Éducation nationale  : travailler plus, mais continuer de gagner moins  ?

Les revalorisations, tout comme le « pacte » proposant des primes conditionnées à de nouvelles missions, restent des faux semblants. Le déclassement et la colère persistent.

Édition 030 de mi-mai 2023 [Sommaire]

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© Photopqr/L’Est Républicain/Maxppp

Le nouveau «  plan de revalorisation  » pour les personnels enseignants, Cpe et psychologues de l’Éducation nationale n’était pas vraiment attendu  : la quasi totalité des mesures annoncées était déjà connues et ne suscitaient guère d’enthousiasme. Seule «  surprise  », tous devraient voir leur salaire revalorisé de 100 euros, sans conditions. Cette «  revalorisation socle  », limitée à ces trois catégories de personnel – ce qui est déjà perçu comme une injustice – s’appliquera essentiellement via la revalorisation des primes de suivi des élèves (Isoe et Isae), et ne rentrera pas, notamment, dans le calcul des pensions de retraites.

Pour ceux qui ont moins de quinze ans d’ancienneté, elle pourra atteindre jusqu’à 230 euros, le ministère remplissant désormais la promesse qu’aucun enseignant ne touche moins de 2 000 euros nets. Mais pour les autres, soit 70 % des effectifs, l’augmentation nette ne dépassera pas 92 euros nets mensuels, soit une augmentation de 4,2 % maximum du revenu  : on est donc loin du seul rattrapage de l’inflation, et encore plus de l’engagement maintes fois réitéré par le président de la République de revaloriser de 10 % le revenu de tous les enseignants.

Ainsi, le salaire minimum en début de carrière devrait être fixé à 2 076 euros nets, soit 1,5 Smic – rappelons qu’en 1980, un enseignant débutant gagnait 2,2 Smic, avec un niveau Bac +3, alors que désormais, pour passer les concours d’accès à l’enseignement, il faut un Master. Ce relèvement des salaires prétend pourtant suffire à redonner de l’attractivité aux métiers de l’Éducation nationale. De plus, il ne semble pas prévu de prolonger cet effort financier, puisque les grilles se tassent dans la suite de la carrière  : d’après les projections présentées par le ministère, après douze ans de carrière, le salaire de base d’un enseignant sera de 2 271 euros, soit une augmentation de moins de 200 euros en douze ans  !

Les personnels ne demandent ni aumône, ni pacte, mais de justes revalorisations salariales

Après des années de gel des rémunérations, et compte tenu de l’inflation, cette «  revalorisation  » n’est pas vécue comme une reconnaissance de l’engagement des personnels de l’Éducation nationale, en particulier lors des deux années scolaires marquées par la pandémie de Covid, durant lesquelles ils ont beaucoup donné d’eux-mêmes, sans soutien ni reconnaissance de l’institution. Le tassement des grilles et des déroulements de carrière obligera pourtant les enseignants à se porter «  volontaires  » pour le «  pacte  » s’ils ne veulent pas se paupériser un peu plus. Ce pacte devrait proposer de nouvelles missions, par unités de vingt-quatre heures rémunérées 1 250 euros brut, et il sera possible de postuler à trois «  unités  » par an.

Pour le ministère, il s’agit essentiellement de trouver des solutions pour remplacer les enseignants absents, y compris dans des matières qui ne sont pas celles du «  volontaire  », ou d’intervenir en primaire ou en classe de 6e. La Cgt Éduc’Action, «  opposée au principe même de corréler la revalorisation salariale à du travail supplémentaire  », déplore également que les jeunes enseignants soient plus valorisés que les anciens. Par exemple, un enseignant avec moins de sept ans d’ancienneté touchera davantage que celui qui a plus de quinze ans d’ancienneté …

L’ensemble des syndicats de l’Éducation nationale rejettent ces dispositions, car elles vont engendrer de la concurrence entre collègues – ce sont les chefs d’établissement qui attribueront les «  missions  » –, vont déséquilibrer les collectifs, et sans doute avantager les hommes, qui auront plus de facilités à se dégager du temps libre. Les personnels ne l’interprètent pas autrement que comme une insulte, une forme de mépris assumé pour le travail qu’ils accomplissent déjà  : les services statistiques du ministère eux-mêmes reconnaissent qu’en moyenne, une semaine de travail d’un enseignant représente quarante-trois heures de travail, dont une partie non prise en compte dans les rémunérations. De plus, ces «  nouvelles missions  », rapportées au tarif horaire, seront moins rémunérées qu’une heure supplémentaire.

«  Monter un escalator qui descend  » c’est stagner dans le déclassement

Par ailleurs, toutes les études montrent que ces revalorisations, pas plus que des primes conditionnées à davantage de travail, ne suffiront à combler la perte phénoménale de pouvoir d’achat accumulée depuis vingt ans, ni l’écart qui persiste avec le pouvoir d’achat des enseignants européens ou de l’Ocde. Le collectif Nos services publics, dans un bilan rendu public en avril, utilise ainsi une image parlante, «  Monter un escalator qui descend  », pour détailler «  comment le gel et la politique de primes neutralisent la progression de carrière des enseignants  » et alimente la crise d’attractivité dans le secteur de l’éducation.

La baisse du traitement net réel a par exemple été de 20  % de 1981 à 2004. Le pouvoir d’achat des personnels de l’Éducation nationale a continué de stagner, tandis que dans les pays de l’Ocde, il a augmenté de 11 % de 2005 à 2019. La sous-indexation chronique du point d’indice a fait que des progressions ponctuelles, par palier, ont été absorbées avant même le passage au palier suivant. Sur trois carrières-types suivies par le collectif depuis 2000, les pertes de revenus sont ainsi évaluées entre 18 000 et 70 000 euros du fait de la non-indexation des salaires, ne serait-ce que sur l’inflation.

Travailler plus quand on est déjà épuisé, qu’est-ce que cela apporte aux élèves  ?

La Cgt Éduc’Action relève également que si le ministère essaie d’«  amadouer les titulaires  » avec ses annonces, il abandonne à leur sort les personnels contractuels «  pourtant si nécessaires au fonctionnement de notre institution  ». Un grand plan de titularisation des contractuels était censé être mis en œuvre, au moyen d’un concours exceptionnel organisé ce printemps. Il semble pourtant que le ministère tergiverse et compte notamment sur la baisse démographique des élèves scolarisés pour limiter les titularisations  : à la rentrée de septembre 2023, 1 500 postes vont par exemple être supprimés dans les collèges publics (et 500 dans le privé sous contrat) alors que la baisse du nombre d’élèves aurait pu permettre de limiter leur nombre par classe. Dans les collèges, les élèves français sont en moyenne 26 par classe, contre 21 en Europe.

Une étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), service statistique du ministère de l’Éducation nationale, publiée en décembre 2022, établit pourtant que les enseignants français travaillent davantage  : 900 heures par an devant les élèves en primaire contre 740 en moyenne en Europe  ; 720 au collège contre 659 dans le reste de l’Europe.

Le choc d’attractivité pour les métiers enseignants reste donc à accomplir. D’autant que l’étude montre aussi qu’en France, depuis 2014, les salaires des débutants ont augmenté entre 1 et 3 %, tandis qu’en Allemagne, en Autriche ou en Pologne, ils augmentaient de 15 à 30 %. Avec 15 à 20 ans d’expérience, les enseignants français gagnent 20 % de moins que la moyenne des pays de l’Ocde malgré un temps de travail plus important. Le nombre d’inscrits aux concours de recrutement ce printemps ne témoigne pas non plus d’un réel rebond des candidatures. Le ministère s’est félicité d’enregistrer 9 % de candidatures en plus mais, comme chaque année, cela n’augure en rien du nombre de présents aux concours. En 2022 par exemple, dans le primaire, ils étaient 18 629 à passer le concours pour 55 700 inscrits, et dans le second degré, 25 689 présents pour 51 432 inscrits, soit en moyenne moins de deux candidats par poste ouvert ! Les résultats aux écrits ont été rendus public mi-mai et confirment que dans plusieurs académies, les candidats admissibles sont moins nombreux que le nombre de postes offerts. En particulier dans le primaire, où déjà, des campagnes de recrutement de contractuels formés à la va vite se profilent pour assurer la rentrée de septembre.

Pour les débutants comme pour les anciens, il faudra donc travailler plus, seule marge de manœuvre pour gagner plus, alors que les conditions de travail se dégradent, que les jeunes sont toujours envoyés dans des académies en pénurie d’enseignants, où c’est le plus difficile d’enseigner, et où les conditions de logement et de vie ne sont pas les moins coûteuses. Parfois très loin de chez eux, avec peu d’espoirs de mutation avant de nombreuses années… Et travailler plus quand on est déjà épuisé, est-ce que ça a du sens ?

La défiance persiste également dans le cadre de la réforme de l’enseignement professionnel où, là encore, les enseignants n’ont pas leur mot à dire et ne sont perçus par leur autorité de tutelle que comme des exécutants, au service d’une réforme tout entière orientée vers les entreprises. Leurs «  nouvelles missions  », dans le cadre du pacte, sont d’ailleurs entièrement liées au travail qu’ils voudront bien accomplir en sus pour faciliter les relations avec les entreprises.

L’objectif du ministère, à grand renfort de fonds publics, est de limiter le décrochage :13  % des 650 000 lycéens professionnels abandonnent en effet avant le bac. Pour mémoire, le taux de rupture des contrats d’apprentissage est encore plus élevé  : environ 30  %. Désormais les élèves de Terminale pro toucheront jusqu’à 100 euros par semaine de stage. Pourtant, même certaines entreprises restent dubitatives, notamment quant à la pertinence d’embaucher des mineurs insuffisamment formés… Mais comme toujours, le gouvernement avance et les bilans attendront…

Valérie Géraud