Chronique invitée -  Au travail, on meurt en silence

Ce mercredi 2 novembre, le ministère du Travail a publié une étude statistique recensant 783 600 accidents du travail en 2019, soit plus de 2500 accidents du travail par jour ouvrable. 780 salarié·e·s en sont morts.

Édition 019 de mi-novembre 2022 [Sommaire]

Temps de lecture : 3 minutes

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Par Sophie Binet
Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

Ce mercredi 2 novembre, le ministère du Travail a publié une étude statistique recensant 783 600 accidents du travail en 2019, soit plus de 2500 accidents du travail par jour ouvrable. 780 salarié·e·s en sont morts. Chaque jour, ce sont donc plus de deux personnes qui meurent au travail. Ces chiffres astronomiques sont pourtant minorés, car ils ne prennent en compte ni la fonction publique d’État ni les régimes spéciaux (marins, cheminots, énergie…). Et encore moins les accidents non déclarés du fait des pressions patronales, évalués par certains chercheurs à 750 000 par an…

Premiers concernés, les ouvriers et les intérimaires, le BTP, les travaux agricoles, avec une augmentation très forte des accidents du travail dans le secteur médicosocial. Les causes sont connues  : la pression temporelle, le travail en urgence et l’exigence de productivité. Mais aussi la précarité et la sous-traitance, qui empêchent la formation, et excluent les précaires des mesures de prévention arrachées par les syndicats des entreprises donneuses d’ordre. Plus largement, l’accroissement du pouvoir patronal contraint toujours plus les salarié·e·s à travailler dans n’importe quelles conditions.

La suppression des CHSCT et des délégués du personnel en 2017, la saignée des effectifs de l’inspection et de la médecine du travail – dont l’indépendance n’a jamais été aussi attaquée – prive des contre-pouvoirs collectifs indispensables pour pouvoir imposer des politiques de prévention. La France est le pays d’Europe qui compte le plus d’accidents et de morts au travail. Ce triste bonnet d’âne français exige aussi d’interroger le management. Quelles possibilités effectives ont cadres et agents de maîtrise de refuser des directives mettant en danger leurs équipes ? Aucune, malheureusement.

Pour s’en convaincre, une situation tristement représentative  : le licenciement par la SNCF de trois lanceurs d’alerte. Cadres spécialisés dans les RPS, ils avaient alerté sur l’explosion des risques organisationnels du travail suite à la réforme ferroviaire… Résultat, leur service en charge de la prévention est démantelé et ils sont licenciés pour… harcèlement envers leur propre direction ! Bel exemple de la nouvelle culture « corporate », dont le débat contradictoire est à ce point banni qu’il est désormais qualifié de harcèlement par les directions d’entreprises… 

Malgré cette hécatombe, le sujet est totalement absent du débat public. Pire, gouvernement et patronat font comme si les conditions de travail permettaient un report de l’âge de départ en retraite ! Si l’espérance de vie en bonne santé stagne en France, si les inégalités face à la mort sont si fortes, c’est à cause du danger et de la pénibilité du travail. Chaque année, près de 40 000 accidents du travail donnent lieu à reconnaissance d’une incapacité. Et les accidents sont d’autant plus graves que les salarié·e·s sont âgé·e·s.

Et ne comptez pas sur le compte individuel de prévention de la pénibilité, le C2P, pour réparer un quelconque préjudice. Mis en place en « contrepartie » du report de 60 à 62 ans de l’âge de départ, il permet à peine à 3500 salarié·e·s de bénéficier chaque année d’un départ anticipé… Un marché de dupe que le pouvoir tente de rééditer, mais qui se heurtera à une opposition très large… et désormais lucide… Enfin on l’espère ! 


Chronique initialement publiée dans l’Humanité Magazine du 10 novembre 2022