En s’imposant jusque dans les petites entreprises, les élections au Cse font apparaître de nouveaux militants Cgt. Échange autour de leur parcours, de leurs attentes et de leurs besoins.
Participants :
Caroline Blanchot, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt chargée de la vie syndicale ;
Jérémie Jaeger, élu au Cse de l’Agence parisienne pour le climat ;
Alexis Monnet, élu Cgt dans une entreprise de service numérique lyonnaise ;
Martine Hassoun, Options.
– Options : Pouvez-vous d’abord nous dire pourquoi vous vous êtes présentés à des élections au Cse ?
– Jérémie Jaeger : J’ai 25 ans. Je travaille dans une petite association d’une vingtaine de salariés qui, à l’échelle territoriale, accompagne la mise en œuvre de politiques pour le climat. Je suis représentant du personnel au Cse depuis un an. Si j’ai choisi de me présenter à ce mandat, c’est d’abord parce que la défense des conditions de travail m’importe et que je suis très attaché au respect du droit social. Dans une structure comme celle dans laquelle je suis employé, ce n’est pas toujours facile, tant les rapports sociaux sont mâtinés de paternalisme. Un contexte qui ne facilite pas la reconnaissance de l’existence de relations de pouvoir, encore moins du lien de subordination qui implique que l’employeur prenne ses responsabilités dans un tas de domaines liés aux conditions de travail. L’autre raison qui m’a poussé à me présenter est que, si je ne l’avais pas fait, personne ne serait présenté aux élections.
– Vous vous êtes présentés sur une liste syndicale ?
– Jérémie Jaeger : Non, à l’époque, je n’avais pas de contact avec la Cgt. Je me suis présenté en candidat libre avec un suppléant, puisque nous ne sommes pas assez nombreux pour avoir deux titulaires.
– Alexis Monnet : Pour ma part, j’ai 27 ans et je travaille dans le milieu informatique. Je me suis fait élire en novembre dernier dans une entreprise de consulting de 52 salariés, créée il y a quinze ans et qui a crû extrêmement vite mais qui, comme celle de Jérémie, a un mode de fonctionnement très paternaliste. L’ambiance ici se veut bienveillante. La porte, nous dit-on, est toujours ouverte pour discuter. Les choses sont peut-être un peu plus compliquées, on va le voir. Mais c’est dans ce contexte que je me suis présenté, considérant que cette candidature était pour moi la prolongation d’engagements que j’ai depuis longtemps dans le milieu associatif. Il n’y avait pas de délégués du personnel. On a donc demandé à la direction d’organiser ces élections, en lui expliquant que ce serait bien de ne pas en rester à un face-à-face salariés-direction. Mes collègues étaient partants. Personnellement, je voulais que cette aventure s’organise dans un cadre syndical. J’avais des amis à la Cgt. J’ai beaucoup discuté avec des élus Cse d’une des entreprises clientes avec qui on travaillait. Ils étaient à la Cfdt, mais ils m’ont incité à me lancer. C’est comme ça que j’ai contacté l’Ugict.
– Caroline Blanchot : Je me souviens de votre demande ! Elle est arrivée sur notre site un vendredi après-midi… pour faire partie du protocole de négociation le mardi suivant. Franchement, c’était la panique. Je me suis demandé comment on allait faire. Ça n’a pas été facile. L’Ugict est une structure interprofessionnelle qui ne syndique pas directement. Je ne suis ni membre de la fédération dans laquelle tu es censé te syndiquer, ni présente sur le territoire dans lequel vous travaillez. Je disposais de peu de temps pour te répondre. J’ai quand même tenté. Et on a réussi ! Et ceci, c’est important de le dire, est à mettre au compte de la réactivité des structures, notamment des correspondants Ugict-Cgt en territoire et dans les professions.
– Pourquoi ressentiez-vous la nécessité de vous syndiquer ?
– Jérémie Jaeger : Parce que j’ai la conviction que c’est la meilleure façon pour les salariés de se défendre et la meilleure façon aussi de ne pas être seul. Isolé, un élu ne peut se faire entendre. Je le savais mais, en prenant mes fonctions, j’en ai vraiment pris la mesure. Très vite, j’ai compris que j’avais besoin d’un lieu collectif où disposer d’informations et échanger. Ça m’est désormais possible grâce au collectif jeunes de l’Ugict et à mes contacts avec la fédération Cgt des Sociétés d’études. Et puis, un syndicat Cgt s’est créé dans l’entreprise. On en est au tout début du processus. Mais hier, on a tenu une réunion syndicale. Nous étions cinq. Cinq sur une vingtaine de salariés, c’est bien, non ? ! Et on a espoir de se développer.
– Et pourquoi avoir choisi la Cgt ?
– Jérémie Jaeger : Parce que c’est une vision de la société à laquelle j’adhère. J’en ai beaucoup discuté avec mes collègues. On a hésité à adhérer à Sud-Asso, qui porte des revendications qui correspondent au secteur d’activité dans lequel nous sommes même si, officiellement, on relève de la convention collective des sociétés d’études, Syntec. Mais on s’est rendu compte qu’on avait besoin d’un réseau militant capable de nous soutenir, que ne pouvait pas nous offrir Sud-Asso. Quand on a contacté la Cgt, on a eu un très bon accueil. Donc on a continué dans ce sens.
– Alexis Monnet : Pourquoi la Cgt ? Parce que j’ai des amis qui me l’ont conseillée et que je trouve les autres syndicats trop consensuels. Plus largement, si j’ai voulu me syndiquer, c’est aussi parce que je voulais me protéger. Mes collègues ne m’ont pas suivi dans cette aventure, mais six d’entre eux ont accepté de se présenter sur une liste Cgt. L’Ul de Lyon-3e/6e et la Cd du Rhône m’ont beaucoup aidé pour y parvenir. Elles nous ont dépêché des militants qui sont venus nous voir pour nous expliquer, à moi et à mes collègues, ce qu’est le syndicalisme, l’importance d’une liste Cgt, la façon dont on peut agir dans le cadre d’un Cse. On a organisé deux soirées ensemble. Un syndicaliste d’une entreprise informatique est aussi venu nous rencontrer. C’était important. On avait besoin d’informations syndicales très pratiques sur les Cse, mais aussi d’informations sur la tenue de ce mandat dans une entreprise comme la nôtre où il y a très peu de syndiqués. Il nous les a données. Cet échange a été important pour rassurer mes collègues.
La direction a SANS DOUTE pensé que les élections ne se tiendraient pas, qu’il y aurait carence. Or elles se sont tenues. Lors de l’entretien d’évaluation annuel qui a suivi, mon patron m’a spécifié qu’il m’aimait bien, qu’il aimait bien que j’apporte des idées, mais que l’entreprise n’était pas la mienne, que je n’avais pas mis d’argent dedans. Qu’il fallait que je me calme.
– Comment peut-on concevoir ces mandats et leur exercice ?
– Caroline Blanchot : Il est intéressant de constater que, malgré l’esprit qui a guidé la création des Cse et la rapidité avec laquelle cette nouvelle Irp nous a été imposée, malgré les réelles difficultés que nous rencontrons notamment pour couvrir les listes des 2e et 3e collèges, ce contexte nous offre une opportunité de renforcement. De nombreux jeunes manifestent le désir, non seulement de se syndiquer à la Cgt, mais aussi de se présenter sur nos listes « encadrement ». Cette dynamique contredit ceux qui disent que les jeunes ingénieurs, cadres ou techniciens sont des salariés individualistes et carriéristes éloignés de l’activité syndicale.
– Jérémie Jaeger : Personnellement, j’attache beaucoup d’importance à relayer les attentes de mes collègues. Par principe et parce qu’étant le seul élu, c’est la seule manière, je crois, de me faire entendre auprès de la direction. Quand ma directrice s’emporte, je peux lui dire que je ne suis pas seul. Que les demandes que je porte ne sont pas les miennes mais celles de tout le personnel. Et ça change tout. Avant chaque réunion Cse, j’organise une réunion avec les salariés pour discuter des conditions de travail, expliquer ce qui s’est passé lors de la précédente réunion et rassembler les questions qu’ils veulent traiter lors de la réunion suivante. Cette manière de faire permet de légitimer ensuite ma parole.
– Alexis Monnet : Et vous êtes nombreux à ces réunions ?
– Jérémie Jaeger : Il n’y a jamais tout le monde. Mais beaucoup de salariés sont là et, ce qui est très intéressant, c’est que la discussion permet que toutes les demandes soient assumées collectivement. Je porte rarement de demandes individuelles. Les heures enfants malades ou les heures supplémentaires sont des questions sur lesquelles, au fur et à mesure de la discussion, tout le monde se retrouve, car s’ils ne sont pas concernés directement aujourd’hui, ils comprennent que ce sont des droits qui pourraient les concerner demain.
– Alexis Monnet : À la suite des élections qui se sont tenues en novembre, nous avons tous été élus : trois titulaires, quatre suppléants. Nous avons décidé de nous partager les heures afin que le temps de délégation soit réparti entre tous. Comment les choses se sont-elles organisées ? La situation est un peu particulière puisque je suis parti quelques semaines après les élections, et que les élus qui restent sont un peu perdus. J’assurais un cadre qui permettait de se retrouver, d’échanger et de travailler. Peu connaissent le fonctionnement des Cse. Ils auraient dû rappeler la Cgt. Ils n’ont pas osé. Ils devraient le faire : la liste sur laquelle ils ont été élus est une liste Cgt.
– Caroline Blanchot : Nous allons reprendre contact avec eux mais pourquoi êtes-vous parti ?
– Alexis Monnet : Lorsqu’en septembre, j’ai informé ma direction de mon intention de demander des élections Cse, je l’ai fait en expliquant clairement que je ne voulais pas que cette initiative soit perçue comme un affront mais plutôt comme une occasion de travailler ensemble. J’avais dans l’esprit de devenir ensuite responsable syndical pour négocier des accords. Je l’espérais pour améliorer les conditions de travail et ne pas laisser l’employeur penser que le Cse se limiterait à l’organisation d’activités sociales et culturelles. Je voulais construire quelque chose. Le problème, c’est qu’on n’a pas de Drh, on a juste une chargée de recrutement qui n’a pas de compétence sur les questions sociales. Sans doute la direction a-t-elle pensé que les élections ne se tiendraient pas, qu’il y aurait carence. Or elles se sont tenues.
Lors de l’entretien d’évaluation annuel qui a suivi, mon patron m’a spécifié qu’il m’aimait bien, qu’il aimait bien que j’apporte des idées, mais qu’il fallait que je comprenne que l’entreprise n’était pas la mienne, que je n’avais pas mis d’argent dedans. Qu’il fallait que je me calme. J’étais un peu inquiet. Je me suis rapproché de la Cgt. J’ai permis l’organisation des élections. Mais lorsqu’en décembre, j’ai eu une opportunité d’aller ailleurs, dans un domaine plus éthique, je suis parti.
– Caroline Blanchot : C’est la pression dont vous avez fait l’objet qui vous a poussée au départ ?
– Alexis Monnet : C’est difficile pour un jeune d’envisager de faire carrière en militant. J’ai envie de faire mon métier un petit peu avant de m’engager davantage. Je le reconnais : ça m’a fait peur. En me présentant, mon objectif était d’être dans la coconstruction. On passe de nombreuses heures dans l’entreprise. Il faut apprendre à travailler ensemble.
– Jérémie Jaeger : Pour ma part, pour l’instant, je ne suis pas trop inquiet. Mais c’est vrai que je suis dans un secteur d’activité un peu particulier… On verra. En tout cas, l’expérience syndicale permet d’apprendre beaucoup de choses qui peuvent être utiles ailleurs.
– Caroline Blanchot : Les problèmes que vous soulevez là ne sont malheureusement pas spécifiques à vos entreprises. Il y a un besoin de lutter au quotidien contre les discriminations syndicales, car elles sont contraires à la loi. C’est une technique des directions pour ne pas laisser la Cgt s’implanter, se renforcer ou investir les collèges de l’encadrement. Mais j’aimerais insister sur autre chose. Le refus de vos employeurs de considérer le rôle économique lié à votre mandat d’élus est inacceptable. Quand on dit à un salarié : « ce n’est pas ton entreprise », on conteste cette réalité qui veut que ce sont les salariés qui créent la richesse. Une richesse bien plus importante que celle amenée par le capital.
Le patronat a toujours tenté de reléguer les élus, au mieux, au seul terrain des conditions de travail, au pire aux seules activités sociales et culturelles, oubliant ainsi que ceux-ci sont légitimes sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et le fonctionnement général de l’entreprise. Les moyens dont usent les entreprises pour produire sont aussi notre affaire. Elles sont au cœur de l’activité des Cse et de l’activité syndicale.
– Jérémie Jaeger : Une illustration du refus, parfois, des directions, de s’intéresser aux questions économiques : la réponse de ma directrice à laquelle je demandais des explications sur l’usage immodéré qui peut être fait des Cdd dans mon association. « Cantonne-toi au droit du travail » : voilà ce qu’elle m’a répondu. C’est là une négation à la fois du rôle économique du Cse et de la nécessité pour une association de respecter le droit du travail. Le problème, c’est qu’il est bien difficile ensuite de renverser le rapport de force.
– Caroline Blanchot : De là, toute l’importance de bien se former. La formation Cgt, notamment celle sur les Cse, aide nos élus à bien se positionner ; à mener leur mandat en lien avec le syndicat et les salariés, à construire le rapport de force. Ce qui n’est évidemment pas le cas des formations dispensées par l’employeur ou par des sous-traitants.
Ce sont les salariés qui créent la richesse. Une richesse bien plus importante que celle amenée par le capital. Le patronat a toujours tenté de reléguer les élus, au mieux au seul terrain des conditions de travail, au pire aux seules activités sociales et culturelles, oubliant ainsi que ceux-ci sont légitimes sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et le fonctionnement général de l’entreprise.
– Justement, de quels outils, de quels types de formation avez-vous besoin pour tenir votre mandat ?
– Alexis Monnet : Mes anciens collègues, avec qui j’ai discuté avant de venir, me disent manquer d’informations sur des aspects très techniques comme l’analyse des comptes. Je leur ai demandé s’ils souffraient d’un manque de légitimité face à la direction. Ils m’ont dit ne pas avoir de problème à ce niveau. Mais il leur manque des outils pour maîtriser le cadre général d’activité de l’entreprise… Il le leur manque comme, je dirais, il en manque à la direction pour développer les relations sociales dans l’entreprise et faire vivre un Cse. L’assistante de direction en charge de cela est totalement désemparée. Peut-être la Cgt devrait-elle organiser des formations pour les dirigeants !
– Caroline Blanchot : De nombreuses directions ont fait le choix de réduire les « ressources humaines », notamment de proximité. Pour elles, faire respecter les droits des salariés c’est contraignant et ça coûte cher. C’est notre rôle à la fois de dénoncer ces situations mais également de rappeler l’employeur à ses responsabilités. Il faut aussi organiser les salariés Rh pour obtenir de meilleures conditions de travail.
– Alexis Monnet : Je suis d’accord, mais il faut admettre que, dans les petites entreprises, les relations interpersonnelles influent fortement sur les conditions du dialogue social. Mon patron respectait la légalité et était bienveillant. Tous les trimestres, il réunissait le personnel pour boire un pot tous ensemble. Difficile, dans ce cadre, de convaincre les gens de s’engager…
– Caroline Blanchot : Soit. Mais tout ne se passe pas dans l’entreprise. La question sociale se pose aussi au niveau de la branche, au niveau interprofessionnel, au niveau national. Le dossier des retraites en est le meilleur exemple.
– Alexis Monnet : Mes anciens collègues m’ont demandé ce que j’aurais fait si j’étais resté dans l’entreprise. Je leur ai répondu la chose suivante : j’aurais réuni tout le monde et j’aurais expliqué toute l’importance du Cse et de ses commissions. Je leur aurais proposé de réfléchir aux questions qu’ils aimeraient aborder, les demandes qu’ils pourraient avoir sur le sujet. Je leur ai conseillé de faire appel à quelqu’un de la Cgt, par exemple, qui pourrait leur expliquer comment lire une fiche de paie. C’est un élément essentiel pour défendre ses droits et comprendre les luttes en cours.
– Jérémie Jaeger : L’échange que nous avons démontre très clairement, je crois, que nous avons besoin de formation. Personnellement, j’en ressens fortement le besoin. J’ai besoin de formation et de moyens pour m’aider à développer ce rapport de force sans lequel je peux réclamer cinq fois la même chose à ma direction qui, cinq fois de suite, me la refusera. Le fait de pouvoir rencontrer des camarades au sein de la fédération des Sociétés d’études ou du collectif Jeunes diplômés de l’Ugict-Cgt m’apporte beaucoup. Mais c’est vrai qu’être élu dans une petite entreprise, c’est être un peu seul et, sans outils, on est un peu désemparé.
– Caroline Blanchot : Est-ce que le site www.toutsurlecse.fr dont je vous avais envoyé le lien peut répondre à votre demande ? Il a été construit par la Cgt de la région Auvergne-Rhône-Alpes justement pour répondre à toutes les questions que se posent les élus et les aider à se sentir moins isolés dans leur mandat. Les aider à construire ce rapport de force. Les grandes victoires sociales ne se sont pas gagnées autour d’une table mais par des mobilisations au sein desquelles les syndicats ont joué un rôle essentiel. C’est important de le rappeler en ces jours où les chefs d’entreprise aimeraient pouvoir les contourner ou les mettre au pas.
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