Polars – Il était une fois un roman qui inspira Sergio Leone
Ce volumineux récit semi-autobiographique avait fourni au cinéaste italien la trame d’Il était une fois en Amérique. Il vient seulement d’être traduit en français, et on s’en régale, sans s’interdire le jeu des comparaison avec le film.
Il y a tout juste quarante ans, surgissait sur nos écrans Il était une fois en Amérique qui clôturait, après Il était une fois dans l’Ouest (1968) et Il était une fois la révolution (1971), la « Trilogie du temps » dans laquelle le cinéaste italien Sergio Leone revisitait la mythologie d’un continent qui le fascinait. Soit l’histoire d’une nation en marche, passée au crible de sa caméra baroque et inventive, sur les partitions ensorcelantes de son complice Ennio Morricone.
Ce film-fleuve et testament, Leone l’a porté en lui près de quinze années… Au milieu des années 1960, il s’enflamme pour The Hood, roman publié en 1953 aux États-Unis. Harry Grey y relate le parcours de Noodles, un petit gars de l’East Side qui, au fléau de la pauvreté, préfère l’appel du crime. Leone a la certitude d’avoir trouvé la matière de son opus fantasmé sur la Prohibition et l’avènement du gangstérisme. Soucieux du moindre détail, il entre dans un processus d’adaptation épique, nourri de ses thèmes fétiches, qui le minera jusqu’à l’obsession…
De la Yiddish Connection à la prison
Le monde de l’édition a ses vicissitudes. Ce n’est qu’en ce début 2024 que nous parvient une traduction de ce récit qui a subjugué le maître réalisateur. De quoi faire palpiter le cœur des cinéphiles et des amateurs de polars. Souvent, ce sont les mêmes. Qui s’adonneront avec délectation au jeu de la comparaison…
Harry Grey est le pseudonyme de Herschel Goldberg. Dans le New York mafieux des années 1930, l’enfant du caniveau, en quête de revanche sur la vie, rejoint la Yiddish Connection. Sa carrière s’achève en prison. C’est derrière les barreaux de Sing Sing qu’il commence à rédiger ce premier roman, en fait son autobiographie déguisée et magnifiée.
Aux côtés de Noodles, alter ego de l’auteur, revivent Max, Cockeye, Patsy, Fat Moe et Deborah, dont les visages sont à jamais gravés dans notre mémoire de spectateur. L’émotion de les retrouver sur le papier est patente… Cerise sur le gâteau, une préface de Leone, écrite à la sortie du film, fournit un avant-propos précieux, certes, mais ô combien frustrant. On aurait tant aimé des révélations sur le processus de recréation du réalisateur…
Essor et enjeux de la criminalité au début du XXe siècle
Harry Grey signe une œuvre foisonnante (plus de 600 pages !), parfaite pour la compréhension de l’essor et des enjeux de la criminalité qui, au début du XXe siècle, a redessiné le visage de l’Amérique. Le style nerveux et des dialogues réalistes alimentent un texte maîtrisé, volontiers cru, parfois émaillé d’un humour inopiné. Une indéniable réussite et une véritable découverte…
Mais l’ombre de Sergio Leone est vampirique. On se rend compte à quel point le cinéaste a substantiellement modifié le récit de Grey – une bonne moitié du scénario est absente de ses pages –, dont il a aussi déstructuré la linéarité. Ce faisant, le démiurge Leone a érigé un monument du 7e art, saga proustienne sur le temps et la mémoire, fresque désenchantée sur les rapports humains et la réussite sociale. Il était une fois en Amérique, le livre, n’en constitue pas moins un addendum des plus recommandables.
Une vision acérée, parfois désemparée, de l’Angleterre
Ce début 2024 marque aussi la naissance d’une nouvelle collection, Le Tour du monde en polars, qui entend remettre à l’honneur, à raison de dix titres par an et au format poche, des romans piochés dans le pléthorique catalogue des éditions du Masque – illustre maison fondée en 1925. Le slogan adopté par l’éditeur, « Lire et voyager, voyager et lire », se déclinera à travers une sélection de textes qui « racontent sans filtre la complexité de nos sociétés, loin des clichés touristiques, ou alors pour mieux les épingler ».
Le périple débute par une halte à Londres. Et nous offre l’opportunité de redécouvrir une grande dame du polar, disparue en 2015… La prolixe Ruth Rendell s’est illustrée par son goût prononcé pour des trames complexes et la psychologie fouillée de ses personnages. Députée travailliste, elle s’est investie dans la défense des droits des femmes et des enfants. Sans jamais sacrifier l’intrigue ni la narration, ses romans reflètent ses engagements et une vision acérée, parfois désemparée, de l’Angleterre de ces dernières décennies.
Parfait reflet de sa signature, Regent’s Park (1996) raconte les destins croisés de protagonistes, issus de milieux différents, qui arpentent les allées du prestigieux parc royal londonien ou résident dans ses alentours. Tandis que rôde, dans ce lacis verdoyant, un tueur en série qui s’en prend aux Sdf… Ruth Rendell élabore un ballet sophistiqué et troublant entre ses multiples personnages. Et sa plume aigre-douce peuple ce faux paradis du nord de Londres d’êtres meurtris, spoliés de leurs illusions ou condamnés par la société. Un roman perturbant sur l’exclusion, la misère et la solitude urbaine…
Harry Grey,Il était une fois en Amérique, Sonatine, 2024, 624 pages, 24,90 euros. Traduit de l’américain par Caroline Nicolas.
Ruth Rendell, Regent’s Park, Le Masque, 2024, 416 pages, 10,90 euros. Traduit de l’anglais par Pierre Ménard.
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