Le gouvernement issu des élections législatives prendra-t-il la mesure des messages envoyés par les électeurs ? La Cgt, fortement mobilisée pour dénoncer l’imposture RN, le reste pour imposer de véritables avancées sociales. Action, dès le 18 juillet.
Il était moins une. Passé le soulagement, un premier bilan oblige à rester lucide. Plus de dix millions de Français et Françaises ont voté pour un parti d’extrême droite le 30 juin. Depuis le 7 juillet, le Rassemblement national et ses alliés forment le premier parti à l’Assemblée nationale, avec 143 députés. Les motivations de ce vote s’avèrent multiples, certaines d’entre elles intolérables, mais on sait qu’il s’ancre dans le sentiment d’être méprisé par les élites et abandonné à son sort, à la précarité, au déclassement : une colère sociale sur laquelle la Cgt ne cesse d’alerter depuis des années, et qu’il serait très grave de minimiser. D’autant que dans la perspective des élections présidentielles de 2027, et même sans majorité dans l’hémicycle, le RN va continuer d’attiser le ressentiment et la xénophobie.
La Cgt, fière de sa réactivité et de celle de la société civile
Dans ce contexte, l’alliance des gauches autour du rejet de l’extrême droite, mais aussi d’un programme de progrès social, qui a permis l’élection sous la bannière « Nouveau front populaire » du plus grand nombre de députés (182), devant le parti présidentiel (168) et le Rassemblement national, est une surprise encourageante. C’est le résultat d’une mobilisation inédite de la société civile : de nombreux citoyens et citoyennes, souvent jeunes, mais pas seulement, se sont spontanément organisés via les réseaux sociaux ou rapprochés d’associations et de syndicats, offrant leur temps et leur énergie pour tracter, coller des affiches, faire du porte-à-porte, discuter dans les quartiers ou sur les marchés. Il s’agissait de convaincre le plus de gens d’aller voter pour faire barrage à l’extrême droite, mais aussi de défendre une autre alternative à de nouveaux reculs sociaux ou sociétaux. Ainsi, les taux de participation, aux deux tours (66,63 % le 7 juillet !) ont battu des records, signe aussi que de nombreux Françaises et Français souhaitent que la vie démocratique ne se limite pas aux scrutins, qu’elle leur permette d’accéder à d’autres moyens d’expression et d’action pour reprendre du pouvoir sur leur quotidien et leur avenir.
En témoigne également l’effervescence du monde du travail, du mouvement syndical, et de la Cgt en particulier, qui n’ont pas ménagé leurs efforts. « Claire dans ses valeurs, fière de son engagement » comme l’a souligné sa dirigeante Sophie Binet, la Cgt estime avoir pris ses responsabilités et contribué à rassembler les forces progressistes. Les débats sur la légitimité ou pas de s’investir dans ce combat ont fait long feu : dans sa longue histoire, la Cgt, indépendante mais pas indifférente, ne s’est jamais privée de s’engager, que ce soit sur le terrain des idées ou sur celui de l’action. Toutes les composantes de l’organisation se sont mobilisées, de la Confédération aux Unions locales, des Fédérations à l’Ugict, multipliant les outils pour aider à nourrir le débat, sur tous les médias comme au travail.
De nombreux acteurs du monde professionnel se sont également exprimés avec force, au travers de tribunes, appels, pétitions, manifestations, s’alarmant des scénarios catastrophes qui découleraient d’une victoire de l’extrême droite, notamment dans les trois Fonctions publiques, les services de l’État, la Justice, l’Éducation nationale. En particulier parmi les « salariés qualifiés en responsabilité », où partout, la nécessité de ne pas appliquer des mesures contraires aux valeurs républicaines ou à l’éthique professionnelle s’est posée avec acuité. Les chercheurs et universitaires ont par exemple rappelé que les échanges internationaux sont une condition sine qua non de la dynamique et de l’efficacité de leur secteur : les étrangers représentent 7,5 % des enseignants-chercheurs à l’université, 23,1 % dans les organismes publics de recherche, 40 % des doctorants, et 60 % des publications sont cosignées avec un auteur qui n’est pas de nationalité française. Parmi les métiers qualifiés en tension, le secteur de la santé s’en trouverait lui aussi particulièrement affecté, toutes catégories confondues et jusqu’aux médecins.
L’Ugict-Cgt, qui aspire à représenter les ingénieurs, cadres, techniciens dans toute leur diversité territoriale, catégorielle ou professionnelle, a pour sa part multiplié les outils disponibles en ligne pour argumenter et agir, ne négligeant rien non plus des références statistiques ou juridiques sur lesquelles s’appuyer. Les études montrent que l’extrême droite trouve moins d’écho chez les salariés les plus qualifiés, le vote NFP étant majoritaire à partir de Bac + 3, selon Ipsos. Il concerne cependant 32 % des professions intermédiaires, particulièrement impactées par le déclassement et le manque de reconnaissance.
Entre les deux tours, l’Ugict-Cgt et la Cfdt-cadres ont publié une tribune commune, rappelant que les cadres étaient solidaires des autres catégories, d’autant qu’ils sont eux aussi impactés par le déclassement, la perte de pouvoir d’achat, la déqualification ou la non-reconnaissance des qualifications, en particulier les jeunes diplômés ; qu’ils se trouvent de plus en plus privés d’autonomie et de droit d’expression dans les entreprises, et que la démocratie, pour se réparer, doit également se traduire par une évolution du dialogue social à tous les niveaux.
Particulièrement remarquée aussi, la réplique cinglante dans Le Nouvel Observateur de plus de 1000 diplômés des Grandes écoles (Hec, Escp, Essec…) à la tribune du président du Medef Patrick Martin dans le Figaro, mettant dos à dos le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national. Pour ses rédacteurs, le ni-ni du Medef opère « un amalgame périlleux pour la démocratie » parce qu’il martèle une doxa sans aucun argument, qui « monopolise l’espace public » en prétendant incarner le bon sens et la majorité, « diabolisant systématiquement les propositions économiques qui ne sont pas les siennes », et par conséquent empêche tout débat.
Revaloriser le travail, mieux partager les richesses
Dans le même esprit, une tribune de 300 économistes valide la faisabilité du programme du NFP et appelle les cercles économiques et médiatiques à « reconnaître la diversité des théories et des pensées économiques, à les écouter, à les diffuser, plutôt que de les caricaturer et les stigmatiser ». Un défi qui ne sera pas simple à relever dans un espace médiatique de plus en plus privatisé et au service de personnages pour lesquels l’ouverture au débat, la démocratie et l’intérêt général ne relèvent pas de l’urgence.
« Les exigences sociales doivent être entendues ». La Cgt ne lâchera pas sur certaines priorités, à commencer par l’abrogation de la réforme des retraites et la juste rémunération du travail et des qualifications : pour pouvoir vivre décemment, mais aussi pour un meilleur partage des richesses générées par le travail et plus de justice sociale. La revalorisation de tous les salaires s’impose, d’autant que 20 % des personnes au Smic sont à temps partiel (souvent des femmes, parfois seules avec des enfants) ; ainsi que le dégel du salaire des fonctionnaires, indispensable compte tenu de la désaffection pour les métiers de la Fonction publique. L’égalité d’accès à l’éducation, à la santé, au services de première nécessité, impose également un retour en force des services publics et des investissements publics pour relancer certains secteurs, réindustrialiser, mieux préparer la transition écologique. Dans cet objectif, l’impôt devra mettre à contribution les plus riches, et les aides publiques être mieux fléchées, et non plus accordées largement et sans condition aux entreprises.
Structurer la force citoyenne qui s’est mobilisée : l’Ugict au taquet !
Revivifier la démocratie, cela devra passer par la fin du mépris pour les corps intermédiaires que sont les syndicats : mettre fin à la répression systématique envers l’action syndicale, aux attaques contre le droit du travail mais aussi, redonner du pouvoir d’agir aux représentants des salariés dans les entreprises, et accepter le droit d’expression des salariés sur leur travail. Ce n’est pas un hasard si certains syndicats, en particulier la Cgt, ont enregistré des milliers d’adhésions dans la période, mais bien la preuve que les citoyens identifient clairement l’entreprise comme un terrain d’intervention où se réapproprier le débat et les choix sur leur avenir, et reconnaissent le syndicalisme comme l’outil pour œuvrer à l’intelligence collective et à des mobilisations solidaires.
Concrétiser cet élan et structurer la force citoyenne qui s’est manifestée ces dernières semaines, l’enjeu engage le syndicalisme et la Cgt. Cette dernière lance une grande campagne de syndicalisation. Elle sera déterminante en direction des ouvriers, employés, professions intermédiaires, qui doivent retrouver le sens et la culture de l’action collective pour obtenir de réelles avancées sociales. Elle ne le sera pas moins auprès des salariés plus qualifiés, eux aussi menacés par l’isolement, l’individualisation, la non reconnaissance de leur travail et le burn out. L’Ugict s’avère l’outil indispensable de la Cgt pour faire reculer les stratégies de division dans le salariat orchestrées par les directions et le patronat, et pour organiser les solidarités, les luttes spécifiques ou convergentes des Ict. Le syndicat appelle ainsi tous se militants à œuvrer à renforcer son organisation dans les mois à venir. L’agenda s’avère chargé et complexe. Il impose de réactiver, renforcer voire créer les structures existantes sur tout le territoire, en particulier les Commissions départementales Ugict, et de disposer d’Union fédérales ICT (Ufict) dans tous les secteurs professionnels, pour mieux accueillir et former les nouveaux syndiqués, mais aussi mieux répondre aux attentes des adhérents qui ne trouvent pas leur place pour s’investir dans leur organisation. Les dernières réunions des instances de l’Ugict ont également pointé la nécessité de mieux faire connaître les nombreuses revendications des catégories Ict, qui n’apparaissent pas toujours comme des priorités mais qui pourraient pourtant servir de leviers pour l’ensemble des salariés, pour la démocratie en entreprise ou la reconnaissance des années d’études et des qualifications.
Il n’y aura sans doute pas de « trêve olympique » ni de « pause estivale ». Pendant que la nouvelle Assemblée prépare tant bien que mal le budget 2025 et la loi de finances rectificative de la Sécurité sociale, la mobilisation sociale s’annonce forte et prendra de l’ampleur en septembre *. Le Comité confédéral national de la Cgt l’a assuré le 9 juillet : « Plus que jamais, rien ne nous sera donné. À nous de maintenir la pression syndicale dès maintenant et de nous engager collectivement, pour construire les mobilisations nécessaires dans l’unité syndicale la plus large, pour une rentrée populaire offensive, combattive, porteuse de nouveaux conquis sociaux. Rien ne se fera sans mobilisations. Après avoir agi dans les urnes, agissons dans la rue et dans les entreprises ! » Faute de quoi le scénario des élections présidentielles de 2027 pourrait déjà s’écrire.
Valérie Géraud
Une journée nationale d’action a d’ores et déjà été annoncée par la Cgt Cheminots le 18 juillet, premier jour de la nouvelle législature.
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