Reportage -  Un plan d’urgence pour le 93  : enseignants et parents n’en démordent pas

Depuis février, la mobilisation se poursuit dans les écoles, collèges et lycées de Seine-Saint-Denis. Postes manquants, absences non remplacées, classes surchargées… Le département est singulièrement maltraité.

Édition 051 de fin mai 2024 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Une fois de plus, les enseignants de Seine-Saint-Denis demandent des moyens dignes pour eux et leurs élèves. © IP3 Press/MaxPPP

«  Pas de moyens, pas de rentrée scolaire  !  » Le message n’est pas martelé pour la première fois. Après la rentrée des vacances d’hiver, le 26 février, c’est celle des vacances de printemps qui a été impactée, le 22 mai, avec 30  % de grévistes dans le département. Les enseignants, conseillers principaux et assistants d’éducation exigent un plan d’urgence pour la Seine-Saint-Denis, à l’appel d’une large intersyndicale (Cgt, Fsu, Sud, Cnt et Fo). Les revendications tiennent en deux mots  : «  plan d’urgence  ». Tous demandent davantage de moyens humains et financiers pour le département. Avec une référence en tête  : les trois semaines de grève qui, en 1998, avaient contraint le gouvernement – Claude Allègre officiait alors Rue de Grenelle – à créer 3 000 postes supplémentaires.

Dans la plupart des écoles, collèges ou lycées, il manque des postes, déplore Zoé Butzbach, cosecrétaire générale de la Cgt Éduc’action 93, qui s’appuie sur un questionnaire syndical qui a circulé dans «  1 300 établissements du département pour quantifier les besoins de chacun. Plus de la moitié ont répondu  ». D’après les estimations de l’intersyndicale, il manque 1 000 enseignants pour les 130 collèges, et 2 200 pour les 68 lycées et 2 000 dans les 859 écoles. Leur recrutement représenterait 358 millions d’euros de financement.

Dans le primaire, un tiers des absences sont non remplacées

Conséquence la plus sensible pour les élèves  : les enseignants absents sont moins remplacés. Selon le ministère, en octobre 2023, 92,8  % des absences dans les collèges et lycées ont été remplacées, contre 94,5  % au niveau national. Ces heures de cours qui disparaissent c’est, pour les élèves, une scolarité incomplète. 

La situation est bien pire dans le premier degré, où seules 65  % des absences ont été remplacées, contre 77,4  % au niveau national. Paradoxalement «  c’est moins visible, puisque nous accueillons quand même les élèves, observe Louise Paternoster, cosecrétaire générale de la Cgt Éduc’action 93. Mais nous les mettons dans les autres classes, et cela impacte à la fois leur scolarité et celle des autres élèves. Comment faire cours correctement dans une classe surchargée avec des Ce1 et des Cm2  ?  »

26 élèves par classe au collège, en moyenne

«  Pour nous, les effectifs devraient être limités à 20 élèves par classe, explique Zoé Butzbach, qui enseigne l’histoire-géo au collège. Ce chiffre ne sort pas du chapeau  : il s’agit de la moyenne observé dans les pays de l’Union européenne. Or, en France, nous en sommes à 26, et parfois plus encore dans notre département.  » 

Tout cela aggrave les inégalités économiques et sociales alors que l’indice de position social (Ips) moyen des collèges dionysiens se situe à 93, contre 103 au niveau national.

Les groupes de niveaux, du «  tri social  »

La mobilisation pour un plan d’urgence répond également aux déclarations du Premier ministre en novembre 2023, sur la nécessité de provoquer un «  choc des savoirs  », via la mis en place de «  groupes de besoin  », initialement appelés «  groupes de niveau  » en maths et français au collège, à la rentrée 2024. «  Or les études scientifiques nous l’attestent  : mettre les élèves en difficulté ensemble tout le temps, cela ne les fait pas progresser  », souligne Louise Paternoster. Alors que le rapport Pisa montre, une fois de plus, que la France reste le pays de l’Ocde où l’origine sociale a le plus fort impact sur les résultats scolaires, certains enseignants craignent le renforcement d’un véritable «  tri social  » avec ces groupes de niveau.

Pour les enseignants, l’empilement de réformes souvent en contradiction avec le bien-être des élèves détériore les conditions de travail. «  Et le sens est très important pour ces métiers qui côtoient l’humain, souligne Isabelle Vuillet, secrétaire générale de la Cgt Éduc’action. On le voit avec le nombre de démissions qui augmente chaque année, encore plus fortement chez les jeunes enseignants-stagiaires.  » Rien que pour l’année 2021-2022, 0,34  % des enseignants ont quitté l’Éducation nationale. Un phénomène qui prend une ampleur inédite. En dix ans, les démissions ont bondi de 567  %.

Déclin du pouvoir d’achat des fonctionnaires

La perte de sens et la dégradation des conditions de travail expliquent en partie cette crise d’attractivité, «  mais il faut aussi évoquer la dimension salariale  », insiste Isabelle Vuillet. Les revalorisations ponctuelles sont avant tout indemnitaires et en deçà de l’inflation. Le point d’indice de la fonction publique est désindexé de l’inflation depuis 1982, et a été gelé à partir de 2008. Or, entre janvier 2000 et le début de 2023, les prix ont augmenté de 50  %, alors que le pouvoir d’achat du point d’indice n’a augmenté que de 14  %, selon une étude du collectif Nos services publics.

Cette année encore, l’attractivité est en berne. Alors que viennent de tomber les résultats d’admissibilités aux concours de recrutement, on sait d’ores et déjà que 976 postes d’enseignants ne seront pas pourvus à la rentrée 2024. Et ce chiffre risque d’augmenter après les épreuves d’admission. Pour y pallier, le ministère a recours à des contractuels. Si la manœuvre était déjà courante dans certaines académies – dont celle de Créteil, où se trouve la Seine-Saint-Denis – et dans la voie professionnelle, elle s’avère de plus en plus massive.

Déjà 10  % de précaires dans le corps enseignant

En 2022, les contractuels représentent près de 10 % des effectifs dans le second degré public, et 2  % dans le premier degré. «  Ce n’est jamais bon signe de voir que la précarité augmente dans un service public, souligne Isabelle Vuillet. Ne serait-ce que parce que les services publics ont besoin de continuité, ce qui ne rime pas avec la précarité.  » Là encore, la Seine-Saint-Denis est précurseure dans le recours aux contractuels, pratiqué depuis près de dix ans. C’est un territoire de «  pauvres services publics pour de pauvres gens  », comme l’écrit le député communiste Stéphane Peu dans un rapport parlementaire publié en novembre 2023.

L’argent reste le nerf de la guerre. Et le gouvernement répond à côté. Après des rencontres avec l’intersyndicale de la Seine-Saint-Denis, le ministère a annoncé que «  les efforts seraient poursuivis, avec une attention spécifique donnée au renforcement de la vie scolaire et de l’attractivité  ». Zoé Butzbach hausse les épaules  : «  Ce communiqué prouve qu’ils reconnaissent la spécificité de notre territoire. Mais il n’y a aucune annonce concrète.  » Pour Isabelle Vuillet, la mobilisation du département est emblématique  : «  Il faut mettre plus de moyens dans l’éducation, et notamment là où il y a le plus de difficultés sociales et économiques. C’est un enjeu sociétal.  »

Malika Butzbach