Chronique juridique -
Pantouflage : le Conseil constitutionnel censure très partiellement le régime de sanction
Pantouflage : pour les hauts fonctionnaires c’est le reflet de la bonne entente entre les hautes sphères de l’État et les grandes entreprises (multinationales et /ou cotées au Cac 40, notamment).
Malgré des règles déontologiques relativement récentes et inscrites dans le statut de la fonction publique (1), l’osmose perdure. C’est ainsi par exemple que, sous certaines conditions prévues par le Code général de la fonction publique (Cgfp), on peut à la fois participer à l’élaboration de la réglementation antifraude fiscale, et travailler à « optimiser » les revenus du grand capital. Pour autant, les principes déontologiques s’appliquent à l’ensemble des agents publics, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent.
Sous quelles conditions un agent public peut-il rejoindre le secteur privé ?
Un agent qui, depuis moins de trois mois, a quitté – définitivement ou temporairement – son poste dans le secteur public, et envisage d’être salarié dans le secteur privé, doit au préalable recueillir l’accord de son administration.
S’agissant d’un fonctionnaire, cette obligation s’applique s’il cesse temporairement ses fonctions dans le cadre d’une disponibilité (notamment pour convenances personnelles ou pour suivre son conjoint).
En ce qui concerne un contractuel en Cdi, cette obligation s’applique s’il cesse temporairement ses fonctions dans le cadre d’un congé pour convenances personnelles.
Cette obligation s’applique aussi à l’agent qui quitte définitivement ses fonctions suite à son départ à la retraite, à une démission, à un licenciement, ou à une rupture conventionnelle…
Ces dispositions doivent être mises en œuvre que l’agent souhaite exercer une activité en libéral ou pour une entreprise, salarié ou non.
L’administration doit examiner la compatibilité de la future activité de l’agent dans le secteur privé avec ses précédentes fonctions dans le secteur public.
Que doit vérifier l’administration vis-à-vis d’un agent qui souhaite travailler dans le secteur privé ?
L’activité envisagée ne doit pas porter atteinte à la dignité des fonctions exercées précédemment dans la fonction publique.
Elle ne doit pas compromettre ou mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service public.
En outre, elle ne doit pas porter atteinte aux principes déontologiques de la fonction publique : impartialité, intégrité, probité, laïcité, etc.
Enfin, elle ne doit pas conduire l’agent à une prise illégale d’intérêts (2), délit réprimé par le Code pénal.
Dans quels cas la Hatvp doit-elle être saisie ?
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (Hatvp) doit être saisie directement seulement dans des cas identifiés (voir ci-dessous). Il revient alors à l’administration de la saisir. Toutefois, les agents concernés peuvent la saisir eux-mêmes,uniquement dans le cas où leur administration ne l’aurait pas fait.
La Hatvp doit obligatoirement être saisie dans les cas suivants :
– À l’occasion de la création ou de la reprise d’une entreprise (cas de cumul d’activités) par un agent « occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » (emplois énumérés à l’article R 123-15 du Cgfp) ;
– en cas de reconversion professionnelle dans le secteur privé d’un agent « occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » (emplois énumérés à l’article R. 124-29) ;
– à propos de la nomination, à l’une des fonctions suivantes, d’une personne ayant exercé une activité privée lucrative au cours des trois années précédentes :
– directeur d’administration centrale ou d’un établissement public de l’État nommé en conseil des ministres ;
– directeur général des services d’une région, d’un département, d’une commune ou d’un Epci de plus de 40 000 habitants ;
– directeur d’un établissement public hospitalier doté d’un budget de plus de 200 millions d’euros.
Le Conseil constitutionnel censure le régime de sanction
Parune décision du 24 janvier 2025 (3), rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité (Qpc) le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions qui prévoyaient l’impossibilité, pendant trois ans, du recrutement d’un agent contractuel si l’avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité rendu par la Hatvp n’était pas respecté. En l’espèce, le Conseil devait statuer sur une sanction pour non-respect de l’avis de la Hatvp, portant sur une mobilité entre secteurs public et privé d’un agent contractuel de droit public.
La Qpc soulevée dans cette affaire portait sur le 3° de l’article L. 124-20 du Cgfp (et sur le renvoi opéré à ce 3° par le dernier alinéa de cet article) : « si l’avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité rendu en application des 2° ou 3° de l’article L. 124-14 (du Cgfp) n’est pas respecté, l’administration ne peut procéder au recrutement de l’agent contractuel intéressé au cours des trois années suivant la date de notification de l’avis rendu par la Hatvp ».
En premier lieu, le Conseilrappelle qu’en application des articles L. 124-10 et L. 124-14 précités, la Hatvp émet des avis de compatibilité, de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité sur :
un projet de création ou de reprise d’une entreprise par un agent public ;
un projet d’activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions ;
en cas de réintégration d’un fonctionnaire ou de recrutement d’un agent contractuel.
Lors de l’audience, la question de l’application des dispositions en cause en l’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique – car la loi ne le précise pas – s’est posée en ces termes : quel est le point de départ de la période de trois ans ? Le Conseil, dans sa décision du 24 janvier 2025 y répond : l’interdiction débute à compter du début de l’activité en cause.
Le Conseil constitutionnel note par ailleurs que l’interdiction prévue par ces dispositions en cas de manquement de l’agent, qui s’applique donc soit à compter de la date de notification de l’avis en cas de non-respect de celui-ci, soit à compter du début de l’activité en cause en cas d’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique, constitue « une sanction ayant le caractère d’une punition ».Or, cette sanction s’applique automatiquement, sans que l’administration ne la prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Le Conseil constitutionnel en conclut que ces dispositions méconnaissent le principe d’individualisation des peines. Ces dispositions sont donc contraires à la Constitution.
Pour autant, le Conseil ne les abroge pas immédiatement, car il estime que cela entraînerait des conséquences manifestement excessives. Il est donc décidé de reporter au 31 janvier 2026 la date d’abrogation de ces dispositions, le temps que le législateur réécrive le texte censuré.
D’ici là, le Conseil précise que « l’administration peut écarter la sanction prévue par ces dispositions ou en moduler la durée pour tenir compte des circonstances propres à chaque espèce ».
Edoardo Marquès
Voir les articles L. 122-1 à L. 124-26 et R. 122-1 à R.124-39 du Cgfp.
Situation dans laquelle un agent public ou un élu reçoit un avantage personnel d’une entreprise avec laquelle il est, ou a été en relation dans l’exercice de ses fonctions.
Conseil constitutionnel, décision n° 2024-1120 QPC, 24 janvier 2025.
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