À l’Éducation nationale, pas de choc d’attractivité au programme
Le ministère Blanquer a amplifié le déclassement, la lassitude et la désaffection des enseignants. Quelles perspectives pour un système scolaire appauvri et désorienté ?
Le ministère Blanquer a amplifié le déclassement, la lassitude et la désaffection des enseignants. Quelles perspectives pour un système scolaire appauvri et désorienté ?
Aucun discours, aussi incantatoire soit-il, aucun rafistolage de dernière minute ne peuvent camoufler l’indéniable réalité : les conditions de cette rentrée scolaire sont préoccupantes, à commencer par la pénurie d’enseignants. Alors que les départs en retraite seront massifs dans les années à venir, le volume de postes d’enseignants offerts aux concours ne permettra pas de renouveler les personnels, d’autant que le nombre de candidats ne cesse de chuter, au point qu’en 2022, un quart des postes n’ont pu être pourvus.
Le recrutement de contractuels, qui dans certaines académies concerne déjà un fort pourcentage du corps professoral du secondaire, est désormais visible et assumé. À l’occasion d’un « job-dating » organisé avant l’été dans l’académie de Versailles, les familles éberluées ont découvert qu’un entretien d’une demi-heure – suivi au mieux d’une formation express de quelques jours – suffisait à valider l’embauche d’une ou un candidat au métier d’enseignant, tous niveaux confondus. Il n’en reste pas moins que malgré l’embauche avouée de 3 000 nouveaux contractuels, au moins 4 000 postes restaient encore en déshérence début septembre.
Les ressources humaines disponibles restent difficiles à évaluer. Des blocages administratifs obligent notamment des milliers d’enseignants à se mettre en « disponibilité » pour cause de rapprochement de conjoints, plutôt que de postuler dans les établissements des académies où ils ont déménagé, pour cause d’impossibilité de déroger au « mouvement ». Le système priorise un barème de points attribués notamment en fonction de l’ancienneté.
Dans le primaire, le recrutement est académique, mais dans le secondaire, les affectations s’organisent au niveau national, en fonction des besoins. Cela dissuade de nombreux candidats, qu’ils soient jeunes et dans la crainte de conditions d’entrée difficiles dans le métier, ou qu’ils aient déjà une famille et ne souhaitent pas s’en éloigner pendant des années.
Des contractuels mieux payés que les titulaires
S’y ajoute le fait que dans les académies en pénurie de profs, le salaire des contractuels recrutés pour « boucher les trous » est parfois supérieur à celui des titulaires en début de carrière, afin de les « fidéliser » ! Il dépasse d’ores et déjà les 2 000 euros net promis par le ministre, Pap Ndiaye, à tout nouvel enseignant, en théorie dès septembre… 2023. Ce qui ne manque pas de créer des tensions supplémentaires, sans que ce revenu permette de vivre correctement, en particulier en Île-de-France et dans un contexte de forte inflation !
Les démissions – 1 648 en 2020-2021, 2 286 en 2021-2022, du jamais vu – pour changer de métier ou bifurquer vers l’enseignement privé risquent de se poursuivre, car les causes du malaise sont profondes et multiples. Ces cinq dernières années, les réformes au pas de charge sans concertation, sur fond de mépris et aggravées par la pandémie, ont considérablement dégradé les conditions de travail des enseignants.
Ils ont payé de leur personne et prouvé à quel point leur travail était essentiel, sans en tirer une réelle reconnaissance. Ils craignent aujourd’hui que malgré l’urgence, d’autres priorités viennent encore reléguer leur revalorisation aux oubliettes.
En quarante ans, un décrochage salarial vertigineux
Rappelons qu’assurer 2 000 euros net de salaire à un enseignant en début de carrière impose une remise à plat de l’ensemble des salaires et carrières. Ce n’est pas le projet du président de la République, alors que le décrochage salarial et la perte de pouvoir d’achat des enseignants depuis 1980 s’avèrent vertigineux : leur rémunération moyenne est passée de 2,3 à 1,14 fois le Smic en 2020.
La réforme de 2007, qui devait permettre de revaloriser le métier via un recrutement de niveau Master n’y a rien changé, tout en contribuant à tarir le vivier de candidats.
Emmanuel macron l’a répété : outre les 500 millions supplémentaires prévus pour les établissements qui proposeront des « innovations pédagogiques » et seront libres d’en faire bénéficier certains enseignants, il ne s’agit pas de reconnaître le métier et le travail de tous, mais de récompenser ceux qui en feront plus. Les personnels, épuisés par deux ans de pandémie où ils ont été sommés de faire beaucoup sans soutien, apprécient. D’autant que les « nouvelles missions » demandées aux enseignants – remplacer leurs collègues, assurer des heures de soutien ou d’encadrement de projets – sont déjà assurées par nombre d’entre eux.
Refuser un enseignement piloté par les entreprises
Toutes les réformes engagées vont se poursuivre voire s’amplifier : les difficultés, la perte de sens et la désaffection vont donc persister. Un premier mouvement de grève, le 5 septembre parmi les Atsem (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), a rappelé que ces personnes sous-payées et particulièrement maltraitées étaient indispensables et devaient bénéficier d’un statut et de salaires décents.
La colère couve également dans les lycées professionnels, sur lesquels le gouvernement se focalise. L’apprentissage est en effet appelé à devenir le seul mode opératoire jugé efficace pour l’insertion des jeunes orientés vers les filières professionnelles. L’État a engagé des milliards, ces deux dernières années, pour inciter les entreprises à y recourir – jusqu’à 8 000 euros d’aide annuelle par apprenti, ce qu’elles ont fait mais en très grande majorité sur des formations post-bac. Il s’agirait désormais de favoriser le pilotage par les entreprises des formations en lycée professionnel.
Le discours semble ambitieux et valorisant pour ces jeunes souvent orientés dans la filière pro parce qu’en échec scolaire, et qui pourraient aspirer à des emplois vers des métiers répondant aux besoins du futur. Mais pour l’heure, l’État semble plutôt vouloir aider les secteurs en pénurie de candidats – hôtellerie-restauration, Btp, transports – pas seulement parce que les métiers ou les postes offerts ne sont pas connus des jeunes, mais parce qu’ils sont pénibles, peu attractifs et très mal payés.
L’intersyndicale de l’enseignement professionnel (Fsu, Cgt, Fo, Snalc, Unsa, Sud) prépare des actions communes et dénonce une volonté de dénigrer et de démanteler le travail effectué dans le cadre de « la voie professionnelle sous statut scolaire », rappelant que les lycées pro nouent déjà des partenariats avec les entreprises qui acceptent réellement de prendre leur responsabilités dans la formation et l’intégration des jeunes. Il ne s’agit pas de fournir au marché une main d’œuvre corvéable à merci en dévoyant les aides publiques, mais d’offrir une qualification et un avenir à ces jeunes sur le long terme.
Défendre un service public au service des élèves
Des concertations doivent avoir lieu cet automne, pour remettre de la cohérence dans les formations, les recrutements, la reconnaissance des compétences et de l’engagement des personnels. Le chantier est gigantesque tant l’affaiblissement et la désorganisation du service public d’éducation seront difficiles à enrayer sans une volonté politique forte… et des moyens.
Le gouvernement pourrait tout autant se satisfaire de voir le secteur privé compenser les défaillances du public, au risque d’accentuer encore le découragement des enseignants et les inégalités d’accès à une éducation de qualité. Quant aux élèves, qui peut s’étonner d’une montée en flèche de leur anxiété, de symptômes croissants de mal-être et de souffrance psychologique ?
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