Télétravail : une pratique installée mais toujours empreinte d’inégalités

Quatre ans après la crise sanitaire du Covid-19, alors qu’une partie des accords de télétravail, arrivés à échéance, sont renégociés, la Dares publie deux enquêtes en forme de bilan sur l’évolution de cette pratique et ses effets sur les conditions de travail et de vie.

Édition 062 de mi-décembre 2024 [Sommaire]

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© Babouse

«  Entre 2019 et 2023, la part des personnes salariées pratiquant le télétravail au moins occasionnellement est passée de 9  % à 26  %.  » Tel est le contexte général des deux études (ici et ) produites par Mikael Beatriz et Louis-Alexandre Erb à partir des résultats de trois enquêtes nationales de la Dares (2019, 2021 et 2023). En fait, le télétravail a explosé avec les confinements, puisqu’il a concerné jusqu’à 31  % des salariés en 2021, contre 9  % en 2019, avant de reculer légèrement à 26  % en 2023. Les deux chercheurs ont confirmé cette tendance, tout en éclairant les différences selon le secteur privé ou public, ou encore selon l’âge et le sexe.

Une pratique de cadres

Selon les études, sur l’ensemble de la période 2019-2023, «  le recours des salariés au télétravail gagne 17 points, principalement du fait des cadres (contribution de +11 points) et des professions intermédiaires (contribution de + 4 points).  » Sur 87 familles professionnelles répertoriées, 15 concentrent à elles seules 73  % des télétravailleurs et télétravailleuses. C’était déjà le cas en 2019. 

On parle en premier lieu des ingénieurs et ingénieures de l’informatique (91  % de télétravailleurs), suivis des cadres des services administratifs, comptables et financiers (70  %), des cadres commerciaux et technico-commerciaux (79  %) ou encore des techniciens des services administratifs, comptables et financiers (69  %). Ils pèsent moins dans le «  volume  » total des télétravailleurs, mais les professionnels de la communication et de l’information (85  % de télétravailleurs), les cadres de la banque et des assurances (82  %) ou encore les personnels d’études et de recherche (80  %) sont également de «  grands  » pratiquants.

Qui s’étend aux femmes

Les auteurs notent par ailleurs une évolution de la proportion des jeunes, des plus diplômés (bac+5 et plus), et surtout des femmes dans le nombre total des télétravailleurs en 2023. En 2019 mais aussi en 2021, en pleine épidémie, les moins de 30 ans représentaient 15  % des télétravailleurs. En 2023, ils pèsent 18  %. La part des «  haut diplômés  » est passée de 41  % en 2019 à 46  % en 2021. Puis cette part s’est stabilisée à 45  % en 2023. 

Quant aux femmes, minoritaires en 2019 (43  % des télétravailleurs), elles sont majoritaires depuis 2021 (51  %). Cette proportion baisse fortement lorsqu’on se concentre sur les télétravailleurs intensifs (trois jours ou plus par semaine)  : les hommes retrouvent la majorité (53  %), comme en 2019 du reste.

Avec un vécu professionnel différent

Entre 2021 et 2023, notent les auteurs de la Dares, les télétravailleurs sont moins nombreux que leurs collègues en entreprise à déplorer des moyens de travail insuffisants ou inadaptés  : 14  % contre 26  %. C’était déjà vrai en 2021, mais l’écart était plus faible (22  % contre 29  %). Et des disparités subsistent entre les femmes – moins bien loties selon l’enquête – et les hommes. Autre élément à nuancer selon le sexe  : la meilleure articulation entre vie professionnelle et vie privée, à laquelle le télétravail est globalement associé par ses pratiquants.

«  Malgré l’intersection des sphères professionnelle et domestique, le télétravail semble un facteur modérateur du risque de conflits intrafamiliaux.  » Les télétravailleurs vivant en couple essuient un peu moins de plaintes de leurs proches concernant leurs horaires de travail (19  %) que les salariés dont le poste serait télétravaillable mais qui ne le pratiquent pas (24  %). Mais ce n’est qu’une moyenne, car les femmes déclarent entendre globalement à peu près autant de plaintes où qu’elles travaillent.

Pas d’effets sur la répartition des tâches

Peu de changements non plus côté domestique. En 2023, peu importe le lieu de travail, les femmes en couple sont 60  % à réaliser plus de sept heures de travail domestique par semaine. Les hommes seulement 47  % lorsqu’ils télétravaillent et 44  % lorsqu’ils ne télétravaillent pas… Cette proportion s’accroît tout de même avec l’arrivée d’un enfant en bas-âge (+12 points chez les hommes télétravailleurs, +2 seulement chez les autres). 

Enfin, tandis que les femmes télétravailleuses sont quasi autant préoccupées par la gestion quotidienne du foyer que leurs collègues au bureau (33  % contre 35  %), la charge mentale des hommes, elle, diminue de 10 points avec le télétravail (à 23  % contre 33  %). Il faut dire que les hommes consacrent leur temps libéré davantage aux loisirs et aux enfants, tandis que les femmes le réservent plutôt au travail domestique, indique encore l’étude.

Une organisation tout de même plébiscitée

Cela étant, le télétravail est perçu comme un moyen d’améliorer ses conditions de travail, en réduisant les contraintes physiques, horaires ou psychosociales. Ainsi, les télétravailleurs déclarent disposer de plus d’autonomie que sur site, pas tant en matière de procédure de travail – contrôle et surveillance sont de mise comme au bureau – que de liberté d’organiser leur temps de travail. Ils sont moins interrompus dans leurs tâches, se plaignent moins de travailler sous pression. Ils ont la possibilité de répartir leurs tâches, selon leur nature, entre domicile et bureau. Au final, ils déclarent une moindre intensité de travail. 

Pour autant, ils n’estiment pas qu’il est plus aisé d’atteindre leurs objectifs en télétravail qu’au bureau, ce qui peut s’expliquer, décryptent les Mikael Beatriz et Louis-Alexandre Erb, par un moindre soutien du supérieur hiérarchique et des collègues, des discussions collectives jugées beaucoup moins faciles à distance et l’absence de discussions informelles. 

Le télétravail plébiscité deux jours ou moins

Au final, le télétravail reste une organisation désirée. «  Parmi les télétravailleurs, en 2023, 92  % souhaitaient continuer à télétravailler (contre 89  % en 2021), une majorité préférant effectuer deux jours ou moins par semaine, expliquent les chercheurs. Seulement 8  % souhaitent télétravailler cinq jours par semaine, tandis que la proportion de ceux qui souhaitent télétravailler un jour ou moins par semaine a augmenté de 21  % à 26  % entre 2021 et 2023.  »

Seuls 12  % des télétravailleurs souhaiteraient arrêter ou télétravailler moins, contre 52  % en 2021. À l’inverse, ils sont 44  % (contre 14  %) à vouloir télétravailler plus. Mais au final, il y a de plus en plus adéquation entre le souhait et la réalité. Ils sont 44  % à être satisfaits, contre 34  % en 2021. Quant aux non-télétravailleurs dont le poste serait télétravaillable (19  %), ils sont plus des deux tiers à l’attendre, le plus souvent pour un besoin occasionnel, de quelques jours par mois à un jour par semaine. Parmi eux, les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes.