Chronique invitée -
5 ans après #metoo, c’est toujours la chape de plomb au travail
Il y a 5 ans, le témoignage d’actrices hollywoodiennes lançait une lame de fond planétaire. Grâce à la parole de femmes célèbres, il devenait enfin possible d’être écoutée lorsque l’on se disait victime.
Par Sophie Binet Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt
Il y a 5 ans, le témoignage d’actrices hollywoodiennes lançait une lame de fond planétaire. Grâce à la parole de femmes célèbres, il devenait enfin possible d’être écoutée lorsque l’on se disait victime. Ces millions de témoignages ont démontré que les violences sexistes et sexuelles ne relèvent ni de pulsions, ni de crimes passionnels mais ont pour objectif de maintenir les rapports de domination entre les femmes et les hommes. En 5 ans, la conscientisation féministe a fait un pas de géante. Mais les institutions n’ont malheureusement pas suivi, notamment au travail.
La grande majorité des entreprises n’ont ni plan de prévention ni protocole clair. Les professionnel.le.s ne sont pas formé.e.s. Les référent.e.s harcèlement violences dont les syndicats ont gagné la création n’ont ni moyen, ni prérogatives définies et doivent assumer cette mission en plus de leur rôle au Conseil Social et Economique (CSE), fragilisés par la disparition des CHSCT et des délégués du personnel.
Certaines grandes entreprises ou administrations ont bien créé des cellules d’écoute, mais elles fonctionnent souvent de façon opaque et débouchent trop rarement sur des sanctions pour les agresseurs. Pourquoi ? Parce que lutter contre les violences sexistes et sexuelles exige de remettre en cause les rapports de domination. Loin de la caricature du « pervers isolé », les violences prospèrent d’abord sur le sentiment d’impunité et de toute puissance.
Le patronat qui n’a aucun problème à licencier pour une erreur de caisse de quelques euros a beaucoup plus de difficulté à se séparer de « collaborateurs » qui occupent des positions de pouvoir dans l’entreprise. Rappelons les chiffres : 30 % des femmes sont victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle au travail, 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur. Et pour cause, quand elles le font, 40 % estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée voire un licenciement.
La CGT n’est pourtant pas restée l’arme au pied. Deux ans avant #metoo, avec la Confédération Syndicale Internationale, nous avons lancé une mobilisation pour gagner une loi mondiale contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Objectif atteint en 2019, avec l’adoption de la convention 190 et la recommandation 206 de l’Organisation Internationale du Travail. Après de multiples interpellations, le gouvernement a fini, en 2021, par adopter un projet de loi ratifiant la convention 190.
Cependant – et cela illustre de son mépris du sujet – il n’a toujours pas finalisé la procédure formelle de ratification auprès de l’OIT…Surtout, cette ratification se fait à minima, sans modifier le droit français, pour, comme toujours, ne surtout pas froisser le Medef…A la veille de la journée mondiale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles du 25 novembre, l’ensemble des organisations syndicales interpelle donc le gouvernement pour exiger – enfin -la mise en place de mesures concrètes.
Mais les organisations syndicales doivent aussi prendre toutes leurs responsabilités pour éradiquer les violences. Non, on ne peut pas être « un bon militant » tout en étant un agresseur sexuel. Non, on ne peut renvoyer à la justice le soin de faire respecter ses valeurs, surtout quand moins de 1 % des viols font l’objet de condamnation aux assises. Le chemin est encore long, mais la dynamique enclenchée démontre l’enjeu de répondre présent : il n’y aura pas de nouvelle conquête sociale sans conjugaison des luttes contre l’exploitation et de celles contre les dominations.
Chronique initialement publiée dans l’Humanité Magazine du 16 novembre 2022
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