« Charlie hebdo » : dix ans après « le chagrin et la colère »

Le 7 janvier 2015, l’attentat contre le journal satirique faisait 12 morts, dont Charb, collaborateur régulier d’ »Options ». Une décennie après, la liberté d’expression reste un combat, singulièrement pour les dessinateurs précarisés et minés par la crise de la presse écrite.

Édition 063 de mi-janvier 2025 [Sommaire]

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Options - Le journal de l’Ugict-CGT
Pour les syndicats de journalistes réunis le 7 janvier 2025, « c’est tous ensemble qu’il faut défendre la liberté d’expression ». © OLA News/MAXPPP

« Chagrin et colère, comme la liberté, ne se divisent pas.  » En ce numéro d’Options de janvier 2015, c’est ainsi que Pierre Tartakowsky, alors rédacteur en chef du journal, ouvrait son « À propos » au lendemain de l’attentat islamiste contre la rédaction de Charlie hebdo. L’hommage, en effet, se voulait commun à toutes les victimes de cette semaine de terreur : agents de police morts dans l’exercice de leur fonction, otages de l’Hyper Cacher assassinés parce que juifs, collaborateurs et journalistes de la rédaction du journal satirique. L’un d’entre eux, Stéphane Charbonnier, dit Charb, carte de presse n° 77 545. Directeur de Charlie hebdo, il avait publié son premier dessin dans Options en novembre 1996.

C’est dire si, pour notre rédaction, le chagrin et la colère étaient immensément ressentis. Alors que l’attentat antisémite se déroulait à quelques centaines de mètres, nous avions entrepris un travail de sélection des dessins que Charb avait publiés dans nos colonnes, après avoir pris le relais de Siné  : un par mois, pendant presque vingt ans, pour illustrer dans un premier temps la revue de la presse du journal, en alternance avec Denis Pessin, encore aujourd’hui collaborateur régulier d’Options. Dans l’édition de janvier 2015, nous publions alors le dernier dessin envoyé par Charb. Presque vingt ans plus tôt, le premier, drôle et cruel comme ceux qui allaient suivre, commentait à sa manière l’annonce de la privatisation du groupe Thomson.

Nous n’oublions pas. Charb, bien sûr, dont le relais est aujourd’hui assuré dans notre journal par Babouse. Mais aussi tous ceux tombés lors de la conférence de rédaction, « symbole même de l’exercice de la liberté d’expression », pour reprendre les termes que Sophie Binet, secrétaire générale de la Cgt, a employés pour commémorer les dix ans de l’attentat contre Charlie hebdo à l’initiative des syndicats de journalistes. Ce n’est pas une affaire de génération. Quelle qu’elle soit, a-t-elle souligné, « Charlie est le journal qui a accompagné notre parcours militant. Il a nous a souvent fait rire, parfois énervé, fait réagir et réfléchir. Il était devenu une référence des valeurs que la Cgt s’attache à faire vivre : liberté de ton et de pensée, détermination dans la dénonciation des injustices, autodérision comme ressort de mobilisation ».

Le croquis de reportage  : un genre «  plus tellement prisé »…

Au total, douze hommes et femmes ont été tués ce 7 janvier 2015, dont huit parce qu’ils exerçaient leur métier de journaliste, pour beaucoup comme dessinateurs. En leur hommage, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a pris la formidable initiative de publier sur son site des extraits de leur demande de première carte de presse, conservés dans ses archives. Ainsi celle de Jean Cabut, dit Cabu, reçue dans les années 1960 : « J’ai l’intention de consacrer une part importante de mon activité pour un genre – qui n’est d’ailleurs plus tellement prisé des journaux –, le croquis de reportage », écrit-il alors, à la main, dans sa déclaration d’honneur.

Dix ans après, que reste-t-il de « Je suis Charlie » ? Selon un sondage de l’Ifop réalisé pour la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec Charlie hebdo, 76 % des personnes interrogées pensent que la liberté d’expression, dont la caricature fait partie, est un droit fondamental. Elles n’étaient qu’une courte majorité (58 %) à l’affirmer, en 2012. Mais comme tout droit, il reste un combat. La déclaration d’honneur de Cabu résonne étrangement en effet alors que sa profession, après avoir connu un temps de répit, voire de regain après la mobilisation du 11 janvier 2015, est aujourd’hui de plus en plus précarisée et minée par la crise de la presse écrite, comme par la haine qui s’exprime sur les réseaux sociaux. Partout dans le monde : depuis plusieurs années déjà, le New York Times n’a plus de cartooniste attitré.

Dans une déclaration commune, les syndicats de journalistes Snj, Snj-Cgt et Cfdt, réunis pour réaffirmer leur engagement en faveur de la liberté d’expression, alertent ainsi : « Les “Je suis Charlie” sont trop souvent désormais prolongés par un “mais” limitant une liberté d’expression pilier de la démocratie. » Ils ajoutent : « Le combat doit être mené tous les jours par nos stylos, crayons, micros, caméras et claviers, car rien n’est acquis. » En France, selon l’historien Christophe Delporte, qui estime dans Le Monde qu’« une certaine peur pèse sur les dessinateurs comme sur les responsables de journaux » , il ne resterait plus aujourd’hui que 34 dessinateurs détenteurs de la carte de presse, contre 230 dans les années 1950.

Christine Labbe