Éric Cherrière suit la révolte contre l’ordre mondial d’une jeune guerrière en acier trempé, tandis que Gilles Vincent dissèque les arcanes de la manipulation et de l’innocence souillée dans les tréfonds d’Internet.
Éric Cherrière suit la révolte contre l’ordre mondial d’une jeune guerrière en acier trempé, tandis que Gilles Vincent dissèque les arcanes de la manipulation et de l’innocence souillée dans les tréfonds d’Internet.
Cours, gamine… Tu es née le 11 septembre 2001. Comme un poids sur ton âme. Tu as la main droite tranchée. Longtemps après, tu sauras pourquoi et comment. Tu as aussi un kilomètre carré d’Antarctique qui t’attend en héritage. Le blanc immaculé de ton enfer ou celui de ta pureté ? Ton parfum a l’ivresse de la révolte, dont l’ardeur n’attend pas le nombre des années. La vie, c’est comme la guerre. Rendre les coups. Alors le démon Précarité, qui s’abat sur ta famille, n’a qu’à bien se tenir. Et la société qui l’a engendré avec…
Éric Cherrière, à travers un polar à l’insolence singulière, signe un hymne à une enfant survoltée du siècle, incarnation de ses propres colères. On se prend d’affection pour Maud, son énergie, sa ténacité, sa soif de liberté. Son noyau familial, aussi : son frère, sa mère, son père et son grand-père. Tous unis comme les cinq doigts de sa main absente, sa préférée pour faire des doigts d’honneur. Et lorsque Maud entraîne son clan dans des expéditions punitives, où le sang versé est la dîme d’un idéal de justice à reconquérir, le lecteur se refuse à la juger. N’est-ce pas plutôt le déterminisme social qui est immoral ?
Lumineuse héroïne qui, autant pour triompher du cynisme d’un ordre mondial bien pensant que pour sauver les siens, sillonne son chemin des ténèbres. Transitant par le palais du roi de Norvège et la Cour pénale internationale de La Haye (deux scènes casse-gueule totalement réussies), l’odyssée farouche et rebelle de Maud fait partie de ces morceaux d’imaginaire inaptes à déserter la mémoire d’un lecteur… L’écriture alerte enchaîne des scènes courtes, très visuelles. Adoptant le point de vue de Maud, elle sait être lyrique, d’une mélancolie qui désamorce le désespoir et privilégie l’émotion. Le rêve au bout du chemin…
Je reviendrai lorsque je serai prête, lâche la guerrière dans les dernières pages. Est-ce à dire que l’on retrouvera Maud et sa fureur de survivre ? Il persiste tant de douleurs en notre monde…
Usual Victims (les cinéphiles apprécieront…), qui nous emmène là où on ne s’y attend jamais, sort également des sentiers battus du polar. Gilles Vincent peut se targuer de prendre de court nombre de lecteurs aguerris par ses constants changements de trajectoires narratives. Roman chausse-trappe donc, où le chasseur devient proie, puis victime, voire pire encore (si, si, c’est possible…). Tout pitch relevant de la gageure, livrons juste les prémices de l’intrigue.
Une multinationale de commerce en ligne enregistre une vague de suicides dans le rang de ses employées. Parmi le trio de flics chargés de l’enquête, un jeune stagiaire diagnostiqué Asperger, dont les troubles obsessionnels – le calcul du poids de tout objet, la passion jusqu’à la déraison du film noir – vont doper sa perspicacité et les événements…
On a aimé les titres précédents de Gilles Vincent pour leur côté retors et vénéneux. Ici, il s’avère ludique et cruel. En s’émancipant, pour mieux les pervertir, des règles du roman noir et du thriller. En bringuebalant, pour mieux qu’on se les approprie, des personnages centraux et d’autres moins secondaires qu’ils n’y paraissent… Tout le talent d’un grand menteur est de faire croire qu’il n’a aucun talent pour le mensonge (House Of Cards, saison 2, épisode 5). La citation en exergue du roman donne le ton. De toutes les cartes brouillées, l’auteur sort de sa manche in fine l’ultime, la numéro 13 du tarot, brandie par Faust en personne… Et nous envoie, clin d’œil pour les amateurs d’échecs, le baiser de la mort…
Avec un rare brio, Usual Victims plonge dans les tréfonds du dark web et dissèque les arcanes de la manipulation, de l’innocence souillée. Les chapitres courts et rythmés s’enchaînent, inéluctables, comme les séquences d’un film. D’ailleurs, séduit par l’histoire et son traitement, un important producteur du cinéma français vient d’en acquérir les droits.
Souhaitons que l’adaptation à venir brille des mêmes feux que le roman, récit glaçant sur l’essence du Mal, qui n’épargne ni les hommes, ni les bêtes… Longtemps après le livre refermé, résonne en nous l’écho lancinant du gémissement des chiens…
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