L’Éducation nationale, une « priorité » jamais prioritaire
Une rentrée scolaire sans ministre, sans consigne précise sur les réformes en cours, et sur fond de désaffection persistante pour le métier d’enseignant… Première grève au programme le 10 septembre.
Le 5 septembre, le nouveau Premier ministre, comme le démissionnaire, l’ont réaffirmé : l’Éducation nationale reste une priorité absolue. Trois jours plus tôt, la rentrée scolaire a bien eu lieu, sans ministre et sans cap précis, après que quatre responsables aient occupé ce poste dans les douze derniers mois, multipliant annonces, réformes, directives, adoptées ou pas, mais toujours contraignantes faute de moyens dédiés.
Le cargo navigue à vue, sans prise en compte des innombrables problèmes structurels de l’Éducation nationale, à commencer par le manque d’enseignants et de personnels d’encadrement : les établissements et équipes éducatives font face dans la douleur à cette inflation d’injonctions, une grande partie des mesures mises en place à cette rentrée se contentant d’être « cosmétiques et peu crédibles, mais réactionnaires », comme le dénonce la Cgt-Éduc’action. Ainsi de l’expérimentation élargie du port de l’uniforme ou de l’interdiction du smartphone dans les classes de collège – déjà effective en théorie, mais présentée comme nouvelle dans 200 établissements volontaires.
Enseignants exécutants, élèves cobayes
Quant à la généralisation des « groupes de niveau » en 6e et 5e, ils ont été rebaptisés « groupes de besoin » (c’est moins stigmatisant) et limités aux mathématiques et au français, sans qu’on sache si les moyens prévus – en heures supplémentaires et contractuels – seront déployés pour mieux accompagner les élèves les plus en difficulté. Chaque établissement improvise en fonction de sa taille et de ses effectifs d’enseignants. Reste que, pour ces élèves à peine sortis du primaire, cette expérimentation est perçue comme complexe, et susceptible, avec les changements de classes, de groupes, d’enseignants, de compliquer un peu plus les dynamiques d’apprentissage.
L’objectif de ces regroupements est également interrogé par les syndicats d’enseignants. On ne sait pas si leur but réel est d’aider les élèves en difficulté à rattraper les autres, ou de sélectionner et d’orienter une majorité d’entre eux le plus tôt possible en fonction de leurs compétences, qui cette année, sont censées être évaluées à tous les niveaux, du cours préparatoire à la 3e. Les dispositifs de cette nature sont souvent présentés comme une incitation aux familles les plus favorisées à maintenir leurs enfants dans l’enseignement public. Mais selon toutes les enquêtes, ils portent préjudice aux collégiens désavantagés du point de vue social ou culturel.
L’accès à l’Enseignement supérieur est devenu plus sélectif
Les évaluations, désormais obsession numéro 1 du ministère, font l’objet d’un appel au boycott et à la grève des syndicats Fsu, Cgt-Éduc’action et Sud-Éducation le 10 septembre. La réalité, c’est que l’appauvrissement de l’école publique et la ghettoïsation de certains établissements se poursuivent, comme en témoigne la longue mobilisation en Seine-Saint-Denis au premier semestre 2024. En cette rentrée, les enseignants continuent de réclamer un plan d’urgence pour leur département.
Les réformes menées sous la présidence Macron se sont traduites par une augmentation des inégalités et du tri social des élèves, tandis que les enseignements se recentraient sur un contenu souvent normalisé et simplifié. Que ce soit ou non l’objectif, l’accès à l’Enseignement supérieur est devenu plus sélectif, et illustre la volonté de l’État de ne pas investir davantage dans ce domaine. Cela fait le jeu des établissements supérieurs privés, très chers, dont la qualité pédagogique n’est pas forcément la priorité, du moment qu’elles font miroiter des possibilités de placement dans un emploi.
Parcoursup : de déconvenues en déconvenues
De même, la réforme du lycée incite davantage à échafauder des stratégies pour séduire sur la plateforme Parcoursup qu’à réellement réfléchir à son épanouissement futur dans un travail que l’on aura choisi. Cette année encore, bien des lycéens sont allés de déconvenues en déconvenues. Mi-juillet, ils étaient encore 85 000 sans aucune proposition (soit 10 % des demandeurs). Et à la fermeture de la campagne 2024, le 12 septembre, on ignore encore combien auront abandonné tout espoir de continuer leurs études, combien ont accepté une place qui ne correspondait pas à leur projet, ni combien s’étaient endettés pour s’inscrire en catastrophe dans n’importe quel établissement supérieur privé disposé à les accueillir.
Dans cet esprit, les élèves de terminale professionnelle se voient désormais « encouragés » à conclure leur terminale par six semaines de stage en entreprise s’ils souhaitent intégrer le monde du travail, plutôt que de postuler à une formation dans l’Enseignement supérieur où – toutes les statistiques le prouvent – ils sont prioritairement non sélectionnés.
Attractivité du métier au point mort
Des personnels de direction aux enseignants, les équipes éducatives s’estiment fragilisées par ces années de réorganisations incessantes, et dépossédées de leur capacité à faire leur travail correctement, sans que jamais leurs conditions de travail ni celles de leurs élèves ne s’améliorent.
Certaines réformes annoncées par Gabriel Attal lors de son passage éclair au ministère de l’Éducation n’ont certes pas pu être mises en place à cette rentrée, à commencer par celle sur la formation des enseignants. Vu la dégringolade du statut d’enseignant, finie l’ambition de « revaloriser » le métier en recrutant au niveau master, faute de pouvoir offrir un salaire attractif et au niveau de qualification exigé. Il est donc question de revenir à un recrutement à bac + 3, dans l’espoir d’élargir un vivier à sec, mais sans que ça garantisse des formations au niveau des besoins et des exigences. La formation pour les stagiaires ayant réussi les concours pourrait en effet se traduire par une présence accrue dans les classes, en situation d’enseignement, faute de candidats à placer face aux élèves. Une fois de plus, dans son bilan de la rentrée, le Snes a signalé que dans la moitié des établissements, il manquait au moins un enseignant.
3 000 postes non pourvus à la rentrée
Au concours 2024, malgré un recul démographique du nombre d’élèves et une baisse des postes offerts, 3 000 postes n’ont pu être pourvus, parmi lesquels 1 163 dans le primaire, en particulier dans les académies de Créteil (39 % des postes non pourvus) et de Versailles (48 %). Au Capes (secondaire), 634 postes n’ont pas trouvé preneur, parmi lesquels 209 en maths (soit 20 % du total), et 78 en lettres modernes (11 % du total). Dans l’enseignement technique aussi, un quart des postes (131) reste vacant. Et pour la première fois, même les agrégations les plus prisées, comme celle d’histoire, n’ont pas fait le plein.
Autre exemple, malgré des besoins urgentissimes : 50 places offertes au concours de psychologue scolaire dans le second degré n’ont pas pu être affectées. Au total, le Snes estime que « pour retrouver des conditions d’encadrement équivalentes à celles de 2017, il faudrait créer 10 617 emplois » dans l’Éducation nationale, malgré la baisse du nombre d’élèves. Le « choc d’attractivité » se fait mirage, et pendant ce temps, les heures supplémentaires explosent, les remplacements deviennent impossibles et un tiers des effectifs est d’ores et déjà composé de contractuels, souvent recrutés dans l’urgence, sans formation, soumis à une mobilité et à une précarité inhérente à leur statut de « bouche-trou », qui leur permet rarement de contribuer à la stabilité des équipes…
Un budget en recul relatif
Pour rappel, les conditions d’accès au métier sont d’autant plus dissuasives qu’un professeur du secondaire, lauréat du Capes, débutera sa carrière n’importe où en France, souvent dans les académies déficitaires, devant des classes difficiles, parfois en étant prévenu peu de temps avant, avec les problèmes financiers liés à un déménagement, à une installation loin de chez soi. Maltraités par l’institution, les personnels supportent d’autant moins les directives imposées par le ministère, souvent au mépris de leur liberté pédagogique et de leur investissement pour les élèves.
Dans ce contexte, le budget de l’Éducation nationale est attendu avec impatience, le gouvernement démissionnaire ayant promis un maintien des moyens, en fait + 0,5 % malgré une inflation estimée à + 2 %, ce qui revient déjà à une baisse effective. Les personnels n’oublient pas, par ailleurs, qu’en février 2024, le budget a été raboté de 700 millions. Les rectorat ont tenté d’arriver à l’équilibre en ponctionnant les crédits dédiés aux heures supplémentaires, pourtant indispensables pour assurer une présence face aux élèves et compenser la perte de pouvoir d’achat depuis 2010 – il faudrait, pour la rattraper, une augmentation de 15 % du point d’indice. Petit exercice de mathématiques et de politique : « Une étude de la Dares publiée en 2022 a évalué que 329 000 enseignants devront être recrutés d’ici 2030. Il faut cinq ans pour former un enseignant et 27589 postes étaient proposés au concours 2024. L’objectif vous semble-t-il atteignable ? »
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