Télétravail : huit mois de négociations pour parvenir à une directive européenne
Cela fait plusieurs décennies qu’une directive n’a pas été négociée par les partenaires sociaux. Les enjeux, pour mieux encadrer le télétravail en Europe, sont à la hauteur de cette responsabilité.
Cela fait plusieurs décennies qu’une directive n’a pas été négociée par les partenaires sociaux. Les enjeux, pour mieux encadrer le télétravail en Europe, sont à la hauteur de cette responsabilité.
L’accord avait été qualifié d’« historique », en juin 2022, par la Confédération européenne des syndicats (Ces) : en adoptant un programme de travail pour la période 2022-2024, syndicats et employeurs européens se sont ainsi engagés à négocier notamment un accord juridiquement contraignant sur le « télétravail et le droit à la déconnexion » : une première depuis longtemps. Le temps est venu des travaux pratiques : la négociation, qui a débuté le 3 octobre, devra être conclue dans les huit mois, en vue d’une directive transposable dans les États membres dans les deux années suivantes.
« Les enjeux de la négociation sont à la hauteur de cette responsabilité », a expliqué Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres, lors d’une conférence de presse commune avec Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt. Pour harmoniser les conditions de télétravail et mieux encadrer cette pratique dans les pays de l’Union européenne, syndicats et employeurs européens ne partent pas d’une feuille blanche : ils peuvent s’appuyer sur l’accord européen innovant de 2002, transposé dans le droit français par l’Accord national interprofessionnel (Ani) de 2005.
Obtenir des droits nouveaux
Premier objectif : « ne pas perdre ce qui a été gagné en 2002 », souligne Nayla Glaise en citant les avancées alors obtenues : le principe du volontariat, l’obligation de négocier un accord, la responsabilité de l’employeur en matière de santé et de sécurité, la prise en charge des équipements ou la protection des données.
La négociation, du point de vue syndical, doit aussi être l’occasion d’obtenir de nouveaux droits : en améliorant la préventions des risques professionnels sur les violences sexistes et sexuelles par exemple ; en obtenant un droit effectif à la déconnexion ; en permettant aux représentants du personnel d’utiliser les outils professionnels pour garder le contact avec les télétravailleurs… Ces dernières années, les appels ont été nombreux pour inciter à l’élaboration d’un « socle minimum » de droits, comme en témoigne la publication d’un rapport sur le télétravail à l’initiative du Conseil de l’Europe ou la résolution du Parlement sur le droit à la déconnexion.
Après avoir été en pointe, la France a reculé
Lors du séminaire d’ouverture de la négociation, la présentation d’une étude d’Eurofound a par ailleurs mis en évidence une extrême hétérogénéité des législations et des accords au sein des États membres, sur fond de différences culturelles et de pratiques de ce mode de travail.
Après avoir été en pointe, notamment grâce à l’Ani de 2005, la France a reculé. « La pratique du télétravail a été affaibli par les “ordonnances Macron” de 2017 qui, en particulier, ont supprimé l’obligation soit de conclure un accord collectif d’entreprise, soit de mettre en place une charte unilatérale de l’employeur », explique Sophie Binet. Cette perte de cadre collectif s’est accompagnée de la fin de l’obligation de signer un avenant à son contrat de travail pour pratiquer le télétravail. « Tout moyen est suffisant, y compris un simple accord oral », précise Sophie Binet, dont la critique porte aussi sur la prise en charge des frais, « une obligation non du Code du travail mais jurisprudentielle ».
Pour 61 % des cadres, le télétravail n’est pas suffisamment encadré
Ces reculs ont des répercussions concrètes dans les entreprises et dans les administrations, comme l’ont mis en évidence les enquêtes conduites par l’Ugict-Cgt au cœur de la crise sanitaire. Le dernier baromètre annuel Ugict-Cgt-Secafi-Viavoice sur les « opinions et attentes des cadres » a confirmé un mode dégradé. « Nous ne pouvons pas en rester là », souligne Sophie Binet qui plaide pour un télétravail davantage encadré.
Au moins trois données, souvent accentuées pour les femmes, illustrent le manque de régulation : 69 % des cadres interrogés estiment que les pratiques de télétravail ne protègent pas des durées excessives de travail (+ 1 point par rapport à 2021). Ils sont tout autant à souhaiter un droit effectif à la déconnexion pour protéger leur santé et assurer un équilibre entre vie professionnelle et vie privée (+ 4 points). Une majorité (53 %) déclare ne bénéficier d’aucune prise en charge des frais et équipements.
Dans un contexte où, en outre, le télétravail s’accompagne d’une réorganisation des lieux de travail avec le développement du flex-office (42 % sont concernés), le baromètre fait apparaître une nette dégradation des conditions de travail et, globalement, un fort taux d’insatisfaction : 61 % des cadres estiment que les pratiques de télétravail restent en effet insuffisamment encadrées – c’est cinq points de plus par rapport à 2021.
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