Plus qu’un « complexe de loisirs à thématique historique », le parc reste, malgré ses spectacles éblouissants, une arme de guerre idéologique et un business florissant pas toujours respectueux des droits sociaux.
Voilà l’été ! Vous rêvez d’aller un jour en prendre plein la vue au Puy du Fou, et votre comité d’entreprise bénéficie de promotions : à vous le voyage immersif dans le temps ! Avec ou sans réductions, sachez tout de même que ce « rendez-vous unique avec l’Histoire » n’est pas un loisir si « populaire », l’entrée coûtant jusqu’à 47 euros pour une journée, plus 39 euros les soirées de Cinéscénie, le clou du spectacle, joué par une armée de bénévoles les vendredis et samedis (c’est déjà complet pour la saison 2022). Auxquels il faut ajouter 200 euros minimum par nuitée pour profiter d’une nocturne et rester au moins deux jours, et les forfaits transports intégrés si vous n’êtes pas motorisé pour accéder à cet endroit reculé du bocage vendéen.
Certes, le parc n’a plus rien à voir avec le son et lumière présenté en 1977 grâce au soutien des notables, élus locaux et bénévoles. Le Puy du Fou a été plusieurs fois distingué pour la qualité de ses spectacles, y compris à l’international. Ses moyens sont gigantesques : quelque 200 salariés permanents, un vivier de 4 000 bénévoles, 2 000 saisonniers parmi lesquels de nombreux intermittents du spectacle, 1 500 animaux, des dizaines de métiers intervenant sur les décors, les costumes, les effets spéciaux et la pyrotechnie dernier cri, les cascades avec ou sans animaux… Rien n’est trop beau pour optimiser l’offre d’aventure en 3D.
Le site n’ouvre que pendant six mois mais accueille plus de 2 millions de visiteurs chaque saison. Et on ne se contente plus d’y évoquer le destin des Chouans pendant la Révolution française ; on côtoie désormais les Romains et les poilus de 1914-1918, en passant par les Vikings, Clovis, Jeanne d’Arc ou d’Artagnan !
Sous les paillettes, l’idéologie
Mais qu’est-ce qu’on y voit vraiment ? Une interprétation de l’Histoire certes simplifiée pour les besoins de la vulgarisation, mais surtout pour servir un propos, celui du seul créateur et dialoguiste des tableaux mis en scène : Philippe de Villiers. Son objectif initial était de défendre la thèse d’un « génocide vendéen » pendant la Révolution française, réfutée par les historiens même si les massacres dans cette région ont longtemps été minimisés.
Un nouvel et passionnant ouvrage paru ce printemps, Le Puy du faux (*) élargit l’analyse. Quatre historiens, chacun spécialiste d’une période évoquée dans le parc, reviennent sur la prétention jamais complètement démentie par ses dirigeants à vouloir convoquer l’histoire. Les auteurs saluent la qualité technique, visuelle ou artistique des spectacles, comme l’accueil irréprochable fait aux visiteurs.
Pour le reste, à l’instar d’autres qui témoignent sur les réseaux sociaux s’être sentis mal à l’aise, ils constatent de nombreux raccourcis caricaturaux, des anachronismes en pagaille, des erreurs grossières voire des inventions. Les tableaux se doivent en effet de défendre l’idée d’une France paysanne éternelle, chrétienne, où les élites et le roi protègent leurs gens – pas de conflits avec les seigneurs, d’ailleurs le travail n’est quasiment jamais montré, ou alors il n’a rien d’épuisant.
Les femmes et les pauvres savent rester à leur place, et la parfaite harmonie de la société se trouve menacée soit par la République soit par un ennemi venu de l’étranger. Ainsi des méchants Romains qui martyrisent les gentils Gaulois chrétiens, peu importe si les Gaulois étaient déjà romanisés à l’époque évoquée et si le christianisme est entré en Europe par l’Empire romain…
De nombreux écrits documentent cette instrumentalisation idéologique et politique de l’histoire. Le public est encouragé à participer activement et à s’impliquer émotionnellement dans les spectacles, qui s’appuient sur le roman national tel qu’on l’enseignait au XIXe siècle : passéiste, avec des variantes révisionnistes voire complotistes, le tout rehaussé à la mode hollywoodienne. De quoi marquer l’imaginaire des plus jeunes, d’autant que de nombreux voyages scolaires y sont organisés.
On trouve aussi dans les magasins du parc des livrets « historiques » édités par le Puy du Fou, qui ne résultent en rien de recherches s’appuyant sur la confrontation des sources, en toute humilité et honnêteté. Sans parler du « Puy du Fou Academy », un établissement scolaire hors contrat qui, en septembre 2022, accueillera plus de 400 élèves de la petite section à la seconde, en apprentissage des arts du spectacle à mi-temps. Uniformes et levée du drapeau de rigueur, non-mixité à partir du collège… Là aussi c’est une certaine idée de la France, peu détaillée sur le site web, qui se transmet.
Dans les coulisses, le règne absolu du seigneur
L’ouvrage Le Puy du faux se conclut par des propositions de scénarios qui rendraient possible une mise en scène intelligente de faits historiques, garante d’une transmission vulgarisatrice et ludique de connaissances. Mais Philippe de Villiers et ses proches se moquent des critiques comme du consensus sur les faits. Lui se satisfait d’être plus influent qu’au temps de ses mandats politiques. N’est-il pas le seul à avoir obtenu une dérogation pour remonter la jauge de ses tribunes à la sortie du premier confinement en juin 2020 ?
N’a-t-il pas ébloui le ministre de l’Économie Emmanuel Macron qui, lors de sa visite en 2016, a qualifié le parc de « joyau français » ? « Le Puy du Fou, c’est un État dans l’État », assure Martine, intermittente du spectacle, qui y a travaillé il y a quelques années. Elle a vu les coulisses côté partenaire, comme costumière : « J’ai établi le devis pour la structure qui m’employait. On m’a fait comprendre que pour décrocher le contrat, le “droit d’entrée” consistait à effectuer des travaux d’aménagement textile dans la résidence d’un proche du clan Villiers. Nous avons ensuite été chaperonnés pour réaliser les costumes des hôtesses d’accueil et serveuses qui reçoivent les VIP au château XVIIIe, une activité de lobbying très importante auprès des personnalités médiatiques et politiques, en particulier de droite et d’extrême droite. Là encore avec un cahier des charges problématique. Les filles, choisies pour leurs mensurations attrayantes, devaient accepter des tenues extrêmement décolletées. Une d’entre elles a voulu porter plainte pour une agression sexuelle. Sa famille a subi de telles pressions qu’elle a dû accepter de prendre un chèque et de quitter la région. »
Martine a également vécu les coulisses côté bénévoles et participé à la Cinéscénie : « C’est un milieu très endogame, on y rentre seulement par double cooptation, et Philippe de Villiers, qui connaît personnellement chaque Puyfolais et Puyfolaise, y règne en seigneur et maître. Personne ne prend de vacances sur cette période et chacun travaille gratuitement et avec fierté au poste qu’il se voit assigné, sans rechigner, malgré une hiérarchie implacable et des décisions parfois contrariantes. Le sentiment d’appartenance à une grande famille y est fort et structurant. Quand tu es Puyfolais, tu entres dans le réseau et tu espères bénéficier de la solidarité en cas de problème, au travail ou ailleurs. Tu fais preuve d’une docilité à toute épreuve, mais tu te sens protégé. »
La machine à cash avant le droit du travail
Quant aux saisonniers, les intermittents en particulier, là aussi les lois de la République et le droit du travail ne sont pas la priorité. Les contrats garantissent un nombre d’heures, mais il est entendu en off que le travail réel ira bien au-delà, c’est à prendre ou à laisser. La Cgt a essayé de nouer des contacts sans succès ; l’omerta est très forte.
Double planning, arnaques à l’assurance chômage, heures supplémentaires non payées… un intermittent défendu par le Syndicat national des artistes et musiciens (Snam-Cgt) a failli mener son affaire aux prud’hommes. Face à l’armada d’avocats qui se formait, il a cédé « à l’amiable », et a préféré partir tout de suite avec un chèque d’une moindre valeur. Quant aux polémiques récurrentes sur la maltraitance animale – récemment encore, sur les rapaces –, excusez le manque de place…
Intouchable car pourvoyeuse de centaines d’emplois dans la région, la famille de Villiers se défend par ailleurs de chercher à faire du profit : « Le Puy du Fou est un acte d’amour gratuit », martèle Nicolas, Pdg du groupe et fils de Philippe, sur le site web du parc.
Une association loi 1901 organise la Cinéscénie, et une société par actions simplifiée le grand parc. Tous les bénéfices sont officiellement réinvestis dans l’une ou l’autre, mais de nouvelles structures ont été créées, pas toujours transparentes, notamment pour engranger les droits sur les scénarios, ou assurer le développement du concept à l’international – après l’Espagne et les Pays-Bas, des projets existent aux États-Unis et en Chine. Une rencontre a même eu lieu avec Vladimir Poutine en 2014, en Crimée, le président russe envisageant à l’époque de ne pas réécrire l’histoire qu’avec des bombes.
Est également prévue pour 2023, une « croisière terrestre » de luxe, à bord d’un « train de l’histoire » parcourant la France pendant six jours jusqu’au terminus au Puy du Fou, agrémenté de visites privées immersives et insolites, pour VIP seulement : les 30 convives par voyage devront s’acquitter d’un billet à 5 000 euros chacun.
Voilà pour les petites histoires. On peut se rendre au Puy du Fou, y apprécier les spectacles sans gober leurs biais idéologiques et les réalités sociales en coulisses, sans se soucier de participer au financement d’un business pas très compatible avec ses valeurs. On peut. Ou pas.
Valérie Géraud
* Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, Le Puy du faux. Enquête sur un parc qui déforme l’Histoire, Les Arènes, 2022, 208 pages, 18 euros.
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