Cent bougies dans l’obscurité en faveur du surréalisme
Sous la forme d’un labyrinthe, l’exposition du Centre Pompidou répertorie les phases successives et les obsessions du mouvement, qui a durablement prouvé que « l’œil existe à l’état sauvage ».
C’est à partir de la parution, en octobre 1924, du premier Manifeste du surréalisme,d’André Breton, que l’on peut parler aujourd’hui de centenaire. De fait, le mouvement surréaliste proprement dit s’étend de 1924 à la fin des années 1960, Breton s’éteignant en 1966.
L’exposition « Surréalisme » du Centre Pompidou, qui adopte la forme d’un labyrinthe, rayonne autour d’un « tambour » central, au sein duquel est présenté, justement, le manuscrit original du Manifeste du surréalisme, exceptionnellement prêté par la Bibliothèque nationale.
Les fondements littéraires du mouvement sont mis en lumière à bon escient, à partir notamment de Sade et Lautréamont. On sait qu’au sortir de la grande boucherie de la guerre de 1914-1918, s’agrégèrent successivement, auprès de Breton, des poètes tels Aragon, Éluard, Artaud et pas mal d’autres.
Une série de brouilles, d’excommunications et de départs furtifs
André Breton, aux principes intransigeants, se retrouvera finalement seul, au terme d’une série de brouilles, d’excommunications et de départs furtifs ou tapageurs de ses compagnons. Quant à la peinture – ce qui intéresse au premier chef dans l’exposition –, il importe de rappeler que dans Le Surréalisme et la peinture (1928), Breton proclama, avec force, que « l’œil existe à l’état sauvage ».
Autour du noyau central où trône son livre fondateur, s’enroulent 13 niches thématiques illustrées par des tableaux, des gravures, des dessins… Ces chapitres didactiques, un tant soit peu scolaires, vont de l’entrée des médiums au cosmos, en passant par la trajectoire du rêve, la pierre philosophale, les forêts, les chimères, les larmes d’Éros, les monstres politiques, etc.
De Dali, on découvre le formidable Visage du grand masturbateur
Parmi les plus de trois cent cinquante œuvres montrées, les cadors dûment estampillés se taillent évidemment la part du lion sur les cimaises. Il y a d’abord, de Max Ernst, cet absolu chef-d’œuvre, L’Ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme), emblème et affiche de l’exposition (voir notre illustration). Puis, de Dali, le formidable Visage du grand masturbateur, huile sur toile peinte en 1929, prêtée par le Museo Reina Sofia de Madrid.
Du même, on note la présence du Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade, une seconde avant l’éveil (1944). On y voit deux tigres bondissant dans l’azur, au-dessus d’une femme nue endormie. Le surréalisme, après le choc décisif de la pensée de Freud, n’a-t-il pas mis l’inconscient, le rêve et l’érotisme au poste de commande ?
La rencontre d’un buste antique avec un gant de caoutchouc
On s’attardera devant Femmes encerclées par le vol d’un oiseau, de Joan Miró (1941-1959), gouache et lavis à l’huile sur papier, et l’on pourra goûter le mystère de L’Empire des lumières (1954) de Magritte. De Chirico, enfin, n’oublions pas le Chant d’amour (1914), qui organise la rencontre d’un buste antique et d’un gant de caoutchouc…
Étant donné le caractère itinérant de l’exposition (Paris, Bruxelles, Madrid, Hambourg et Philadelphie), sa réinterprétation s’effectuera « en fonction des contextes culturels et historiques des étapes de sa circulation ».
Si l’on se rappelle les mots d’ordre initiaux du surréalisme – « Changer la vie », de Rimbaud, et « Transformer le monde », de Marx –, on se dit qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres et que la commémoration de ces années fastes ne peut qu’être empreinte de nostalgie.
Jean-Pierre Léonardini
Jusqu’au 13 janvier 2025 au Centre Pompidou, galerie 1, niveau 6, tél. : 01 44 78 12 33
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