Rencontres d’Options -
Rencontres d’Options (1/4) – Avec la réduction du temps de travail, (re)gagner du temps libre
Travailler moins, vivre mieux : comment fait-on ? Les Rencontres d’Options ont débattu de la revendication des trente-deux heures, et leur traduction en semaine de jours. Avec, comme premier thème de de discussion, la recherche de l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle. Une illusion ?
La moitié des cadres travaillent plus de quarante-cinq heures. Pour 71 %, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle est une préoccupation prioritaire. En introduction de la première table ronde des Rencontres d’Options, le 21 juin au Cédias-Musée social, « L’équilibre vie pro-vie perso : une illusion ? », Thomas Deregnaucourt, membre du bureau de l’Ugict-Cgt, resitue le débat en mettant en évidence les « débordements constants » de la vie professionnelle sur la vie personnelle. Ces débordements s’expliquent notamment par l’usage des outils numériques qui permettent de « poursuivre le lien de subordination à domicile ». Chaque semaine, « 20 % de travail gratuit est livré au patronat par les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise », estime-t-il.
Un cadre sur deux éprouve un sentiment d’épuisement professionnel
Gaël Bouron, du pôle études de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), abonde : « La frontière entre investissement et surinvestissement est ténue ». D’après les études menées par l’Apec, la moitié des cadres ont en effet des difficultés à « déconnecter » du travail, le soir comme le week-end. La moitié des femmes cadres déclarent ainsi avoir renoncé à prendre des rendez-vous médicaux. Si les cadres disent « aimer leur travail », et être particulièrement « investis et attachés à leur entreprise », un sur deux éprouve aussi un sentiment d’épuisement professionnel, alors même que 45 % sont responsables de la santé et de la sécurité au travail des salariés qu’ils encadrent.
C’est ce qui expliquerait, notamment, une aspiration à davantage de temps libre : jours de Rtt et de télétravail font désormais partie des principaux critères de choix des candidats à l’embauche, avec les possibilités d’évolution. À tel point que six cadres sur dix affirment faire passer leur vie personnelle avant leur vie professionnelle, toujours selon les études de l’Apec.
Cadres et femmes : le temps de travail compte
Ce constat dressé sur le surtravail dit l’importance d’agir plus globalement sur le temps de travail. Historiquement, c’est toujours un objet de lutte, comme le souligne Maryse Dumas, ancienne secrétaire de la Cgt et membre de son Institut d’histoire sociale (Ihs-Cgt) : « Ce qui définit le cadre, c’est qu’il ne compte pas son temps. Ou plus exactement, que l’employeur ne rémunère pas son temps. » Dans les années 1990-2000, les cadres exigeaient que leur temps de travail soit évalué et reconnu.
Maryse Dumas établit un parallèle entre cette « entrée des cadres dans le salariat » et celle qu’y firent les femmes au XIXe siècle. En effet, les premières lois d’encadrement du temps de travail concernaient uniquement les femmes : interdiction du travail de nuit, limitation à onze heures par jour. Dans les années 1960, quand elles sont entrées massivement dans le salariat, elles exerçaient leur emploi à temps plein, ce qui les rendait exigeantes vis-à-vis du temps de travail. Mais la légalisation du temps partiel a sonné le glas du progrès pour les femmes en matière de réduction du temps de travail. On a commencé à considérer que le travail des femmes pouvait être une « variable d’ajustement » : celles qui voulaient « tenir les deux parties de leur vie » pouvaient désormais passer à temps partiel.
Des bâtons dans les roues des trente-cinq heures
La dernière loi réduisant le temps de travail à trente-cinq heures hebdomadaires a bientôt vingt-cinq ans. Pierre Ferracci, président du groupe Alpha, analyse les différentes tactiques des entreprises pour compenser l’abaissement de cette durée légale : l’exonération de charges sociales (« une des raisons de la désindustrialisation ») ; la modération salariale (l’augmentation du taux horaire a été rattrapé au fil du temps par une compression des salaires) ; l’intensification du travail.
Au début des années 2000, la deuxième loi Aubry s’est accompagnée de l’élargissement du forfait-jours. Initialement réservé à une frange réduite de cadres de direction, ce dispositif, qui fait que les cadres ne sont plus rémunérés en fonction du nombre d’heures travaillées, concerne aujourd’hui 50 % des cadres et n’a bien souvent pas été accompagné de la majoration de salaire initialement prévue.
En rendant légal ce qui ne l’était pas auparavant, tout se passe comme si les entreprises disaient à leurs cadres : « On ne vous paie pas vos heures supplémentaires et on vous interdit de les compter », résume Thomas Deregnaucourt. C’est un cercle vicieux : « Moins on compte le temps de travail, moins on connaît la rémunération horaire », insiste Maryse Dumas. C’est pour cette raison que « le salaire horaire doit faire partie de la négociation d’une réduction du temps de travail ».
Donner du temps aux « temps qui comptent »
La question de la réduction du temps de travail doit aussi être abordée avec celle du contenu du travail, des horaires, des rythmes. Corinne Gaudart, ergonome, directrice de recherche au Cnrs, coautrice du livre Le travail pressé. Pour une écologie des temps de travail, a étudié la gestion du temps de travail dans différents milieux professionnels. Elle a pu observer une manière d’organiser le temps commune à beaucoup d’organisations professionnelles. Dans ce qu’elle décrit comme un « modèle de la hâte », présenté comme non négociable, les restructurations se suivent et font que l’on se retrouve en « situation d’apprentissage perpétuel. Les changements permanents font que l’on est coincé dans le présent. Il devient impossible de se projeter, de réfléchir à son parcours professionnel. »
Face à cette « intensification du temps », les individus essayent de faire face, parfois contraints de négocier avec « les temps qui comptent, dédiés notamment à la transmission ». Ces temps, pourtant essentiels, restent du « temps volé » et relèvent de la « débrouille entre collègues ». Ils ne rentrent pas dans les indicateurs car ils ne sont pas immédiatement productifs. Les collectifs de travail peuvent s’en trouver déstabilisés, par exemple lorsque les anciens partent avant que les nouveaux arrivent sans qu’aucun tuilage ne soit prévu. Ils sont pourtant essentiels à la santé des salariés, à la fidélisation des nouveaux arrivants, aussi bien qu’à leurs tuteurs, qui ont ainsi le sentiment que leurs compétences sont reconnues et tiennent plus facilement jusqu’à la retraite. Corinne Gaudart alerte sur la nécessité de « produire un temps dans lequel on se regroupe ».
Construire des revendications
Alors que demander ? Moins de temps de travail quotidien ? Plus de jours libérés ? En l’absence de réflexion sur l’organisation du travail, le temps passé au bureau est aujourd’hui si densément rempli de réunions qu’un jour libéré risquerait d’être envahi par le travail. Historiquement, « les femmes revendiquent davantage de temps cumulé, les hommes plus de temps quotidien », rappelle Maryse Dumas, qui propose de « s’appuyer sur la volonté des femmes » pour entraîner l’ensemble du monde du travail.
Sylvie Durand, de la direction de l’Ugict-Cgt, confirme une aspiration de nombreux affiliés à réduire le nombre de jours travaillés. En conclusion, Maryse Dumas assure que la réduction du temps de travail est « le point cardinal » autour duquel « s’articulent tous les autres sujets : quand on parle de réduire le temps de travail, on est amenés à parler de contrat de travail et de salaire. »
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