Revue de presse -
Restos du cœur : lutte contre les inégalités, une affaire de dons ?
Même bienvenu pour l’association en grande difficulté, le don de la famille Arnault divise : si beaucoup en font la critique, tant dans sa mise en scène que dans la dérive qu’il promeut, d’autres s’émeuvent d’une « détestation des riches ».
En ce mardi 5 septembre, après le don de Bernard Arnault aux Restos du cœur en grave difficulté financière, le visage du patron du groupe Lvmh, parfois accompagné d’une photo de Coluche en contre-champ, est dans toute la presse. Si de nombreux titres s’en tiennent à relater l’information de manière factuelle, ils le sont tout autant à critiquer, d’emblée, une « charité bien calculée » pour reprendre les mots de Jean-Baptiste Chabran et Damien Dole dans Libération. Alors qu’Aurore Bergé, ministre des Solidarités, remercie Bernard Arnault et sa famille pour leur « soutien exceptionnel » – 10 millions d’euros – les deux journalistes relativisent : « la fortune de Bernard Arnault est estimée à 231,9 milliards de dollars (214,8 milliards d’euros). Pour un citoyen qui accumulerait 2 150 euros sur son compte courant, cela équivaudrait à un don de… 10 centimes ».
À bas… ou vivent les riches ?
La comparaison est cruelle. Mais dans une tribune publiée dans Le Figaro, Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, fustige des attaques caricaturales, en précisant que ce don n’est accompagné d’aucune contrepartie fiscale. Il écrit : « Dans beaucoup de pays, l’histoire s’arrêterait aux légitimes félicitations adressées au chef d’entreprise. Pas en France, où les prévisibles critiques (et insultes) n’ont pas tardé à pleuvoir comme à Gravelotte. » Des critiques qui sont dignes d’un sketch, déplore Christine Clerc dans Le Point, dans un éditorial titré « Restos du cœur : vive l’argent ! À bas les riches ! » L’argument de la « détestation des riches » est également repris dans un éditorial de L’Express. Laetitia Strauch-Bonard s’explique : « une partie de la gauche s’est émue d’un geste qu’elle considère comme insuffisant, intéressé et paternaliste. Cette réaction traduit certes un point de vue entendable sur la nature de la solidarité publique, mais aussi un puissant ressentiment à l’égard de la richesse ».
Comme s’il s’agissait, en effet, de balayer d’un revers de main le débat de fond que soulève cet acte de « philanthropie ». Dans Médiapart, Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’université Paris-VIII, y voit « un des plus puissants marqueurs de la croissance des inégalités ». Interrogé par Mathieu Magnaudeix, il alerte sur « le risque d’une privatisation des choix collectifs », alimentée par des dispositifs de défiscalisation encourageant les initiatives privées. Sur fond de désengagement de l’État : « Cet épisode souligne la nécessité d’une politique de redistribution, notamment sur la question de la taxation du patrimoine pour les plus aisés, et pour les plus pauvres la revalorisation d’un filet de sécurité qui est notoirement insuffisant pour survivre. »
À la ville comme à la campagne, une aggravation des inégalités
Car même bienvenue, l’aide de la famille Arnault ne suffira pas à sauver les acteurs de l’aide alimentaire, frappés par l’inflation et la nécessité d’accueillir des publics toujours plus nombreux. Médiapart relaie ainsi les inquiétudes du porte-parole des Restos, Yves Mérillon, annonçant que 150 000 bénéficiaires se verront refuser l’aide cet hiver. Dans la presse quotidienne régionale, de nombreux reportages se font depuis plusieurs mois l’écho des difficultés rencontrées : à Fleury-les-Aubrais dans La République du Centre, à Quimper dans Ouest-France ou dans les communes des Hautes-Pyrénées dans La Dépêche du Midi alors que s’aggravent les inégalités, sur tout le territoire, à la ville comme à la campagne.
Le phénomène est d’ailleurs mondial. Alors que s’ouvre le sommet du G20 en Inde, il est documenté dans une déclaration commune, publiée simultanément par Le Monde et le Guardian. Extrait : « L’extrême pauvreté et l’extrême richesse ont augmenté fortement et simultanément pour la première fois en vingt-cinq ans. Entre 2019 et 2020, les inégalités mondiales ont augmenté plus rapidement qu’à n’importe quel autre moment depuis la Seconde Guerre mondiale. » Coauteurs de cette déclaration, les économistes Joseph Stiglitz et Jayati Ghosh appellent à redoubler les efforts, en prévenant que de tellesinégalités « compromettent tous nos objectifs sociaux et environnementaux ».
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