Chronique juridique -  Les discriminations combattues avec succès

Les discriminations au travail ont des enjeux humains, socio-économiques et politiques. Elles portent atteinte au principe constitutionnel d’égalité. Des décisions judiciaires permettent de les faire cesser, de condamner les pratiques de certaines entreprises et de réparer les préjudices subis. Illustration récente en matière de discrimination raciale à l’embauche.

Édition 026 de fin février 2023 [Sommaire]

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Faits et procédure

Monsieur K., salarié de la société Annecy intérim, entreprise de travail temporaire, a effectué au sein de la société Staubli Faverges des contrats de mission en raison d’un accroissement temporaire de l’activité sur la période du 9 juin 2015 au 8 décembre 2016, puis du 4 septembre 2017 au 1er mars 2019.

Le salarié a occupé au cours de ses missions les postes de prémonteur et de monteur. Le 6 mai 2019, il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de ses contrats de mission en Cdi et d’une demande en paiement de dommages-intérêts au titre d’une discrimination à l’embauche.

Argumentation de l’employeur

L’employeur fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de dire que le salarié a été victime de discrimination à l’embauche et de le condamner à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, alors 

  • que la seule comparaison du pourcentage de salariés ayant un patronyme à consonance européenne et de salariés ayant un patronyme à consonance extra-européenne embauchés par une entreprise, indépendamment du nombre de candidatures reçues, du profil et qualification des candidats et de la nature du poste à pourvoir, est insuffisante à laisser supposer une discrimination à l’embauche systémique à raison du nom ou de l’origine des salariés et a fortiori une discrimination à l’encontre d’un salarié dont le patronyme n’est pas, à l’évidence, de consonance extra-européenne  ; 
  • qu’en retenant, en l’espèce, que les statistiques établies par monsieur K., à partir des registres du personnel et de l’organigramme de l’entreprise, sur la proportion de salariés de patronyme supposé européen et de salariés de patronyme supposé non européen parmi les salariés recrutés en Cdd et en Cdi, parmi les intérimaires recrutés en Cdi et plus largement parmi les salariés en Cdi, laissent présumer une discrimination à l’embauche, la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail  ;
  • qu’en considérant en l’espèce que les statistiques fondées sur le patronyme des salariés étaient de nature à laisser supposer une discrimination à l’embauche en raison de l’origine à l’encontre de monsieur K., sans expliquer en quoi le patronyme de ce salarié («  K.  ») pouvait être assimilé à un «  patronyme non européen  », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail  ;
  • qu’il est interdit à l’employeur d’établir des statistiques en fonction de l’origine des salariés et, en particulier, de la consonance de leur patronyme  ; qu’en l’espèce, pour contester toute pratique discriminatoire à l’embauche, la société Staubli Faverges soulignait qu’elle faisait bien appel à des intérimaires rattachés par monsieur K. dans la catégorie des «  salariés à patronyme extra-européen  » et qu’elle avait recruté en Cdi plusieurs intérimaires que monsieur K. rattachait au groupe des «  salariés à patronyme extra-européen  » prétendument discriminés  ; 
  • qu’en considérant que ces embauches étaient insuffisantes à établir l’absence de discrimination et qu’il appartenait à l’employeur d’apporter une «  analyse démontant celle faite par le salarié  », la cour d’appel a violé l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article L. 1134-1 du Code du travail  ;
  • que dès lors que le choix de l’employeur entre plusieurs candidats est fondé sur un motif étranger à l’origine ou au nom de famille du candidat retenu, les autres candidats ne peuvent s’estimer victimes d’une discrimination fondée sur leur origine ou leur nom de famille  ; qu’en l’espèce, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué que la société Staubli Faverges a préféré, à la candidature de monsieur K., celle de «  candidats plus jeunes qui n’étaient pas encore entrés sur le marché de l’emploi  », ce qui relevait d’un «  choix stratégique permettant à des jeunes d’être formés sur le plan pratique et d’acquérir une expérience professionnelle’  »  ; 
  • qu’en jugeant néanmoins que la société Staubli Faverges ne justifiait pas d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de l’origine, la cour d’appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail.

Réponse de la Cour de cassation

D’abord, la cour d’appel a constaté que le salarié estimait avoir fait l’objet d’une discrimination à l’embauche en raison de son nom à consonance extra-européenne.

Ensuite, ayant retenu que le salarié produisait une analyse faite à partir du registre unique du personnel communiqué par l’employeur sur la période du 26 mars 2018 au 31 décembre 2018 et sur l’organigramme de la société à partir desquels il avait fait des analyses statistiques et avait conclu que, parmi les salariés à patronyme européen recrutés sous «  Cdd intérim  », 18,07  % s’étaient vus accorder un Cdi contre 6,9  % pour les salariés à patronyme extra-européen, que les salariés en «  Cdd intérim  » à patronyme extra-européen représentaient 8,17  % de l’ensemble des salariés en «  Cdd intérim  » mais seulement 2,12  % de l’ensemble des salariés en Cdi pour les mêmes postes, 80,93  % des salariés à patronyme européen étaient sous Cdi pour seulement 21,43  % des salariés à patronyme extra-européen, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que ces éléments pris dans leur ensemble laissaient supposer une discrimination à l’embauche.

Enfin, ayant retenu que l’employeur n’apportait pas d’analyse réfutant celle faite par le salarié, mis à part quatre exemples qui portaient sur une liste de 22 noms, étant précisé que, sur ce point, l’analyse du salarié portait sur le fait que, sur 269 salariés en «  Cdd intérim  », 22 avaient un patronyme extra-européen, la cour d’appel a estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que l’employeur ne justifiait pas d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La Cour de cassation rejette donc le pourvoi de l’employeur (Cour de cassation, Chambre sociale, 14 décembre 2022).