Les soignants se mobilisent pour que la campagne électorale n’occulte pas les véritables dangers qui pèsent sur l’hôpital.
Il n’y a pas que la cinquième vague qui mette l’hôpital à genoux. Le 11 janvier, les personnels soignants l’ont rappelé lors d’une nouvelle journée nationale d’action, à l’appel d’une coordination très large réunissant les organisations syndicales, médicales et paramédicales (1), ainsi que de nombreuses autres organisations professionnelles. Nombre de ces personnels multiplient également les minutes de silence collectives, ne trouvant plus les mots à force de ne pas être entendus, pour déplorer la mort de l’hôpital public. Toujours debout malgré tout. Il leur semble vital de le répéter, à l’instar de leurs représentants : « La crise structurelle, déjà alarmante avant la pandémie, s’aggrave faute de désavouer les réformes catastrophiques qui en sont à l’origine. Au lieu de prendre acte du fait que les soignants manquent de moyens, que leurs conditions de travail se détériorent, et de rendre attractives les professions médicales et paramédicales, le gouvernement entretient une spirale infernale qui accélère la désaffection des soignants. L’hôpital, comme les soignants, menace de s’effondrer. »
Faire plus – et mieux – avec moins de lits et moins de soignants ?
Le Ségur de la santé n’a fait que poser quelques pansements sur une plaie à vif. Alors que, mi-janvier, la hausse des contaminations, des hospitalisations – y compris en soins intensifs – et des décès n’a pas encore atteint son pic, partout les hôpitaux n’ont d’autre solution que de déprogrammer des opérations ou des actions de prévention afin de redéployer des lits disponibles pour les patients Covid. Partout, les soignants doivent faire des choix et prioriser l’accès à certains profils de malades. En attendant un bilan fiable, ils estiment que de nombreuses personnes ont perdu des chances de se soigner et d’aller mieux.
Un constat inacceptable, qui ajoute de l’exaspération à l’épuisement. Si l’hôpital n’a plus la capacité d’accueillir tous ceux qui en auraient besoin, c’est d’abord parce que les réformes toujours en cours visent à supprimer le nombre de lits vacants dans les établissements au profit d’un accueil en ambulatoire. Ainsi, la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) établit que 27 000 lits ont été supprimés depuis 2013 (dont 17 900 depuis 2017)… et 5 700 lits fermés rien qu’en 2020, en pleine pandémie !
L’hôpital perd ses compétences et compromet la relève, donc l’avenir
Pire, de 15 % à 20 % des lits disponibles ne peuvent être mis à disposition faute de personnel compétent pour prendre en charge les patients. La pandémie aurait même accéléré l’hémorragie : au niveau national, l’absentéisme atteindrait au moins 10 % des effectifs. Il serait essentiellement dû à l’épuisement professionnel et à des dépressions. Le Covid, lui, n’entraîne guère plus que 2 à 3 % des arrêts de travail. D’autant que le gouvernement incite les soignants positifs à venir travailler, ce qui heurte profondément leur sens de la déontologie. Les heures supplémentaires ont beau exploser (2,5 millions à l’Ap-hp en 2021), elles sont loin de compenser le manque de main-d’œuvre. Dans ce contexte, il est encore difficile de mesurer la part des démissions dans cette hémorragie, mais les organisations mobilisées estiment qu’il manque 60 000 infirmières (2) pour occuper les postes vacants, alors que 180 000 diplômées de moins de 62 ans ont quitté la profession.
Plus grave encore, tous les signaux sont au rouge concernant la relève : les étudiants (en médecine, en école d’infirmières) ont été parachutés en renfort dans les services – certaines formations ont même été suspendues. Ils sont en première ligne, sans vraiment être préparés à la médecine d’urgence, à la confrontation quotidienne à la souffrance et à la mort, au contact avec les familles. Ils sont nombreux à présenter des troubles dépressifs, du découragement et de l’épuisement. Nombre d’entre eux renoncent pendant leur formation ou démissionnent dès leurs premières années en poste (nous y reviendrons prochainement).
Des revalorisations vécues comme des affronts
Curieusement, cette désaffection persistante et même accélérée ne semble pas préoccuper le gouvernement, qui affiche sa satisfaction, niant les réalités de terrain et se glorifiant d’avoir engagé des sommes inédites, notamment pour revaloriser les métiers du soin. Un discours insupportable pour les soignants, y compris pour ceux qui ont réellement bénéficié de revalorisations. Pour rappel, tous les personnels, loin de là, n’auront pas droit au fameux complément de traitement indiciaire de 183 euros, qui ne constitue d’ailleurs pas une revalorisation pérenne et inscrite dans la grille de qualifications.
Certaines professions comme celle des sages-femmes, après des années de mobilisation, ont un peu plus fait bouger les lignes (voir nos précédents numéros), obtenant récemment une revalorisation de 500 euros, un début de reconnaissance de certaines responsabilités médicales et l’allongement nécessaire de leur cursus de formation. Mais, là encore, cette augmentation prend en compte des sommes déjà acquises et ne concerne pas forcément les intérimaires ou celles qui travaillent pour les collectivités territoriales… D’autres comme celle des orthophonistes n’obtiennent toujours rien et estiment que leur métier est en voie de disparition dans l’hôpital public, ce qui s’avérera dommageable quand il faudra assurer des interventions d’urgence auprès de certains patients et former les futures orthophonistes.
Rendre l’hôpital attractif, c’est aussi donner aux professionnels des moyens pour bien travailler
Le dernier « geste » du ministère est l’annonce d’une prime mensuelle de 100 euros dès janvier pour quelque 24 000 infirmières travaillant dans les services de « soins critiques » : « La difficulté des tâches peut nuire à l’attractivité de ces services », a assuré le Premier ministre, affectant de croire que 100 euros, concédés aux seules infirmières, et pas aux aides-soignantes par exemple, suffiraient à faire supporter encore et toujours l’insupportable. Autre concession censée être appréciée par les soignants, la majoration de 100 % des heures supplémentaires… et la promesse que leurs enfants seront accueillis à l’école (à condition que les deux parents soient soignants !). Pendant ce temps, la désaffection se poursuit : 40 % d’entre eux envisageraient de changer de métier.
Les soignants sont… patients. Ils continueront de demander de vraies revalorisations, mais aussi une meilleure rémunération notamment du travail de nuit (actuellement seulement 1 euro de plus par heure) et le week-end. Des conditions de travail dignes, ce qui ne sera pas possible sans des dizaines de milliers d’embauches, qui permettraient de fidéliser les équipes et d’attirer un vivier de jeunes. Et, pour les futures ressources humaines, un plan d’urgence pour pouvoir former et recruter, avec l’ouverture de nouvelles écoles et des formations rémunérées.
Valérie Géraud
Amuf (Association des médecins urgentistes de France), Cfe-Cgc, Cgt, Sud, les collectifs Inter-Blocs, Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences, le Printemps de la psychiatrie, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.
Nous avons choisi d’utiliser le genre féminin pour parler des professions majoritairement occupées par des femmes.
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