L’été arrive à point nommé pour de nombreux salariés au bord de l’épuisement. Entre ceux qui s’arrêtent à temps et ceux qui continuent de travailler au risque du burn-out, le gouvernement refuse de se confronter à la réalité. Et préfère désigner des coupables : non pas l’intensification du travail mais les médecins qui prescriraient trop d’arrêts maladie. Tollé.
Fatigo, fatigare… Et si, pour parler de « fatigue », on commençait par revenir aux origines ? C’est la proposition du Monde, qui publie un entretien croisé entre l’historien Georges Vigarello et l’anthropologue David Le Breton. Il montre comment, siècle après siècle, le mot « fatigue » est devenu d’un usage courant, jusqu’à investir massivement le monde du travail. George Vigarello resitue ainsi ce mouvement : « Le phénomène majeur est, au XIXe siècle, celui du travail industriel, le paupérisme qu’il entraîne, ses vulnérabilités, autant que la nécessité de rationaliser les rendements. La fatigue ouvrière devient objet d’étude, comme possible objet de dénonciation. D’où la loi limitant le travail des enfants de 1841. »
« On se sent comme les experts du Giec… »
Deux siècles plus tard, l’objet de dénonciation est devenu une alerte générale. L’agence de presse économique Aef Info titre ainsi : « On se sent comme les experts du Giec qui annoncent une catastrophe sans être entendus. » La dépêche publiée sur son site reprend les propos de Christophe Nguyen, président d’Empreinte humaine, dont le dernier baromètre montre que 44 % des salariés sont exposés à la détresse psychologique. À tel point qu’un salarié sur deux a été en arrêt maladie en 2022, s’alarment de nombreux médias, dont La Tribune, en mettant en évidence l’envolée des affections psychologiques, qui touchent beaucoup les jeunes, les femmes et les managers.
Personne ne conteste les chiffres, confirmés par toutes les études, dont celle du centre technique des institutions de prévoyance, pas même le président du Medef. Geoffroy Roux de Bézieux, en effet, s’en inquiète dans un entretien à Bfm-Tv, mais c’est aussitôt pour mettre en doute leur réalité objective, en stigmatisant les « arrêts de complaisance » : « Il faut dire les choses : ce sont des arrêts de travail qui explosent, notamment le lundi et le vendredi. » Vrai ou Faux ? Sur son site, France Tv Info publie un travail de vérification, et affirme : « Aucun des baromètres consultés ne précise si les arrêts de travail sont pris le lundi ou le vendredi, comme l’avance Geoffroy Roux de Bézieux. Il est donc réducteur de la part de représentant des entreprises françaises de suggérer que la hausse est liée à “des arrêts de complaisance” ».
« On sera amenés à en reparler »
Cela n’embarrasse pas Gabriel Attal qui, auditionné par le Sénat sur le projet de loi concernant les comptes de la Sécurité sociale, reprend l’argument, en y ajoutant le rôle joué par l’essor des fraudes comme les arrêts falsifiés proposés sur Telegram ou Snapchat. Le ministre des Comptes publics prévient : « On sera amenés à en reparler. » Aux médecins en particulier, dont la traque a déjà commencé après l’envoi, par l’assurance maladie, de premiers courriels d’avertissement à ceux qui prescrivent plus que la moyenne.
Dans la presse quotidienne régionale, le tollé est général. Ainsi dans La Dépêche du Midi où un médecin s’insurge contre cette « culpabilisation ». Il explique : « Épingler les médecins de la sorte est un mépris de la part des autorités qui n’ont toujours pas compris que le rapport au travail d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y quinze ans. Ajoutez à cela le Covid-19, ses formes longues qui touchent un dixième des patients touchés, et vous avez un cocktail détonnant pour expliquer cette explosion des prescriptions. » Dans Libération également, la présidente du syndicat MG France n’hésite pas à parler de « maltraitance » et interroge : « Est-ce la faute des médecins si les entreprises mettent leurs employés en burn-out ? »
Que sait-on du travail ?
Mais plutôt que de s’attaquer aux causes de l’incendie, mieux vaut tenter d’étouffer ses flammes. C’est du moins la posture adoptée par le gouvernement qui se refuse à parler du travail pour expliquer ce qu’il considère comme une épidémie de « flemmingite ». Flemmingite, vraiment ? Pour tenter d’en observer la réalité, retournons sur le site du Monde qui publie, édition après édition, les contributions d’un projet de médiation scientifique du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) sur le thème : « Que sait-on du travail ? ». Et Lisons ainsi le travail des sociologues Maëlezig Bigi et Dominique Méda, pour qui derrière ce néologisme se cache une « pandémie de conditions de travail dégradées » : « La France, écrivent-ils en substance, est un des pays où le fossé entre les attentes placées sur le travail et la réalité de ses conditions d’exercice est le plus grand. Déjà, au début des années 2000, le travail était considéré, bien plus en France qu’ailleurs, comme épuisant, mal payé, et ne débouchant que sur de faibles chances de promotions ». Gouvernements et Medef s’en sont-ils souciés ?
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