La protection fonctionnelle des agents entendus en audition libre par la police judiciaire
Un fonctionnaire entendu en audition libre ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle et par conséquent, de la prise en charge par l’administration de ses frais d’avocat. C’est inéquitable, juge un requérant. Le Conseil constitutionnel doit statuer fin juillet.
Par une décision rendue le 26 avril 2024, le Conseil d’État (1) vient de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (Qpc) portant sur la validité de l’article L. 134-4 du Code général de la fonction publique (Cgfp) relatif à la protection fonctionnelle des agents publics par leur administration.
L’article 134-4 du Cgfp dispose que : « Lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. L’agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. La collectivité publique est également tenue de protéger l’agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale. »
Le requérant, M. L., estime que cette disposition écarte du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics entendus par la police judiciaire « en audition libre ».
Or, l’audition libre permet d’interroger une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, sans la placer sous le régime de la garde à vue. La justice utilise aussi l’appellation « audition comme suspect libre ». Cette procédure peut être utilisée par les policiers, gendarmes ou fonctionnaires ayant des pouvoirs de police judiciaire. La personne entendue a le droit de quitter les lieux à tout moment. Dans certains cas, elle peut, cependant, être assistée d’un avocat (2).
Inégalité de traitement
Le requérant constate donc une inégalité de traitement entre un agent mis en examen, placé en situation de témoin assisté, mis en garde à vue ou qui se voit proposer une mesure de composition pénale et qui, donc, bénéficie de la protection fonctionnelle qui peut inclure la prise en charge des honoraires de l’avocat qui le défend ; tandis qu’un fonctionnaire entendu en audition libre ne peut bénéficier de ladite protection et par conséquent, de la prise en charge par l’administration de ses frais d’avocat.
Or, le Conseil d’État, dans sa décision précitée, constate que l’article L. 134-1 du Cgfp indique : « L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre. »
Pour cette juridiction, il résulte des articles L. 134-1 et L. 134-4 du Cgfp que « le bénéfice de la protection fonctionnelle est ouvert non seulement aux agents publics faisant l’objet de poursuites pénales, c’est-à-dire à l’encontre desquels l’action publique a été mise en mouvement dans les conditions prévues à l’article 1er du Code de procédure pénale, mais aussi aux agents publics entendus en qualité de témoin assisté, ou placés en garde à vue, ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale, mais que, compte tenu du caractère limitatif des situations ainsi visées, il n’est pas ouvert aux agents entendus en audition libre ».
Le Conseil constitutionnel doit statuer
Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.
En effet, une personne ne faisant pas l’objet de poursuites pénales engagées dans les conditions prévues à l’article 1er du Code de procédure pénale, mais qui est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction, peut être entendue en audition libre en application de l’article 61-1 de ce code, ou placée en garde à vue en application de l’article 63-1 du même code, et a alors droit à l’assistance d’un avocat selon les modalités définies par ces articles. Une personne qui, sans être mise en examen, est nommément visée par un réquisitoire introductif ou supplétif, peut être entendue en qualité de témoin assisté en application des articles 113-1 et 113-3 du même code, et bénéficie également, à ce titre, du droit d’être assistée par un avocat.
Enfin, en application de l’article 41-2 de ce code, une personne ayant reconnu avoir commis un ou plusieurs des délits mentionnés par cet article et à qui est proposée une composition pénale a le droit de se faire assister par un avocat avant de donner son accord à cette proposition.
Dans ces conditions, le Conseil d’État décide de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité de l’article L. 134-4 du Cgfp au bloc de constitutionnalité qui englobe les dispositions de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, précité.
Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine (3). Sa décision sera donc rendue au plus tard le 26 juillet 2024.
Conseil d’État, 26 avril 2024, M. L., requête n° 491324 ;
Source : Direction de l’information légale et administrative, publiée sur le site Service-public.fr ;
Article 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
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