Rencontres d’Options -
Rencontres d’Options 3/4 : le Radar travail environnement, un outil pour faire différemment, à partir du travail
Comment les salariés peuvent-t-ils être des « sentinelles » des enjeux environnementaux et sociaux ? La troisième table ronde a débattu de la finalité et des premiers résultats de l’outil codéveloppé par l’Ugict-Cgt et le collectif Pour un réveil écologique.
Bifurquer : depuis le coup d’éclat, en 2022, de diplômés d’AgroParisTech, le verbe connaît une forte popularité et envahit les discours. Tenter de le cerner n’est pourtant pas simple. Le sociologue Morgan Meyer s’y est essayé (1) en relayant la définition élaborée par les étudiants de l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse. Bifurquer, c’est d’abord faire différemment en changeant de mode de vie et en choisissant une voie alternative ; c’est aussi suivre son éthique, interroger et critiquer ; c’est, enfin, créer du lien et produire du « commun ».
Lancé officiellement en novembre 2022, le Radar travail environnement, codéveloppé par l’Ugict-Cgt et le collectif Pour un réveil écologique, avec l’appui de Sécafi (2), s’inscrit dans cette approche générale : mais à partir de l’expertise collective et de la place, dans les organisations du travail et de l’outil productif, des salariés qualifiés, cadres comme professions intermédiaires. En sens, il participe de la démarche de la Cgt visant à transformer le travail, par les travailleurs.
Secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt et pilote du projet, Fabienne Tatot inscrit, en introduction de ce débat, la création du Radar dans la continuité du Manifeste pour la responsabilité environnementale, rendu public en 2018, et de l’élargissement des prérogatives des comités sociaux et économiques (Cse) en matière environnementale, autorisée par la loi Climat et Résilience de 2021. « L’enjeu est donc que les équipes syndicales investissent ces questions, en retissant un lien de qualité avec les salariés », explique-t-elle. Pour ce faire, le Radar se présente comme « un outil » et un « processus ».
Ce processus, explicité sur un site dédié (Radartravailenvironnement.fr), se décline en plusieurs étapes. Il part de la réalisation d’un état des lieux factuel de la politique environnementale de l’entreprise ou de l’administration, sur la base d’un questionnaire précis portant sur sept axes : lutte contre le réchauffement climatique, contre l’effondrement de la biodiversité, contre les pollutions… Par exemple : votre entreprise fait-elle, chaque année, un bilan des émissions de gaz à effet de serre engendrées par ses activités ? Est-ce qu’elle quantifie les rejets de polluants ? A-t-elle un plan interne de préservation de la biodiversité ?… Ce premier travail d’enquête est ensuite transmis aux salariés pour aboutir à l’élaboration, en commun, de propositions concrètes, déclinées enfin en revendications portées devant les directions.
Cesser de brûler du pétrole, du charbon et du gaz
« Sur le plan du climat, le grand enjeu est de faire en sorte qu’on cesse de brûler, dans les vingt-cinq prochaines années, du pétrole, du charbon et du gaz », appuie Antoine Trouche, ingénieur, membre du collectif Pour un réveil écologique. Si certaines entreprises, comme l’État, amorcent une transition nécessaire pour un monde plus vivable, celle-ci manque trop souvent d’ambition. Elle ne prend en outre que très rarement en compte les conséquences de certaines décisions et stratégies sur les salariés, ignore les objectifs de « reconversions socialement justes », dès lors que des activités doivent cesser.
« Avec le Radar, poursuit l’ingénieur, nous voulons donner aux salariés et aux agents un outil concret pour identifier ce sur quoi il est possible d’agir, de participer à la transformation écologique de l’entreprise ou de l’administration, en considérant toute la chaîne de valeur ; une transformation à la fois efficace, rapide et respectueuse du travail et de l’emploi, en prenant en compte les compétences de chacun et les besoins de formation. » Il s’agit, au final, d’aboutir à un « principe d’action, non uniformisé, car l’enjeu de la transformation environnementale est spécifique, que l’on soit un industriel de l’électronique, une banque ou une papeterie par exemple, confrontée à un problème de stress hydrique », argumente Nicolas Cauchy, directeur général de Promotéa-Sécafi, partenaire du projet.
Une soixantaine d’expériences en cours
Aujourd’hui en phase de déploiement, le Radar fait l’objet d’une soixantaine d’expériences en cours ; la moitié sont menées dans les administrations et les collectivités territoriales. Travaux pratiques dans deux secteurs distincts : les activités bancaires et les « réseaux » qui ont, pour point commun, de se dire sur une trajectoire de décarbonation, souvent en vertu de stratégies oscillant entre « greenwashing » et discours purement marketing. « Faire face à cette intense communication interne et la critiquer est une des motivations qui nous ont conduits à utiliser le Radar, explique Irène Baudry, juriste à la Banque postale. L’autre motivation, c’est la nécessité de répondre aux aspirations des salariés, fortement préoccupés par les questions environnementales. »
Dans le déploiement de l’outil, des difficultés sont apparues : le recueil de l’information, le choix du périmètre de l’enquête, voire le peu de retours des questionnaires envoyés, en deux temps, aux salariés. « Mais ce sont des retours de qualité, suffisants pour passer à la dernière phase », souligne Irène Baudry. Ingénieur chez Nokia, Laurent Richard témoigne d’une volonté d’« aller chercher l’information » : après un état des lieux réalisé avec un cabinet d’expertise au niveau de l’entreprise et du groupe, le questionnaire envoyé aux salariés a permis de récolter 200 réponses, ce qui correspond à 10 % de taux de retour : « Ce n’est pas si mal, affirme Laurent Richard, avec une vingtaine de salariés qui ont laissé leurs coordonnées. Des groupes de travail sur des sujets de court, moyen et long terme ont été mis en place. »
Sortir des murs de l’entreprise
Pour mettre en œuvre la transition écologique au travail, le Radar peut ainsi être une porte d’entrée, accessible aux syndicats comme aux salariés. Il n’est pas le seul, comme l’illustrent des projets de solutions alternatives portés ou soutenus par la Cgt. La première démarche, décrite par Denis Bréant, membre de la direction fédérale de la Métallurgie, responsable du secteur automobile, est à rebours des stratégies des constructeurs visant à mettre sur le marché des véhicules électriques de type Suv, lourds, chers, gourmands en batteries puissantes et polluantes. « Ce n’est pas une solution, d’un point de vue industriel et sociétal, pour l’avenir de la filière, explique-t-il. Si nous voulons répondre aux besoins des usagers tout en respectant l’environnement, nous devons produire, sur le territoire national, de petits véhicules électriques légers et abordables. Mais pour cela il faut une volonté de la puissance publique et des donneurs d’ordre. »
À Blanquefort (Gironde), où l’usine Mutares (ex-Magna) est en difficulté, la solution alternative a été imaginée par un ancien ingénieur de Renault. Elle porte le nom de Gazelle, un « projet auquel on veut croire, assure Denis Bréant. Il fait la démonstration qu’on peut garder de l’emploi en France et qu’il est possible d’être novateur, dès lors que les salariés prennent les choses en main ». Gazelle est aujourd’hui en recherche de financements.
Réduire la consommation d’eau des semi-conducteurs
Direction ensuite la périphérie de Grenoble, où l’usine STMicroelectronics de Crolles est appelée à se développer, après l’annonce d’un projet d’extension de l’ordre de 7 milliards d’euros. Un excellente nouvelle pour les salariés et leurs représentants, notamment en termes de souveraineté industrielle. Mais qui porte aussi un risque lié aux enjeux hydriques, l’usine de semi-conducteurs utilisant chaque année, en eau potable, la consommation d’une ville de 200 000 habitants.
Ingénieur et délégué Cgt, Aimeric Mougeot témoigne de la réflexion qui a mené son syndicat à réfléchir ainsi à la question de l’eau, en s’ouvrant au territoire – avec l’Ud et l’Ul – et en nouant un dialogue avec certaines Ong ou syndicats comme la Confédération paysanne. « Nous avons, pour travailler sur ce sujet, notre connaissance du travail, explique-t-il. Mais dès lors que nous parlons de “ressources”, nous ne pouvons pas rester isolés dans l’entreprise. Nous nous sommes aussi intéressés à ce qui se faisait au niveau mondial, par exemple en matière de réutilisation de l’eau ou de recours aux eaux usées. »
Efficacité hydrique, efficacité énergétique
Dans tous les cas, ces projets sont illustratifs de deux des grands leviers de la transformation écologique. « L’un traite d’efficacité hydrique, l’autre d’efficacité énergétique, en réduisant la consommation des ressources, pour parvenir à un monde décarboné et qui préserve la biodiversité », souligne Antoine Trouche.
Cela pose de nombreuses questions, montrent les débats, dont celles des besoins en sous-traitance et des compétences nouvelles avec la nécessité d’avoir des professions techniciennes et des ingénieurs qui savent réutiliser ou dépolluer l’eau : « D’où la nécessité, ajoute le représentant de Pour un réveil écologique, de développer des discussions collectives dans tous ces secteurs et de créer les alliances dont nous avons besoin pour la transformation écologique. » Dans les entreprises ou les administrations, le Radar peut justement être une aide à l’élaboration de projets alternatifs, conclut Fabienne Tatot, qui annonce une nouvelle phase de son développement : la généralisation de son déploiement, notamment vers les Pme.
Projet soutenu par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et financé par le Fonds d’amélioration des conditions de travail.
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