Au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, une exposition d’envergure s’attache à souligner, chez l’auteur d’« À la Recherche du temps perdu », l’importance de l’origine « du côté de la mère ».
Marcel Proust s’est éteint à Paris le 18 novembre 1922. À l’occasion de ce centenaire, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) s’emploie, à l’aide de près de 230 pièces – peintures, dessins, gravures, ouvrages, photographies et documents divers –, à explorer consciencieusement l’univers mental complexe de celui dont François Mauriac a pu dire : « Voilà la leçon terrible qu’il nous laisse : l’art n’est pas une plaisanterie ; il en va de la vie et il va de bien plus. »
« Marcel Proust du côté de la mère », c’est le titre de cette manifestation, dont l’ampleur manifeste constitue, sans doute permis, l’initiative mémorielle la plus importante sur le sujet. Songez que le Mahj a bénéficié de prêts consentis par quelque 30 institutions à l’étranger et dans le pays, au nombre desquelles la Bibliothèque nationale de France (BnF), le musée du Louvre, le musée Carnavalet, le musée Marcel-Proust à Illiers-Combray. Des prêts exceptionnels proviennent du musée d’Orsay et de collectionneurs privés.
C’est ainsi que le parcours est émaillé d’œuvres majeures de Monet (qui fut l’un des peintres d’élection de Proust), de Rodin, de Bonnard, de Vuillard, de Blanche, de Van Dongen… On peut voir en vitrine des épreuves corrigées de la main de l’écrivain. On sait qu’il nommait « paperolles » les ajouts sur petits papiers qu’il collait sur les pages de son manuscrit, dont les organisateurs de l’exposition soulignent, qu’à leurs yeux, les développements dans les marges rappellent les transcriptions du Talmud semées de commentaires adjacents enserrant le texte.
Des israélites parfaitement intégrés à la bourgeoise moderne de leurs temps
Sous la direction de la commissaire de l’exposition, Isabelle Cahn (conservatrice générale honoraire des peintures au musée d’Orsay), le conseil scientifique étant assuré par Antoine Compagnon (de l’Académie française, professeur émérite au Collège de France), l’accent est mis sur la judéité de Proust. Cela s’ouvre sur un tableau généalogique où il apparaît que la famille de sa mère, Jeanne Weil – elle épousera le docteur Proust, de vieille famille beauceronne et catholique – était issue d’une lignée d’israélites parfaitement intégrés à la bourgeoisie moderne de leur temps. On trouve, chez les Weil, des industriels, des financiers, des avocats, un magistrat, un écrivain, un musicien, un architecte…
Adolphe Crémieux (1796-1880), grand-oncle par alliance de la mère de Proust, brièvement ministre de la Justice en 1848 puis en 1870-1871, entrera dans l’Histoire en 1870 en attribuant, par décret, la nationalité française aux Juifs d’Algérie, ce que le régime de Pétain rayera d’un trait de plume.
On sait l’importance de sa mère dans la conception du grand œuvre de Proust, ne serait-ce que dans ses pages significatives du baiser du soir attendu dans le noir de la chambre d’enfant. On sait la part capitale qu’elle prit dans la formation sensible de ce fils délicat qui souffrit d’asthme sa vie durant. C’est avec son aide que Proust, relativement peu familier de la langue anglaise, traduisit, du critique d’art et esthète britannique John Ruskin (1819-1900), La Bible d’Amiens et Sésame et les Lys.
« Ses moyens le rattachent sans conteste à notre tradition la plus admirable »
Trois ans après la mort de sa mère, en 1905, Proust rédige Contre Sainte-Beuve, texte dans lequel elle demeure infiniment présente, sous la forme d’un dialogue avec son fils. On a exhumé d’un garde-meuble, en 1952, plus de mille pages manuscrites que Proust avait écrites ente 25 et 28 ans. Ces prémices d’À la recherche du temps perdu sont parues sous le titre Jean Santeuil (Quarto Gallimard, 2001). Proust y entendait « se délier pour un instant des glaces de la vie mondaine », qui constitueront, au demeurant, l’infrastructure de son grand œuvre.
L’admiration de la mère pour la figure biblique d’Esther, l’affaire Dreyfus qui révéla à Proust, en profondeur, sa judéité, les personnages juifs de son roman, que certains jugèrent caricaturaux (Swann signifiant pourtant le comble de l’élégance civilisée), le caractère honteux et clandestin de l’homosexualité comparée à la condition juive, l’intérêt de Proust pour le sionisme, sa découverte des Ballets russes constituent autant de chapitres, parfaitement étayés, illustrés et commentés, de la vie et de l’œuvre de ce génie, dont Paul Valéry a pu dire que « ses moyens le rattachent sans conteste à notre tradition la plus admirable ».
Jean-Pierre Léonardini
Jusqu’au 28 août, Musée d’art en d’histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris 3e. www.mahj.org
Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience lorsque vous naviguez sur le site web. Parmi ces cookies, les cookies classés comme nécessaires sont stockés sur votre navigateur car ils sont essentiels au fonctionnement de fonctionnalité...
Les cookies nécessaires sont absolument essentiels pour que le site web fonctionne correctement. Cette catégorie ne contient que des cookies qui garantissent les fonctionnalités de base et les fonctionnalités de sécurité du site web.
Ces cookies ne stockent aucune information personnelle.
Les cookies déposés via les services de partage de vidéo ont pour finalité de permettre à l’utilisateur de visionner directement sur le site le contenu multimédia.
Ces cookies nous permettent d’obtenir des statistiques de fréquentation de notre site (ex : nombre de visites, pages les plus consultées, etc.).
Toutes les informations recueillies par ces cookies sont anonymes.