Chronique juridique -  Procédure disciplinaire : l’information de l’agent sur le droit de se taire

Selon la Cour administrative d’appel de Paris, si un agent public – fonctionnaire ou contractuel – fait l’objet de poursuites disciplinaires, il ne peut être entendu sans avoir été préalablement informé de son droit au silence.

Édition 052 de mi-juin 2024 [Sommaire]

Temps de lecture : 5 minutes

Dans une décision du 2 avril 2024 (1), la Cour administrative d’appel de Paris a apporté des précisions inédites sur le «  droit de se taire  ». 

En l’espèce, M. A. aide médico-psychologique affecté à l’unité d’accueil spécialisé au sein du groupe public de santé de Perray-Vaucluse depuis 2010, devenu le groupe hospitalier universitaire (Ghu) Paris psychiatrie et neurosciences, a fait l’objet d’une décision de révocation pour motif disciplinaire le 20 juin 2016. Cette décision a été annulée, pour erreur d’appréciation dans le choix de la sanction, par un jugement du tribunal administratif de Paris du 12 mars 2018 devenu définitif.

L’administration a pris une nouvelle décision à l’encontre de M. A. le 27 mars 2018, en prononçant une sanction d’exclusion temporaire des fonctions, pour une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis, à compter du 16 avril 2018. Par un jugement du 11 février 2020, confirmé en appel, le tribunal administratif de Paris a également annulé cette décision en retenant le même moyen.

Par une décision du 11 décembre 2020, le directeur du Ghu lui a alors infligé une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire des fonctions pour une durée de dix mois, assortie d’un sursis de quatre mois. M. A. a de nouveau saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à l’annulation de cette décision. Mais par un jugement du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. M. A. a fait appel.

Nul n’est tenu de s’accuser, il en découle le droit de se taire

Le 2 avril 2024, la Cour administrative d’appel s’est fondé sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : «  Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.  » Il en résulte, précise-t-elle, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. 

Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés, sans avoir été préalablement informé de son droit au silence.

Or, en l’espèce, M. A. soutient, sans être contredit par le Ghu Paris psychiatrie et neurosciences (lequel n’a d’ailleurs pas produit de mémoire en défense), qu’il n’a pas été informé du droit qu’il avait de se taire durant la procédure disciplinaire. Dès lors, l’agent en cause est fondé à soutenir que, du fait de la privation de cette garantie, la sanction disciplinaire litigieuse est intervenue au terme d’une procédure irrégulière. Elle doit donc être annulée.

Dans ces conditions, la Cour administrative d’appel de Paris décide d’annuler le jugement du tribunal administratif de Paris et la décision du 11 décembre 2020 du Ghu Paris psychiatrie et neurosciences.

Ladite Cour s’est appuyée sur une décision du Conseil constitutionnel, relative à une question prioritaire de constitutionnalité (Qpc), en date du 8 décembre 2023 (2).

À l’occasion d’une Qpc transmise par la Cour de cassation et relative à la conformité d’une ordonnance encadrant la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, le Conseil constitutionnel avait récemment élargi le champ d’application du droit au silence au-delà de la procédure pénale «  à toute sanction ayant le caractère d’une punition, y compris dans les procédures disciplinaires  ». Les juges constitutionnels ont retenu que «  le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne [peut] être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire  ».

La position attentiste du Conseil d’État

Quant à la position du Conseil d’État, elle est pour le moment ambigüe. Saisi de la question quelques mois avant la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2023, il a dans un premier temps refusé de renvoyer une Qpc relative à l’absence de notification aux magistrats de leur droit de se taire lors d’une procédure disciplinaire en considérant que « ce principe a seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale » (3). Le risque d’annulation sur ce fondement est donc désormais bien réel, pour les sanctions disciplinaires des fonctionnaires.

Puis consécutivement à la décision du Conseil constitutionnel précitée, le Conseil d’État, par un arrêt du 19 avril 2024 (4) mentionnant explicitement celle-ci, renvoie audit Conseil une nouvelle Qpc portant sur la conformité de la loi organique relative au statut de la magistrature au regard du principe énoncé par le juge constitutionnel  : «  si le Conseil constitutionnel, par ses décisions n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, a déclaré conformes à la Constitution, respectivement, les articles 52 et 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dans leur rédaction applicable au présent litige, le Conseil a, par sa décision ultérieure n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les dispositions de l’ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires, jugé que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, qui résulte de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition et implique que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.

Cette dernière décision constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité à la Constitution des dispositions des articles 52 et 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Elle conduit à considérer que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en tant qu’elles organisent l’audition du magistrat poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire sans prévoir qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux.  »

Le Conseil constitutionnel prendra sa décision au début de l’été 2024

L’audience publique prévue pour l’examen de cette Qpc devant le Conseil constitutionnel est fixée au 18 juin 2024. Sa décision serait alors rendue publique la première semaine de juillet 2024.

Si ce dernier confirme pleinement sa décision du 8 décembre 2023 à l’endroit des agents publics, alors le droit de se taire sera opposable dans le cadre de toute procédure disciplinaire. Ainsi, chaque employeur public devra notifier à l’agent poursuivi disciplinairement le droit de se taire, dès le courrier l’informant de l’ouverture de la procédure, faute de quoi, celle-ci serait annulée par le juge administratif.

  1. Cour administrative d’appel de Paris, 2 avril 2024, requête n° 22PA03578.
  2. Décision sur une question prioritaire de constitutionnalité n° 2023-1074 du 8 décembre 2023.
  3. Conseil d’État, 23 juin 2023, requête n° 473249.
  4. Conseil d’État, 19 avril 2024, requête n° 491226.