Chez Renault, la « compétitivité » a un prix pour les cadres

En grande parte financé par une hausse du temps de travail des cadres et une baisse du télétravail, le « contrat social France » 2025-2027 du groupe n’a pas été signé par la Cgt.

Édition 064 de [Sommaire]

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Selon la CGT, ce sont 50 millions d’euros qui seront économisés sur le temps de travail des cadres. © IP3 Press / Maxppp

C’est un accord collectif, le quatrième du genre, qui a tout d’un accord de compétitivité, sauf le nom. Adopté le 19 décembre 2024 avec les signatures de la Cfdt et de la Cfe-Cgc, le nouveau «  contrat social France  » pour la période 2025-2027 renforce néanmoins la protection sociale de l’ensemble des salariés du groupe automobile. «  C’est un gros point positif en matière de santé, confirme Éric Corroyer, élu Cgt au Cse du technocentre de Guyancourt (Yvelines). Tout en améliorant la couverture santé, et dans un contexte de hausse générale des tarifs dans ce domaine.  » L’entreprise s’engage à prendre en charge le surcoût chiffré à 30 millions d’euros pour les trois prochaines années.

Formellement donc, les salariés du groupe ne cotiseront pas davantage. Mais la mesure n’en reste pas moins financée par eux, en particulier par les cadres. «  Ça n’est pas écrit dans l’accord, mais la direction a clairement affiché cette volonté au cours des négociations, rapporte Florent Grimaldi, secrétaire du syndicat Cgt du site de Lardy (Essonne). D’après nos calculs, les mesures portant sur le temps de travail des cadres permettront d’économiser 50 millions d’euros sur la période de l’accord  », en premier lieu grâce à la modification des modalités d’acquisition des congés d’ancienneté.

Forfait-jours  : un nouveau mode de calcul

Entre cinq et vingt-cinq ans d’ancienneté, les cadres sont susceptibles de perdre un à quatre jours de congés par an par rapport à la situation actuelle. Le deuxième levier actionné est le mode de calcul du forfait-jours. Jusque-là, les cadres comptaient sur un forfait de dix jours de réduction du temps de travail (Rtt) par an. Désormais, le volume de Rtt résultera d’une soustraction «  classique  » : 365 jours moins 218 jours de travail, les congés payés (hors congés d’ancienneté et congés spéciaux) et les week-ends. «  Selon nos simulations pour les cinq prochaines années, relate Éric corroyer, les salariés concernés perdront en moyenne 1,6 jour de congés par an.  » Pis, alors qu’en 2008, le forfait-jours est passé de 217 à 218 jours pour y intégrer la journée de solidarité, celle-ci n’est pas incluse dans la comptabilité des jours travaillés  : elle sera soustraite des jours de Rtt nouvellement calculés.

Enfin, le nouveau «  contrat social France  » cible les jours de congés de préparation à la retraite de tous les salariés, jusque-là au nombre de douze par an pendant trois ans. «  La possibilité d’obtenir leur paiement en salaire lorsqu’ils n’étaient pas utilisés avait déjà sauté  », rappelle Éric Corroyer. La direction entendait se débarrasser définitivement de ce droit. Finalement, la négociation a permis d’en sauver 6 sur 36. Une sérieuse économie sur les fins de carrière même si, en parallèle, l’entreprise s’engage à prendre en charge le paiement des cotisations à temps plein des salariés qui souhaiteraient profiter du dispositif de retraite progressive, accessible à partir de deux ans avant l’âge légal de départ.

«  Agilité  », «  compétitivité  » (et surtout) «  flexibilité  »

Un maître-mot de l’accord est la modulation de l’activité. Il faudra s’adapter et, à cet effet, peut-être travailler plus souvent les samedis et jours fériés. Pour les cadres au forfait, cela déclenchait un jour de repos compensatoire. L’entreprise propose désormais à qui le souhaite d’opter pour leur paiement, avec majoration de 10  % pour les trois premiers jours supplémentaires au-delà du forfait jour, puis 15  %. Pour leur paiement, le compte sera fait en fin d’année seulement. 

«  Travailler le samedi ne relèvera pas du volontariat, sans qu’aucun avenant au contrat ne soit envisagé, dénonce Florent Grimaldi. Le samedi est en train de devenir un jour comme les autres, ce qui met à mal notre repos, dénonce-t-elle. Idem pour les jours fériés qui, dans l’accord, ont le même statut que les samedis. «  Ils brandissent la concurrence chinoise pour nous pousser à travailler au-delà des forfaits-jours. Ils voudraient que nous développions de nouveaux modèles plus vite, en deux ans au lieu de trois actuellement, analyse Florent Grimaldi. Il faudrait qu’on soit en suractivité pendant deux ans  ? Dans ce cas, on ne parle plus d’annualisation du temps de travail mais de bisannualisation  !  Leurs arguments ne tiennent pas la route. Le seul objectif est de ne pas recruter.  »

Pousser vers la sortie certains télétravailleurs  ?

Enfin, l’accord s’en prend au télétravail des cadres. Jusqu’à présent, ces derniers avaient la possibilité d’opter pour des forfaits de deux ou de trois jours de télétravail par semaine, indemnisés respectivement 20 ou 30 euros par mois. À cela s’ajoutait un compteur de 35 jours par an, non indemnisés (le «  pocket  »). «  Nous avons réussi à sauver le “pocket”, relate Éric Corroyer. Mais pas le forfait de trois jours.  » Ce sont 10 euros d’indemnité par mois économisés par l’entreprise pour chaque salarié concerné. «  Le télétravail était en vigueur chez Renault avant le Covid, à hauteur d’un jour par semaine. Nous sommes passés en 100  % télétravail pendant cette période, et le retour dans l’entreprise s’est fait très tardivement, avec la possibilité de faire deux ou trois jours par semaine  », rappelle Éric Corroyer. L’entreprise en a profité pour instaurer le flex-office, tandis que de nombreux cadres ont pris le parti de s’éloigner de la région Île-de-France. «  Cette restriction n’est justifiée par aucun constat de dysfonctionnement, insiste Éric Corroyer. Alors on se dit que l’objectif, derrière, est de pousser vers la sortie ceux que ça va mettre en difficulté dans leur vie quotidienne.  »

Réduire les emplois est un objectif, complète Florent Grimaldi. «  Trente pages du “nouveau contrat social” sont constituées de modèles d’accords de rupture conventionnelle collective (Rcc). Il n’y a plus qu’à mettre une date, le périmètre, la date de fin et une signature.  » Ces dernières années, le groupe Renault a utilisé cet outil pour réduire ses effectifs  : 15 000 salariés depuis le premier «  contrat social  » en 2010. Le dernier en date a pris fin il y a un an et demi environ. «  Désormais, il s’agit de permettre à des secteurs, à des entreprises, voire à des services, d’utiliser la Rcc. Politiquement, de la même façon qu’il ne parle pas d’accord de compétitivité, le groupe évite d’afficher qu’il réduit encore ses effectifs à grande échelle alors qu’il annonce des milliards de bénéfices.  »