Deux Honoré campés devant la comédie humaine de leur temps

La Maison de Balzac, à Paris, fait se rencontrer l’œuvre du grand romancier et les dessins, peintures et caricatures de Daumier.

Édition 043 de mi-janvier 2024 [Sommaire]

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Honoré Daumier, Émotions parisiennes (détail), lithographie, 24 × 24, 3 cm. © Paris Musées/Maison de Balzac.

On ne sait si Honoré de Balzac (1799-1850) et Honoré Daumier (1808-1879) se sont pleinement rencontrés. On subodore, du moins, qu’ils se sont croisés dans les salles de rédaction et les bureaux d’éditeurs avec lesquels ils travaillaient régulièrement. En tout cas, la Maison de Balzac, avec l’exposition «  Balzac, Daumier et les Parisiens  », sous-titrée «  De La Comédie humaine à la comédie urbaine  », l’organise bel et bien, cette rencontre.

Dans la correspondance établie entre la littérature et le dessin, on sent bien que les deux hommes se rejoignent d’abord par le regard extrêmement aigu qu’ils ont porté sur leurs contemporains, ce qui leur a permis de brosser, chacun dans sa pratique, un panorama de la société d’une envergure considérable.

Convergences observées par Baudelaire

Charles Baudelaire, toujours si perspicace, avait bien repéré qu’il existait entre eux une indéniable proximité. Pour lui, «  la véritable gloire et la vraie mission de Gavarni [autre célèbre artiste de l’époque, qui illustra les romans de Balzac, Ndlr] et de Daumier ont été de compléter Balzac, qui d’ailleurs le savait bien, et les estimait comme des auxiliaires et des commentateurs  ».

Une autre fois, Baudelaire a dit de Daumier qu’il était «  l’un des hommes les plus importants, je ne dirai pas seulement de la caricature, mais encore de l’art moderne  ». L’exposition aligne, dans la demeure occupée par Balzac de 1840 à 1847, quelque soixante caricatures de Daumier et quelques-unes de ses peintures, ce qui autorise un dialogue inédit entre deux œuvres d’exception qui se complètent en se répondant.

Saute-ruisseaux, cuisinières et grisettes

Honoré Daumier, Les Chemins de fer (détail), lithographie 24,3 × 33 cm. © Paris Musées/Maison de Balzac.

Il ne faut pas s’attendre à découvrir, de Daumier, en cette exposition, de ses brûlots politiques en images qui lui valurent la censure, ni de ses tableaux sur Don Quichotte, les saltimbanques ou autres scènes… Il ne s’agit ici que d’une suite de gravures habitées par des personnages pittoresques – saute-ruisseaux, cuisinières, employés, petits commerçants et grisettes, comme on disait à l’époque – qui peuplent également l’univers de Balzac. Chez les deux génies, l’observation assidue de la société parisienne révèle les travers, les petitesses et les ridicules des uns et des autres avec, sous le grotesque, un profond intérêt pour l’humanité. 

La première partie de l’exposition met en relief le souci de Balzac et de Daumier pour la classification sociale et la justesse de leur analyse des Parisiens. Cette dernière peut toujours sembler actuelle, ne serait-ce qu’à propos des approximations du transport urbain, des surprises de la vie nocturne, des animaux domestiques ou de la qualité discutable des restaurants. 

Des marqueurs sociaux et des caricatures

Dans sa Comédie humaine, Balzac va jusqu’à proposer une classification des «  espèces sociales  », tout à fait comparable à celles que l’on consacrait, au XVIIIe siècle, aux animaux et aux végétaux. Les descriptions qui ouvrent ses romans dessinent des types – du notaire, du petit rentier, du commerçant… – chacun caractérisé par un accessoire, une expression, une attitude. On dirait aujourd’hui que ce sont là des «  marqueurs sociaux  ». 

Cela relève indubitablement de la caricature, ce qui nous renvoie expressément à Daumier. Cette mise en regard, sur un ton léger imprégné d’humour, des caricatures de Daumier et des descriptions de Balzac, se complète de caricatures bien actuelles sur les Parisiens, avec des dessins de Coco, Belom, Faro, Fabrice Erre, Foolz, Gab, Didier Marandin et Robabée.

Honoré Daumier, La Journée du célibataire (détail), lithographie, 34 × 24,5 cm. © Paris Musées/Maison de Balzac.