L'Édito -  Conférence sociale : allons chercher les hausses de salaire par la mobilisation !

Par Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt.

Il aura fallu sept ans au président de la République pour se rappeler que les syndicats, qui organisent des millions de travailleurs·ses en France, ont voix au chapitre sur les salaires. La mobilisation historique contre la réforme des retraites et la fragile majorité relative dont dispose le gouvernement à l’Assemblée nationale les contraignent à remettre les représentant·es des salarié·es au cœur des débats sociaux.

Édition 039 de mi-novembre 2023 [Sommaire]

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Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt © Bapoushoo

Alors que la colère sociale est toujours aussi forte, sur fond d’inflation qui demeure élevée, le gouvernement a donc décidé d’organiser une “conférence sociale” de rentrée sur le thème des salaires, le 16 octobre 2023, au Conseil social économique et environnemental (CESE).

À cette conférence sociale, la CGT avait un objectif clair : obtenir toutes les avancées possibles pour les salarié·es et leurs représentant·es. 

Elle a présenté pour cela des dizaines de propositions concrètes, de l’indexation des salaires sur le Smic et les prix (“échelle mobile des salaires”), à l’avis conforme du comité social et économique (CSE) sur l’utilisation des aides publiques par les entreprise. 

Si nous ressortons de ce rendez-vous avec de nouvelles perspectives de batailles pour le progrès en matière d’égalité femme-homme – une refonte de l’index et une négociation nationale interprofessionnelle sur les temps partiels auront lieu dans les prochains mois-, la conférence sociale n’a en revanche débouché sur aucune annonce en ce qui concerne les salaires des ingés, cadres et techs. Sur les 30 propositions portées par la CGT en la matière, aucune n’a été retenue. Seule une potentielle sanction des entreprises relevant des branches dont les minima sont inférieurs au Smic a été annoncée… pour juin 2024 ! 

Rien n’est donc prévu pour répondre à la baisse tendancielle du pouvoir d’achat des travailleurs·ses qualifié·es et notamment des jeunes diplômé·es. Les chiffres sont pourtant atterrants : entre la génération diplômée en 1997 et celle diplômée en 2015 le salaire mensuel médian a baissé de 40€ pour les diplômé·es de niveau licence 3 et de 200€ pour les diplômé·es de master 2 (Céreq, 2019). Où est parti l’argent de la “grande braderie sur les qualifications” ? Dans les poches des actionnaires. 

Rien n’est prévu, non plus, pour répondre à la baisse actuelle du pouvoir d’achat des cadres et professions intermédiaires qui perdent encore, sous l’effet de l’inflation, 0,6 et 0,1 % de pouvoir d’achat au 2e trimestre 2023 (Dares, 2023). Là encore, c’est le patronat qui tire profit du recul des salaires réels. Pour le Fonds monétaire international (FMI) la hausse des profits est responsable de près de la moitié de l’inflation de la zone euro (FMI, 2023).

La revendication CGT d’échelle mobile des salaires répond à l’urgence inflationniste. 

Elle permet de maintenir le pouvoir d’achat de l’ensemble des travailleurs·ses, sans empêcher la négociation de branche et d’entreprise de se tenir sur les rémunérations. 

Portée inlassablement par notre organisation depuis plus d’un an, cette revendication fait son chemin et se trouve désormais au cœur des débats sur les salaires. Le soutien à ce projet progresse, à la fois au sein des autres organisations syndicales et du salariat – plus de 8 cadres sur 10 sont pour-, si bien que le gouvernement est désormais contraint de justifier son refus de la réinstaurer. Les débats parlementaires à venir, sur trois propositions de loi déposées par les partis de gauche à l’Assemblée nationale et au Sénat, seront une nouvelle occasion de mettre en lumière son hypocrisie à ce sujet. Ainsi à la conférence sociale, la CGT a en effet proposé qu’à défaut d’inscrire l’échelle mobile des salaires dans le code du travail, le ministère du Travail y retire l’interdiction faite aux branches et aux entreprises de négocier l’indexation. Fin de non-recevoir du gouvernement. Des branches (comme celle du textile) ou des entreprises ont pourtant d’ores et déjà négocié l’indexation des salaires sur le Smic et les prix. 

Dans le bal des hypocrites et des menteurs, le patronat n’était pas non plus en reste lors de cette conférence sociale. Le Medef nous a ainsi présenté un véritable scénario de science fiction en séance plénière : “Les entreprises [auraient] négocié des niveaux de revalorisation des rémunérations particulièrement significatifs, à hauteur de l’inflation”. Quel·le salarié·e qualifié·e peut croire cette faribole alors qu’ils et elles sont la plupart du temps exclu·es des hausses collectives de salaire – en 2023 la moitié des cadres seulement dit avoir bénéficié d’une hausse collective (ViaVoice/Ugict, 2023) ? Primes et hausses individuelles de salaire, basées sur l’évaluation professionnelle, conduisent ainsi des millions de salarié·es à finir l’année avec 0 % d’augmentation salariale. 

Il est temps de mettre le patronat face à ses responsabilités.

La CGT a défendu le fait de conditionner le versement des aides publiques, notamment sous la forme d’exonérations de cotisations sociales, à de véritables hausses salariales et au respect de l’égalité femme-homme. Au total, 200 milliards d’euros sont versés chaque année sans contrôle ni contrepartie à des entreprises qui préfèrent augmenter leurs marges que de rémunérer les qualifications qui permettent de produire les richesses. 

Dernier exemple en date, l’entreprise STMicroelectronics de Crolles, en Isère, qui fabrique des puces électroniques. Côté face, elle bénéficie de la “générosité nationale” à travers le versement, en juin 2023, d’une enveloppe démesurée de 3 milliards d’euros d’aides publiques pour doubler sa production de semi-conducteurs. Côté pile, elle ne garantit pas le pouvoir d’achat de ses ingénieur·es et cadres en leur versant des augmentations inférieures à l’inflation (pour 2023, une augmentation générale de 1,5 % agrémentée d’augmentations individuelles – par nature aléatoires – à hauteur de 2,1 %), tout en discriminant les femmes sur leur déroulement de carrière. L’entreprise a en effet été condamnée le 26 octobre 2023 par la Cour d’appel de Grenoble pour discrimination sexiste envers dix salariées. Alors que les salarié·es italien·nes ont récemment gagné des hausses de salaire par la mobilisation, la CGT STMicroelectronics propose aujourd’hui aux salarié·es de France de suivre leur exemple. 

Cette mobilisation pourra s’inscrire dans la campagne que lance la CGT à compter du 13 novembre pour des hausses de salaires, avec en ligne de mire la manifestation européenne le 13 décembre à Bruxelles pour les salaires, l’égalité femme-homme et contre l’austérité.

Dans toutes les entreprises, les employeurs doivent ouvrir des négociations pour l’augmentation des salaires et le respect des qualifications. Ce que la conférence sociale ne nous a pas apporté, nous irons le chercher par la mobilisation !