Glyphosate, chlordécone, métham sodium, ces pesticides dangereux pour la santé et l’environnement restent autorisés ou le sont restés pendant des décennies. Au nom de l’agro-industrie et d’un productivisme mortifères.
Le 25 février 2019, le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume a validé le « contrat de solution » rédigé en accord avec la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (Fnsea), réaffirmant l’objectif de réduire l’usage des produits phytosanitaires de 25 % d’ici à 2020 et de 50 % d’ici à 2050. La France serait le troisième plus gros consommateur de pesticides au monde : ces dernières années, de 67 000 à 72 000 tonnes d’insecticides, fongicides et herbicides ont été déversées dans nos champs chaque année, un bilan en augmentation malgré une succession de plans de réduction infructueux.
Ce nouvel engagement peut-il alors être considéré comme une réponse ambitieuse aux enjeux de santé publique et à la demande sociale d’une agriculture respectueuse de l’environnement et produisant des aliments plus sains ? De nombreux agriculteurs sont persuadés de ne pas pouvoir rester compétitifs sans ce recours massif aux pesticides. Ils ne s’estiment de surcroît pas encouragés financièrement à adopter des pratiques plus écologiques : le modèle subventionné par la Politique agricole commune européenne continue notamment de favoriser les grosses structures productivistes. La « solution » risque de se faire attendre…
Le glyphosate, cancérigène et mutagène probable, et alors ! ?
Concernant le glyphosate, composant du Roundup de Monsanto – le produit le moins cher, le plus radical et le plus utilisé –, le « contrat » envisage « la sortie pour une majorité d’usages pour lesquels il existe des alternatives accessibles et viables d’ici à 2020 ». Mais le président Macron a rappelé que, l’Union européenne ayant prolongé l’autorisation du glyphosate pour cinq ans, la France se donnait jusqu’à 2023… à condition de « ne pas laisser les agriculteurs dans l’impasse » et de ne pas les léser face à la concurrence…
Le glyphosate, soupçonné depuis longtemps d’être cancérigène, perturbateur endocrinien voire mutagène, a fini par être classé « cancérigène probable » en 2015 par l’Organisation mondiale de la santé. Une victoire de la science et de la société civile après des décennies de désinformation, de pressions sur les scientifiques indépendants et de lobbying intensif, orchestrés par Monsanto et les industries agrochimiques. Mais le groupe américain, récemment racheté par Bayer, forme désormais un géant de l’industrie phytosanitaire et des semences, encore plus déterminé à ne rien lâcher : si le Roundup est interdit, d’autres produits, à base de molécules similaires, sont déjà sur le marché ou prêts à y être introduits.
Monsanto condamné à verser 78,5 millions de dollars à un jardinier malade
Les temps changent, pourtant. Fin août, en Californie, Dewayne Johnson, un jardinier de 46 ans, atteint d’un cancer des ganglions lymphatiques, a gagné son procès contre Monsanto, qui devra lui verser 78,5 millions de dollars de dommages « compensatoires » et « punitifs ». C’est une première. Monsanto est accusé d’avoir menti sur la toxicité du Roundup et mal informé ses utilisateurs. La firme, qui fait appel, a usé de tous les stratagèmes juridiques, affirmant que la non-nocivité du glyphosate sur les humains faisait consensus, alors que les trois quarts des études indépendantes concluent à sa toxicité. Le jugement devrait ouvrir la voie à plus de 10 000 personnes qui ont déposé des plaintes contre les produits Monsanto.
En France non plus, les démarches juridiques ne sont pas faciles. La cour d’appel de Lyon doit se prononcer le 11 avril dans le procès qui oppose le céréalier Paul François à Monsanto. Il a été intoxiqué en avril 2004 par les vapeurs d’un puissant herbicide, le Lasso, interdit en France depuis novembre 2007… mais retiré du marché canadien depuis 1985 ! L’agriculteur a failli mourir et reste affecté par des troubles neurologiques, mais Monsanto, condamné en première instance continue d’invoquer sa négligence.
Le recours à la justice apparaît malgré tout moins aléatoire que le soutien des pouvoirs publics. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) vient seulement de lancer une enquête sur la dangerosité du glyphosate… Pour rappel, la France a mis un quart de siècle à interdire l’amiante (en 1997) alors que la fibre avait été déclarée cancérigène dès 1973, et interdite dans la plupart des pays. Un scandale sanitaire étouffé au nom de l’économie : chaque année encore, des centaines de personnes meurent de mésothéliome, sans que les coupables ne soient inquiétés. La santé publique ne semble pas être davantage prioritaire aujourd’hui pour l’affaire des bébés sans bras.
Autre scandale sanitaire minimisé récemment par le président de la République qui, s’adressant à des élus d’outre-mer, leur a demandé de « ne pas alimenter les peurs » (sic !) : celui du chlordécone. C’est un dérivé du Ddt utilisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe pendant vingt ans, qui a contaminé l’environnement pour au moins quatre cents ans, et la quasi-totalité de la population. Les deux îles présentent notamment les plus hauts taux de cancers de la prostate au monde. Le chlordécone a été interdit dès 1976 aux États-Unis, mais seulement en 1990 en France, et utilisé jusqu’en 1993 aux Antilles par dérogation…
Les victimes devront par ailleurs patienter au moins jusqu’à l’automne : une proposition de loi d’indemnisation votée par le Sénat n’a pu être adoptée par l’Assemblée fin février, faute de temps ! Résultat, la défiance gagne. Des associations organisent des analyses d’urine pour détecter la présence de pesticides, polluants et autres perturbateurs endocriniens dans nos corps – avec des résultats plutôt inquiétants. Des groupes de citoyens envisagent, preuves à l’appui, d’attaquer l’État pour « mise en danger de la vie d’autrui ».
Un puissant lobby agrochimique au Parlement européen
La protection de la santé publique est également un combat quotidien au niveau européen. Les conditions d’autorisation des pesticides ont enfin fait l’objet d’une enquête. La commission « Pest », formée en février 2018 par un groupe de 30 députés, parmi lesquels des pro-agrochimie, a vu son rapport adopté mi-janvier à 77 % par le Parlement européen. Il était si peu contraignant qu’il a fait depuis l’objet d’un nouvel avis. Il stipulait qu’une entreprise pourra continuer de choisir le pays dans lequel son produit sera évalué.
Or, grâce aux révélations des Monsanto Papers (voir notamment Le Monde, 16 janvier 2019) on connaît les pratiques de certains instituts publics : le rapport du Bfr allemand sur lequel s’est appuyée l’Union pour renouveler l’autorisation du glyphosate pour cinq ans est à 70 % un copié-collé des dossiers fournis par Monsanto-Bayer et par la « Glyphosate Task Force », le lobby des industriels concernés ! Les industriels avaient même obtenu la garantie que les études et rapports soumis à l’Ue resteraient confidentiels mais, le 7 mars, faisant suite à une plainte d’eurodéputés verts, le tribunal de l’Union européenne vient d’imposer la transparence, « l’intérêt du public à accéder à ces informations » étant jugé supérieur aux intérêts commerciaux.
Principe de précaution contre principe d’innovation
Même le principe de précaution, régulièrement réaffirmé se voit fragilisé car mis en balance avec un concept élaboré par un think-tank travaillant notamment pour l’agro-industrie : le « principe d’innovation » ! Cette notion n’a aucune valeur juridique mais figure en préambule du texte voté le 12 décembre dans le cadre du plan Horizon Europe 2021-2027, qui dispose de 100 milliards de subventions pour la recherche et l’innovation. Il s’agit d’inscrire dans les esprits le principe de non-entrave à la « prise de risque », dans les recherches sur les pesticides, les produits pharmaceutiques, les nouveaux aliments ou toute technologie potentiellement porteuse de mutagènes ou de perturbateurs endocriniens.
Chaque petite victoire peut être remise en cause, d’autant qu’il faut des années pour faire interdire un produit dangereux. Autre exemple accablant : les premières alertes sur la disparition des abeilles datent des années 1990, mais l’Autorité européenne de sécurité des aliments n’a rendu un avis qu’en 2012, concédant que les méthodes pour évaluer la toxicité des pesticides sur les abeilles étaient insuffisantes… Elle n’a rien fait depuis dans le sens de l’interdiction des néonicotinoïdes.
Impossible de ne pas savoir que les pesticides sont un support essentiel d’un système qui mène à la mort de la biodiversité, à l’épuisement des sols, à la surproduction alimentaire, à des problèmes de santé publique encore inimaginables. Pourtant, les solutions pour s’en passer se développent. Allant des techniques traditionnelles à la plus haute technologie (voir par exemple Pouruneautrepac.eu), elles prouvent leur viabilité et pourraient prendre de l’ampleur si elles étaient mieux soutenues par une volonté politique, des financements publics et privés plus consistants. Mais il y aurait sans doute moins de milliards de bénéfices à la clé pour les géants de l’agro-industrie.
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