Au cœur de Bruxelles mais loin de la belgitude, il existe un monde à part qu’on surnomme la « bulle européenne » ou « Eurobulle ». Cet espace politico-médiatique délimité par les institutions européennes – Commission, Conseil ou Parlement – a sa vie propre, avec sa population d’expatriés, ses codes, son langage, son calendrier…
Or le 13 septembre avait lieu l’événement phare de l’Eurobulle : le discours annuel sur l’état de l’Union européenne (ou « Soteu » pour « state of the European Union »), prononcé par Ursula von der Leyen. La présidente de la Commission a mis en valeur les succès de son mandat, tout en soulignant le travail qu’il restait à accomplir – un discours de campagne, en somme, en vue de sa reconduction. La présidente von der Leyen a affirmé avec fierté que plus de 90 % des orientations politiques présentées en 2019 avaient été mises en œuvre, et elle s’est réjouie de la poursuite des travaux sur – entre autres – le changement climatique, la compétitivité européenne et l’inflation. Pourtant, comme nous l’avons pointé à Eurocadres, les problèmes quotidiens des travailleuses et des travailleurs n’ont pas été abordés : l’austérité, les droits sociaux, la redistribution des richesses (et l’imposition des super-riches) ont été publiquement omis.
Les promesses de la Commission européenne
Lorsqu’elle s’est exprimée sur les objectifs de décarbonation de l’Europe, la Commission a formulé la nécessité d’une « transition juste et équitable » qui ne laisserait « personne de côté », d’« emplois décents » et d’un « résultat équitable pour les générations futures ». Nous saluons l’appel à « plus de dialogue et moins de polarisation » lors de la discussion sur la protection de la biodiversité et sur la sécurité alimentaire.
L’annonce d’un nouveau sommet des partenaires sociaux à Val Duchesse et l’affirmation selon laquelle « l’avenir de l’Europe sera construit avec et par nos partenaires sociaux » a également été très bien accueillie par Eurocadres.
En bref, le discours de 2023 sur l’état de l’Union réaffirme l’engagement de la Commission sur de nombreux dossiers, le rôle des partenaires sociaux et la nécessité pour l’Europe d’agir pour atténuer le dérèglement climatique. Pour notre part, nous pensons que la clef est de fournir aux travailleurs les outils nécessaires pour agir, notamment par le biais d’une meilleure réglementation en matière de santé et de sécurité, d’un droit à la formation pour toutes et tous les travailleurs, et d’une économie européenne qui mette à égalité les objectifs sociaux, environnementaux et économiques.
Défense des droits sociaux face à l’intelligence artificielle
En tant que partenaire social reconnu, Eurocadres a été invité à l’événement de haut niveau organisé par la présidence espagnole sur l’avenir du monde du travail et du dialogue social. J’ai apporté ma contribution en animant un panel sur l’intelligence artificielle, les algorithmes et le travail. Dans ce domaine, on assiste à un foisonnement législatif, avec la loi sur les marchés numériques, la loi sur les services numériques et la loi sur l’IA encore en cours d’élaboration.
Tous les membres du panel se sont accordés sur la nécessité d’une surveillance humaine, d’évaluations de la santé et de la sécurité, d’une formation adéquate et d’une application stricte de la loi sur l’IA afin de protéger les droits des travailleurs. Les contributions du vice-Premier ministre belge Pierre-Yves Dermagne ont été particulièrement intéressantes. Il a affirmé que les prochaines présidences du Conseil de l’Ue travailleraient sur les responsabilités des employeurs, la répartition équitable des gains dus à l’IA et l’évaluation des risques – y compris psychologiques. La formation et les sanctions ont été fréquemment évoquées, l’expérience américaine confirmant la nécessité d’un dialogue social et d’une intervention pour éviter que les grandes entreprises ne prennent trop d’avance.
Ce point est directement lié à la contribution de l’experte Francesca Bria, présidente de la Fondation italienne pour l’innovation, pour qui l’autodétermination numérique doit être un élément central de toutes les actions européennes afin d’éviter les situations de monopole. Un système dans lequel un petit nombre d’entreprises tiennent le marché ne fonctionne pas. Il faut démocratiser et redistribuer la richesse créée par les IA. La capacité d’action de l’Europe a également été mise en question, avec des incertitudes sur la portée de la concurrence européenne entre les talents, les salaires, le développement des systèmes et les droits sociaux.
Sept point pour l’égalité femmes-hommes
Si de nombreux progrès ont été accomplis au cours des dix-huit derniers mois dans le domaine de l’égalité femmes-hommes, il reste encore beaucoup à faire. Des initiatives telles que les directives sur les femmes dans les conseils d’administration, la transparence des rémunérations et la lutte contre les violence sexistes et sexuelles sont nécessaires.
L’actuelle présidence espagnole du Conseil de l’Ue a cosigné, avec les présidences belge et hongroise qui lui succéderont jusqu’en décembre 2024, une déclaration sur l’égalité des sexes. Fondé sur sept points clés, le document s’engage à :
- travailler ensemble dans le cadre de la stratégie de la Commission pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2020-2025 ;
- combattre toutes les formes de violence fondée sur le genre, dont la violence économique, la cyberviolence et la violence sexuelle ; soutenir, protéger et offrir des réparations aux victimes, et demander des comptes aux auteurs ;
- lutter contre la traite des êtres humains et continuer à soutenir les survivantes et survivants de violences sexuelles et sexistes liées au conflit en Ukraine ;
- lutter contre la ségrégation sexuelle sur le marché du travail et dans l’éducation, en féminisant le secteur des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (Stem) ;
- promouvoir l’émancipation économique des femmes et réduire l’écart de rémunération et de pension entre les hommes et les femmes ainsi que l’écart en matière de soins, notamment par un partage égal des soins non rémunérés et du travail domestique ; relever le défi de la transition démographique par la solidarité intergénérationnelle ;
- renforcer les mesures spécifiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines ;
- promouvoir l’action des femmes dans la transition verte.
Stagiaires : faire cesser les abus
Enfin, ce mois-ci, Eurocadres a participé à la consultation en deux phases des partenaires sociaux sur un cadre européen de qualité pour les stagiaires. Le Baromètre européen a récemment pointé la précarité les travailleurs sous contrat de stage.
Dans sa réponse à la consultation, Eurocadres a stipulé que les stagiaires doivent avoir accès aux mêmes avantages et droits que leurs collègues. Nous suivons également les efforts du Parlement européen pour éradiquer les faux stages, le travail gratuit et les pratiques de travail déloyales qui excluent les stagiaires des droits sociaux – les stagiaires transfrontaliers étant une catégorie particulièrement vulnérable de ce point de vue. Nous continuerons à travailler avec les eurodéputés pour obtenir des résultats.