Rencontres d’Options -
Rencontres d’Options (4/4) Sophie Binet : « L’innovation sociale et environnementale passe par la réduction du temps de travail »
En conclusion des Rencontres d’Options, la secrétaire générale de la Cgt annonce une grande campagne pour les trente-deux heures et appelle à contrer la loi retraite dans les entreprises et les branches.
« La mobilisation contre la réforme des retraites en témoigne : les aspirations sociétales autour du travail sont partagées et portées par une majorité de la population. Avoir un travail qui a du sens, ne pas perdre sa vie à la gagner : nous avons semé des graines, elles doivent germer. Les mobilisations se poursuivent et sont en mesure d’ouvrir des perspectives de progrès. » En conclusion de ces Rencontres d’Options, Sophie Binet, secrétaire générale de la Cgt, souligne que sur l’ensemble des enjeux actuels, la bataille des idées et le rapport de force évoluent en faveur des revendications portées par les syndicats. Le travail est plus que jamais considéré comme un levier incontournable pour agir et changer le monde, pour répondre aux aspirations à l’égalité entre les hommes et les femmes, à celle des jeunes, en offrant à chacun, en théorie, plus de temps libéré, pour une société plus sobre en termes de consommation comme de production.
« Nous devons veiller aux formes que le patronat voudra concéder à la réduction du temps de travail, prévient-elle. La proposition de loi, récemment déposée au Sénat, d’une semaine de quatre jours sans réduction horaire, montre que cela restera un terrain de conflit. La Rtt est également incontournable pour apporter des réponses à l’omniprésence des machines dans le monde du travail, et doit redéfinir la place de l’humain, celle de l’innovation et de ses objectifs. Nous devons reprendre la main sur la finalité de ce que nous produisons. Le “technosolutionisme” ne pourra pas répondre, à lui seul, aux besoins sociaux et environnementaux. »
Rôle central des ingénieurs, cadres et techniciens
S’appuyant sur les débats de la journée, Sophie Binet a rappelé que si la Rtt a longtemps représenté une réponse du monde ouvrier au progrès technologique, elle risquait aussi, désormais, de se traduire par davantage de chômage, de précarité, de travail intensif, rappelant notamment que près d’un tiers des femmes travaillent en temps partiel imposé. Elle a également insisté sur le rôle central des ingénieurs, cadres et techniciens dans la définition de ce que devrait être une Rtt progressiste, du fait de leur place dans les organisations, et de l’impact que peut avoir leur travail sur celui des autres. « Nous avons aussi besoin de jeunes qualifiés qui ne “bifurquent” pas ; nous avons besoin de leurs qualifications pour des changements d’ampleur, à l’échelle de la société. Car pour répondre aux enjeux sociaux, technologiques et environnementaux, nous devons transformer profondément l’appareil productif et l’emploi de tous. Pas pour produire plus, mais mieux. »
Sortir de la clandestinité les projets innovants portés par les syndicats
La Cgt s’engage sur tous les fronts pour construire et défendre des projets d’avenir, compatibles avec les enjeux sociaux et environnementaux : « Les exemples fourmillent, je ne citerai que les projets Icare dans l’aéronautique, Grandpuits, Chapelle-Darblay, Gardanne, les projets pour une petite voiture électrique populaire. Souvent, leurs acteurs ont agi “clandestinement”, en marge de leur travail, parce qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de droits, dans l’entreprise, pour les porter et être entendus par leurs directions, par les investisseurs, les pouvoirs publics. »
La secrétaire générale évoque également le projet porté par la Cgt-Thales depuis dix ans, de reconvertir une partie des activités dans l’armement pour créer une filière d’imagerie médicale en France, sans succès à ce jour. Elle cite encore le cas des ingénieurs de Nokia, prêts à développer une 5G propre, et ignorés par leur entreprise.
« Nous sommes comme des passagers clandestins dans nos propres entreprises, déplore-t-elle, dépossédés de notre expertise à des fins que nous ne sommes jamais en mesure de définir. Il faut que cela change, également avec des lois qui nous donnent plus de pouvoir dans l’entreprise. » Sophie Binet a ainsi souligné que l’outil Radar travail environnement, élaboré par l’Ugict avec le soutien de l’Anact et du cabinet Secafi, avait vocation à être développé dans l’ensemble des entreprises pour aider les salariés à agir et à intervenir, voire à gagner de nouveaux droits sur le lieu de travail.
Pour une nouvelle étape de la réduction du temps de travail
Concernant la Rtt, il faut que des lois puissent intégrer l’ensemble des travailleurs, et que chacun puisse les adapter en fonction des spécificités de son travail : « Des garanties collectives doivent limiter les frontières entre le temps du travail et la vie personnelle. Le télétravail ou l’autonomie des cadres ne peuvent servir de prétexte à un temps de travail qui ne s’arrête jamais. Les forfaits-jours pour les cadres, ou l’annualisation pour les ouvriers et les employés, se sont traduites, dans les faits, par une intensification du travail sans compensation pour les travailleurs, et sans créations substantielles d’emplois. »
L’heure est aujourd’hui à acter dans la loi une nouvelle étape de la réduction du temps de travail, en s’appuyant sur les enseignements des précédentes : fixer une durée légale pour tous à trente-deux heures sans réduction de salaire, qui assurera un meilleur partage de la valeur, et avec obligation de compenser les besoins par des embauches, afin de ne pas dégrader encore plus les conditions de travail. La Cgt va écrire une proposition de loi en ce sens et la proposer aux parlementaires.
Gagner des départs anticipés en fonction de la pénibilité
« Nous sommes conscients que cette revendication n’est pas partagée par tous, a poursuit Sophie Binet, même si de nombreuses entreprises y sont engagées sans que cela empêche leur bonne santé et leur développement, car des salariés qui vont mieux travaillent mieux. Nous devons donc, nous aussi, nous mobiliser dans les entreprises et dans les branches, pour gagner sur le terrain du travail ce qui ne sera pas gagné dans les lois. » D’autres leviers peuvent être activés pour neutraliser certains effets de la réforme des retraites, estime-t-elle : « Gagner des départs anticipés à la retraite en fonction de la pénibilité de certains métiers ou de certaines activités, du travail de nuit ou du travail malgré la chaleur, des ruptures dans la carrière dues à la parentalité. » Mais aussi prendre en compte les années d’études, qui contribuent à apporter des qualifications et de la plus-value aux entreprises qui accueillent les jeunes diplômés.
« Appuyons-nous, achève-t-elle, sur ce qui peut être réalisé dans d’autres pays en matière de réduction du temps de travail ou d’innovation sociale, de temps libéré, d’éducation populaire, d’accès à la culture ou au sport dans le cadre du travail. Faisons en sorte que la France ne porte pas le bonnet d’âne sur ces urgences. »
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