Chronique juridique -
Le droit européen du travail à mobiliser ! (2/2)
Des dispositions du droit européen du travail sont à connaître pour défendre les droits et libertés des travailleurs. Une illustration avec quelques jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue, Luxembourg) concernant l’action contre les discriminations.
Des dispositions du droit européen du travail sont à connaître pour défendre les droits et libertés des travailleurs. Une illustration avec quelques jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue, Luxembourg) concernant l’action contre les discriminations.
Suite notre article paru en janvier 2022.
Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
Selon l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (Tfue), chaque État membre « assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur ».
Cet article impose, de manière claire et précise, une obligation juridique de résultat. Ce n’est pas nouveau : il en est ainsi depuis une Directive européenne de 1975.
« On entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. »
Cette obligation – application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur – peut être invoqué devant les juridictions nationales (prud’hommes, etc.) dans un litige fondé sur un travail de même valeur accompli par des travailleurs de sexe différent ayant le même employeur, et employés dans des établissements différents de cet employeur, dès lors que celui-ci constitue une telle source unique (arrêt de la Cjue du 3 juin 2021, K e.a. contre Tesco Stores Ltd.).
Droits des travailleurs en situation de handicap
1) Un agent de maintenance a été recruté par HR Rail pour exercer sur les voies de chemin de fer belges. Pendant la période de stage préalable à sa titularisation au sein de l’entreprise, il a fait un malaise cardiaque. Il a ensuite été équipé d’un pacemaker dont le port n’est pas compatible avec les champs électromagnétiques existant sur les voies. De ce fait, cet agent a été reconnu comme personne handicapée. Il a été rapidement reclassé sur un poste de magasinier avant d’être licencié avant la fin du stage. En effet, selon le statut et le règlement applicables au personnel de la HR Rail, contrairement aux agents statutaires, les stagiaires qui, reconnus handicapés, ne sont plus capables d’exercer leur fonction, ne bénéficient pas d’une réaffectation au sein de l’entreprise.
Ce travailleur a sollicité, par une action en justice, l’annulation de la décision de licenciement. Le Conseil d’État de Belgique demande à la Cjue son avis concernant l’interprétation de la directive 2000/78 en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, et plus particulièrement la notion d’« aménagements raisonnables pour les personnes handicapées ».
La Cour considère que cette notion (« aménagements raisonnables pour les personnes handicapées ») implique qu’un travailleur, y compris celui accomplissant un stage consécutif à son recrutement, qui, en raison de son handicap, a été déclaré inapte à exercer les fonctions essentielles du poste qu’il occupe, soit affecté à un autre poste pour lequel il dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises, sous réserve qu’une telle mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée (Cjue, 10 février 2022, HR Rail).
La directive s’applique à un stagiaire – « un travailleur qui effectue un stage de formation consécutif à son recrutement par son employeur », dès lors que la période de stage est effectuée « dans les conditions d’une activité salariée réelle et effective en faveur et sous la direction d’un employeur ». Le fait que l’agent employé par HR Rail n’était pas, à la date de son licenciement, un agent définitivement recruté, n’empêche pas sa situation professionnelle de relever du champ d’application de la directive 2000/78.
Lorsqu’un travailleur devient définitivement inapte à occuper son poste en raison d’un handicap, sa réaffectation à un autre poste de travail est susceptible de constituer une mesure appropriée dans le cadre des « aménagements raisonnables ».
2) Concernant le maintien dans l’emploi d’un travailleur dont l’acuité auditive est inférieure aux niveaux requis par la réglementation et qui a, de ce fait, été licencié : la Cour juge que les dispositions de la directive 2000/78 s’opposent à une réglementation nationale prévoyant une impossibilité absolue de maintenir dans ses fonctions un agent pénitentiaire dont l’acuité auditive ne répond pas aux seuils de perception sonore minimaux fixés par cette réglementation, sans permettre de vérifier si cet agent est en mesure de remplir lesdites fonctions, le cas échéant après l’adoption d’aménagements raisonnables – l’utilisation d’un appareil auditif, une dispense, à son égard, de l’obligation d’accomplir des tâches qui nécessitent d’atteindre les seuils de perception sonore minimaux requis ou encore une affectation à un poste n’exigeant pas d’atteindre ces seuils. Le licenciement est donc discriminatoire (Cjue 15 juillet 2021, Tartu Vangla).
Articulation du droit national et du droit de l’Union européenne
Le droit de l’Union européenne fait partie du droit interne : « Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. » (Tfue, art. 4 §3).
Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des directives […].
« La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. » (Tfue, art. 288).
Le juge national (conseil de prud’hommes, etc.) doit interpréter le droit national (loi, décret, accord collectif de branche et d’entreprise, etc.) à la lumière du droit européen (directive, etc.), tel qu’interprété par le juge européen (Cjue de Luxembourg) pour atteindre la finalité (le résultat) prévu par le droit européen (le droit de l’Union européenne a primauté sur le droit national).
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