendicative de ce collectif condamne les activités industrielles polluantes ou carbonées, mais ne mesure pas assez les conséquences pour l’emploi d’une transition écologique qui s’opèrerait brusquement, de manière « punitive », en sous-estimant l’accompagnement des reconversions, l’implication et la formation des salariés concernés. Les positions de certaines organisations membres de Plus jamais ça sur la stratégie de transition énergétique à adopter interpellent également plusieurs syndicats ou fédérations.
Par conséquent, le document d’orientation a été en partie réécrit au chapitre commençant à l’article 492, « Le rapport aux autres organisations (Ong, associations, politiques) » et jusqu’au 498. Les amendements réaffirment « le respect du fonctionnement démocratique de notre organisation » (496) tout en assurant que « la Cgt continuera à rechercher la coopération avec les organisations et associations politiques ou syndicales, dans le respect de nos orientations et de nos repères revendicatifs » (493). Ainsi, la Cgt va sortir du collectif Plus jamais ça, sans pour autant remettre en cause la prise en compte des enjeux environnementaux ou la participation à des réflexions et des actions communes avec des organisations engagées pour la défense de l’environnement. Mais elle le fera d’abord en remettant sa méthode à plat, à partir de l’activité de ses syndicats et des repères revendicatifs Cgt.
Produire sans épuiser les ressources, l’urgence demeure
« Le document d’orientation insiste sur le fait que pour “faire confédération”, la Cgt ne peut pas se dispenser du débat, qui plus est sur des enjeux aussi importants, et qui sont susceptibles de nous diviser, explique Caroline Blanchot, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt. Toutes les structures de la Cgt doivent être consultées et impliquées sur ces engagements, qui ne peuvent être imposés par le haut. Nous devons nous interroger sur comment on met en débat les questions, comment on élabore des revendications, pour pouvoir tous nous les approprier et les défendre ensemble, en toutes circonstances. Sur les transports par exemple, commençons par mettre en avant les causes qui font consensus. Interrogeons la pertinence des “autocars Macron” après des décennies de suppressions de réseaux ferrés, rappelons la nécessité de développer le fret ferroviaire. »
Sur la question très actuelle du manque d’eau, par exemple, les marges de manœuvre existent, signale-t-elle en racontant son déplacement à Grenoble au lendemain du congrès : « J’y ai rencontré des salariés de Soitec (qui fabrique des plaques de silicium pour semi-conducteurs) confrontés à la mobilisation des habitants contre leur entreprise. Leur activité, ajoutée à celle de STMicroelectronics, installée non loin, représente l’équivalent en eau potable de ce que consomme une ville de 200 000 à 280 000 habitants. Ils sont conscients de l’urgence à trouver des solutions techniques pour apaiser les tensions, résolus à y travailler avec les ingénieurs de l’entreprise, et à imposer des investissements pour dépolluer leurs eaux usées et les recycler en circuit fermé. Ils ne peuvent pas opposer leur activité et leurs emplois aux intérêts des populations, dont ils font partie par ailleurs ! C’est le type de démarche que l’Ugict entend encourager avec le Radar environnemental, un outil de diagnostic et d’amélioration des pratiques des entreprises – ou des services publics – expérimenté depuis trois ans, et que nous mettons désormais à disposition de tous les syndicats soucieux d’agir pour dépasser le greenwashing dont se contentent leurs entreprises, rendre leurs activités plus pérennes, et penser les emplois qui pourraient se développer grâce à cette dynamique. »
De nombreuses initiatives sont déjà prises dans les syndicats, ce n’est donc qu’un début. Elles ne pourront se multiplier que si la démarche impulsée s’appuie sur le travail, et à partir de ce que chacun se sent capable de mettre en œuvre. Les délégués, dans leur grande majorité, ont témoigné de leur attachement à cette cause – y compris ceux qui ont critiqué les stratégies syndicales parfois mises en œuvre. Plusieurs ont évoqué ce qui s’était passé à la mégabassine de Sainte-Soline, où des militants et militantes Cgt sont impliqués, pour défendre en tant que citoyens un meilleur usage de l’eau, un autre modèle agricole et alimentaire, et plus globalement lutter contre la privatisation des ressources naturelles.
Certains ont même demandé la création de collectifs Cgt centrés sur les questions environnementales, plaidant pour que la Cgt soit plus active, plus efficace et plus crédible sur ces enjeux. Dans cet esprit, Laëtitia Larquier (cheminots) a notamment appelé au développement d’une formation syndicale sur ces sujets, intégrant les éléments du débat sur la transition énergétique.
Laurence Méquecin (Capgemini), détaillant les leviers proposés par le questionnaire « Radar environnemental », l’a assuré : « On peut intervenir sur les choix de nos entreprises ; les achats, la gestion de l’eau, de l’électricité, des déchets, la qualité des bâtiments, la mobilité et les transports, les choix technologiques, et n’oublions pas que les Cse disposent désormais d’un droit d’alerte environnemental. » D’autres ont rappelé que de nombreux jeunes, « objecteurs de conscience écologique », ne voient pas quel sens aurait un travail où on leur imposerait des pratiques qu’ils rejettent quand ils ne sont pas au service de l’entreprise.
Articuler transition écologique et transformations du travail
Cyril Briffault, délégué de la papeterie Chapelle-Darblay, est quant à lui revenu sur le fait que c’est bien la Cgt qui a porté le dossier de redémarrage de l’usine de papier recyclé, et a remercié les organisations écologistes impliquées dans le soutien au projet. D’autres délégués ont également assuré que le respect de l’environnement constituait un appui revendicatif pour améliorer la qualité de vie et la santé au travail, car « quand une activité est nuisible pour l’environnement, elle l’est simultanément pour ceux qui y sont le premiers exposés : les salariés. »
Le document d’orientation en témoigne, abordant dès le thème 1, « Pour incarner un syndicalisme de rupture et de transformation sociale dans un monde du travail en perpétuelle évolution », la nécessité de l’articuler avec un « développement humain durable » (art 105). Un rajout (art 107) y insiste, « la Cgt partage les conclusions du Giec et combat les conséquences du capitalisme, qui surexploite la planète, l’environnement et les êtres humains » et souligne à l’instar du Giec, qu’« il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale », d’autant que ce sont les populations le plus pauvres qui seront le plus impactées par le changement climatique et ses conséquences sur le monde du travail.
Le document décline des actions à mener hors et dans le travail. Favoriser le développement d’un « mix énergétique » (115), « réduire autant que possible le recours aux énergies fossiles », développer des comportements plus sobres en matière de transports, mieux isoler les bâtiments, interdire les délocalisations et réindustrialiser et « revoir de fond en comble les modes de production et de consommation » (124). S’appuyer sur la recherche et l’ingénierie publique pour innover, et bien sûr sur l’ensemble des structures de la Cgt, en particulier au local. Personne ne sait avec précision à quoi ressembleront les emplois de demain, mais même si la tâche s’avère complexe, l’ambition de la Cgt est de s’exprimer sur les enjeux et le contenu d’une transition juste, en pleine conscience que la variable « environnement » pèse.
Valérie Géraud
Le collectif Plus jamais ça a quant à lui précisé sa démarche en se rebaptisant Alliance écologique et sociale.
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