Pas dupes, les Padhue. Certes, un relatif soulagement s’installe depuis que les promesses d’Emmanuel Macron (le 16 janvier) ont été confirmées le 22 par la ministre de la Santé. Plus de trois semaines après invalidation de tous leurs contrats (au 31 décembre), les Praticiens à diplôme hors Union européenne peuvent enfin se projeter dans un avenir, même s’il ne s’avère pas très lointain. Ceux qui ont appris le 12 décembre qu’ils faisaient partie des 2700 lauréats aux Épreuves de vérification des compétences (EVC) et étaient déjà en poste pourront y rester, avec le statut de Praticien associé (PA, créé en 2019 spécifiquement pour les Padhue). Pour les recalés, qui seraient environ 2000, leur contrat doit être renouvelé dans le cadre de la loi Valletoux, votée le 27 décembre dernier, mais dont les décrets d’application n’étaient toujours pas publiés au moment de cette annonce. Il s’agira de CDD de 13 mois, à des statuts qui pourraient varier selon les établissements et les fonctions, et à condition de s’inscrire aux EVC de l’an prochain.
Pas de quoi s’enflammer donc, même si les Padhue savent que sans leur mobilisation, ce sursis n’aurait pas été gagné. « On ne sait pas ce qu’il advient de nos collègues actuellement en liste complémentaire dans le classement aux EVC, s’agace Eric Tron de Bouchony, animateur du collectif médecins de l’Ufmict-Cgt santé. Pour rappel, il ne s’agit pas d’un examen, mais d’un concours extrêmement sélectif, où le nombre d’autorisations d’exercer proposé reste très en dessous des besoins, d’autant que toutes les places sont loin d’avoir été attribuées. Concernant les recalés, les autorités de tutelle prennent leur temps, alors que certains Padhue sont sans contrats depuis plusieurs semaines, que d’autres ont reçu une Obligation à quitter le territoire français (OQTF) ou sont même rentrés dans leur pays d’origine ! La seule annonce de la Direction générale de l’offre de soin (Dgos) et des Agences régionales de santé (Ars) , après notre journée d’action du 18, a été de demander aux établissements de recenser les Padhue « éligibles » au dispositif Valletoux, sans qu’on sache si ceux qui étaient en fin de contrat avant le 31 décembre le restent ou en sont exclus ! ».
Le déni, le bricolage et une certaine forme de désinvolture à l’égard de ces médecins qui, comme l’a reconnu le président de la République « tiennent parfois à bout de bras nos services de soins, et que nous laissons dans une précarité administrative complètement inefficace » laissent en effet plus que perplexes. La question des déserts médicaux est documentée, celle du numérus clausus trop strict aussi – Emmanuel Macron s’est d’ailleurs félicité d’avoir mis un pied dans la porte d’accès aux études de médecine, mais la pénurie va néanmoins se poursuivre pendant des années voire s’accentuer avec le vieillissement de la population.
Condamnés à rester dans l’antichambre du statut de médecin ?
La profession de médecin est donc reconnue comme en tension, et les Padhue ont le soutien des directeurs, chefs de service, médecins avec qui ils travaillent. L’intersyndicale (Ufmict-Cgt, Supadhue, association Ipadec) s’est élargie à l’Amuf (Association des médecins urgentistes de France) et au SNMH-FO (Syndicat national des médecins hospitaliers – Force ouvrière) lors de la journée d’action du 18, et les mobilisations ont pris de l’ampleur partout en France : toute la communauté des soignants sait que dans de nombreuses disciplines, les Padhue ne sont pas des bouche-trous, mais des praticiens qui font leurs preuves sur le terrain depuis des années à des postes de responsabilité. Ils prennent des astreintes, opèrent, encadrent, forment des internes et complètent eux-mêmes leur formation initiale dès qu’ils le peuvent : sans eux, nombre de services fermeraient.
Certains d’entre eux rappellent par ailleurs que les échecs aux EVC sont planifiés puisqu’il y avait plus de 20000 candidats pour 2700 places, et que ces épreuves théoriques demandent un temps de préparation dont les Padhue en poste ne disposent pas, compte tenu de leurs charges de travail et du fait que de nombreux chefs de service ne peuvent pas leur accorder ce temps de préparation, faute de pouvoir les remplacer. Par ailleurs, certains candidats, malgré des notes parfois au-dessus de 15 sur 20, n’ont pas été reçus…
« Ces blocages nous semblent absurdes, mais les raisons en sont sans doute multiples, explique Laurent Laporte, secrétaire général de l’Ufmict-Cgt. Les Padhue occupent des postes de médecins mais sont maintenus hors du statut de médecin pour des considérations politiques, électorales, économiques. Les instances qui représentent les médecins semblent vouloir limiter le recours aux Padhue, qui travaillent plus en étant moins payés, dont ils estiment peut-être qu’ils leur opposent une « concurrence déloyale », alors qu’eux ont subi tout le parcours de sélection à la française. Rappelons que pourtant les Padhue lauréats aux EVC se voient encore opposer beaucoup d’obstacles à franchir avant de pouvoir exercer où ils veulent, notamment en libéral ! Quant aux politiques, non dénués d’arrière-pensées, il est possible qu’ils ne veuillent pas passer pour ceux qui « ouvrent les vannes » d’un supposé « grand remplacement », même par des surdiplômés souvent francophones ». Francophones, nombreux à avoir fait leurs études en français et parfois même Français, une fois qu’ils ont construit leur vie dans l’hexagone…
Diplômés dans l’UE ou pas, nous avons et nous aurons besoin de médecins
Le lapsus du président de la République, déclarant que maintenir les Padhue dans la précarité n’était « pas efficace » – pas aussi efficace qu’espéré ? – témoigne bien que même si l’intention n’est pas totalement explicite, il n’est pas question de sortir les Padhue d’une certaine forme de discrimination et de déclassement, comme s’ils étaient marqués à vie d’une forme de défiance vis-à-vis de leurs compétences ou de leur professionnalisme, même après des années d’exercice en France. La loi sur l’immigration ne risque pas d’améliorer l’attractivité de la France, y compris vis-à-vis des plus qualifiés, empêchés d’exercer leur métier sur notre territoire faute de voir leur diplôme reconnu ou de se voir proposer un parcours de validation, et qui seraient désormais confrontés à une xénophobie officialisée. Sans aucun doute, ils et elles finiront par faire reconnaître leurs compétences ailleurs. Et pourtant déjà, en France, aux urgences en particulier, mais aussi à cause des délais d’attente pour des rendez-vous dans de nombreuses spécialités, des patients meurent prématurément faute d’avoir été pris en charge à temps.
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